Les Polonais outrés par un film allemand sur la Deuxième guerre mondiale

Les Polonais outrés par un film allemand sur la Deuxième guerre mondiale

La télévision publique allemande ZDF a récemment produit et diffusé un film sur les tribulations d’un groupe de jeunes soldats allemands de la Wehrmacht entre 1941 et 1945 (des dates qui correspondent à l’historiographie soviétique de la guerre). Des Allemands bien gentils, pas vraiment antisémites, pas nazis du tout, face à une résistance polonaise prête à tout pour se débarrasser des Juifs. Ainsi, dans une scène qui ne s’appuie sur aucun fait historique mais qui fait hurler les Polonais, un commando de l’AK, l’armée clandestine polonaise, après avoir pris aux Allemands un train transportant des Juifs vers un camp de concentration, décide, en s’apercevant qu’il s’agissait de Juifs, de ne pas les libérer et de les abandonner à leur sort tragique. Dans une autre scène, à la question de paysans polonais qui s’enquièrent pour savoir s’ils ont des Juifs dans leur unité, les soldats de l’AK répondent : « Les Juifs, nous les noyons comme on fait avec les chats ». L’AK, dirigée depuis Londres par le gouvernement polonais en exil, était la plus grosse armée clandestine de la Deuxième guerre mondiale, avec à son moment culminant prêt d’un million de membres dont plusieurs centaines de milliers de combattants. La thèse suggérée par ce film, intitulé « Nos mères, nos pères » (Unsere Mütter, Unsere Väter), est reprise sur le site Internet du magazine allemand « Bild » qui assure ses lecteurs que les membres de l’AK étaient des nationalistes polonais antisémites et que les nazis n’auraient pas pu être aussi efficaces dans leur entreprise d’extermination des Juifs sans l’antisémitisme virulent des habitants des pays d’Europe de l’Est.

Il s’agit d’une thèse assez répandue chez les Juifs français et américains, beaucoup plus que chez les Juifs israéliens originaires de Pologne mieux au courant de l’histoire compliquée de ce pays. On retrouve par exemple ces accusations chez Joseph Joffo et chez Martin Gray (dont le récit autobiographique « Au nom de tous les miens »  soulève bien des doutes chez les historiens polonais et anglo-saxons, mais est pris pour argent comptant par les Français).

Si les Polonais peuvent à la rigueur comprendre que les victimes ou les descendants des victimes de la Shoah noircissent l’attitude des Polonais pendant la guerre, cela devient carrément insupportable quand ce sont les enfants des auteurs des crimes qui se mettent à faire porter aux autres peuples la responsabilité de la folie meurtrière nazie.

Les Polonais reprochaient déjà à l’Allemagne d’omettre dans l’histoire enseignée à l’école les crimes terribles commis contre les non-Juifs, et ce pas uniquement par les SS. Les exactions allemandes ont bien entendu été particulièrement horribles vis-à-vis des Juifs qui faisaient l’objet d’un programme d’extermination systématique, mais elles ont aussi visé d’autres nationalités en territoire polonais. Ainsi, à Varsovie, outre l’instauration puis l’extermination du ghetto de Varsovie en avril 1943, il y a eu l’écrasement dans le sang de l’Insurrection d’août et septembre 1944 : quelque deux cent mille morts côté polonais dont 10 % seulement étaient des combattants, et une ville entièrement détruite, maison par maison.

Les Français méconnaissent souvent l’étendue des destructions allemandes et soviétiques en territoire polonais. La Deuxième guerre mondiale a fait perdre à la Pologne d’avant-guerre six millions d’habitants sur quarante. Sur ces six millions, 2,9 millions de Juifs (sur 3 millions environ) systématiquement exterminés par les nazis. Les autres appartenaient aux autres nationalités qui peuplaient la Pologne en 1939 : Polonais, Ukrainiens, Biélorusses, Lithuaniens… Un peu plus de 10 % des citoyens polonais morts pendant la guerre ont été tués dans le cadre d’opérations militaires. Les autres ont été victimes d’exécutions, de massacres de villages entiers (plusieurs centaines) et de déportations dans les dans camps de concentration allemands, mais aussi soviétiques de 1939 à 1941 puisque l’est de la Pologne était occupé par l’Armée rouge. Un million et demi de Polonais ont été envoyés dans les camps de Sibérie et la moitié d’entre eux y sont morts.[1]

La réputation antisémite de la Pologne n’est pas totalement injustifiée mais il faut la replacer, d’une part, dans le contexte de l’antisémitisme européen de l’époque et, d’autre part, dans le contexte d’un pays qui venait de reconquérir son indépendance et dont la survie était menacée par l’Allemagne nationale-socialiste et par la Russie soviétique. Un pays avec des minorités nombreuses et dont l’attachement à la Pologne n’était pas toujours évident. Entre les deux guerres, il y avait en Pologne deux grands camps politiques : la démocratie chrétienne qui avait une vision plus fédératrice des différentes nations qui vivaient sur le territoire de la IIe République polonaise et les nationaux-démocrates qui exacerbaient les méfiances vis-à-vis des minorités.
Comme souvent, les méfiances et les racismes étaient réciproques et si pendant la guerre il y a eu plusieurs massacres de Juifs par des Polonais dans la partie de la Pologne prise aux Soviétiques par les Allemands en 1941 (des massacres initiés et encadrés par les Allemands qui exploitaient l’antisémitisme d’une partie de la population polonaise), il n’y a jamais eu, y compris chez les nationalistes polonais (les nationaux-démocrates), de projet d’extermination de minorités comme chez les nazis. Et à côté des quelques massacres polonais, il y a eu aussi les massacres de très nombreux villages habités par des Polonais dans des conditions tout aussi horribles commis par l’armée clandestine ukrainienne UPA qui voulait « nettoyer » l’Ukraine occidentale actuelle de tous ses habitants de langue et de culture polonaise pour pouvoir annexer ces territoires après la guerre.

Il y a eu aussi la collaboration de nombreux Juifs avec l’occupant soviétique en 1939-41 et des Juifs responsables des camps d’internement communistes mis en place après la guerre en territoire polonais. Des camps d’internement regroupant des prisonniers allemands mais aussi des résistants polonais de l’AK et des prisonniers politiques polonais et où de nombreuses exactions étaient commises. C’était le cas par exemple de Salomon Morel qui a trouvé refuge en Israël face à son inculpation par la justice polonaise de crimes de guerre et crimes contre l’humanité après la chute du communisme. On retrouve aussi un nombre important de noms juifs parmi les responsables des prisons communistes, chez les juges et les procureurs de l’époque stalinienne, qui faisaient condamner à mort les opposants politiques et les résistants de l’AK, et dans les instances dirigeantes du parti communiste après la guerre.
Ainsi, l’éminence grise des médias français pour tout ce qui concerne la Pologne, Adam Michnik, rédacteur en chef du journal Gazeta Wyborcza et opposant illustre au régime communiste dans les années 80, est le fils d’Ozjasz Szechter, un Juif polonais communiste membre avant la guerre d’une organisation œuvrant au rattachement de la Galicie orientale et de la Volhynie à la République socialiste soviétique d’Ukraine, et de Helena Michnik, également militante communiste. Son frère Stefan a fait partie de ces juges communistes qui ont prononcé après la guerre des condamnations à mort contre des prisonniers politiques. Il est aujourd’hui réfugié en Suède, ce pays ayant refusé son extradition en Pologne.

Bien entendu, tous ces crimes commis de part et d’autre ont été le fait d’individus minoritaires mais ils restent à l’origine de nombreux malentendus et frustrations réciproques entre Polonais et Juifs, Polonais et Ukrainiens et, dans une moindre mesure, Polonais et Allemands.

Précisons ici que côté polonais il n’y a pas eu comme en France de responsabilité de l’État dans le génocide des Juifs. La résistance polonaise avait même créé un conseil d’aide au Juifs et on estime à une centaine de milliers le nombre de Juifs sauvés par cette organisation. Les Polonais comptent en leur sein le plus grand nombre de « Justes parmi les nations », un titre décerné par l’institut Yad Vashem qui honore les personnes ayant sauvé des Juifs pendant la guerre. En Pologne occupée, aider des Juifs était passible de la peine de mort pour soi-même et souvent pour sa famille.

En 1943, Jan Karski, un courrier du gouvernement polonais en exil qui avait été infiltré dans le ghetto de Varsovie et dans un camp de concentration allemand pour voir ce qui s’y passait a alerté en personne le ministre des Affaires étrangères britannique et le président Roosevelt du génocide en cours. Le gouvernement polonais en exil a officiellement demandé aux gouvernements britannique et américain de venir au secours des Juifs polonais mais les Alliés n’ont pas voulu réagir à ces mises en garde sur la « Solution finale de la question juive » mise en œuvre par les nazis.

Les Polonais ont donc le droit d’être outrés par le film allemand « Unsere Mütter, Unsere Väter », comme ils sont outrés quand les médias, notamment anglo-saxons et parfois aussi allemands (!!!) parlent des « camps de la mort polonais ».

Quant aux accusations d’antisémitisme portées contre la Pologne actuelle, des accusations populaires dans les milieux médiatiques et universitaires français toujours donneurs de leçons, elles sont le plus souvent très exagérées. Il y a bien entendu des Polonais antisémites, mais que les peuples libres de tout racisme en leur sein jettent la première pierre. D’accord, la Pologne a trop longtemps fermé l’œil sur les manifestations racistes de certains supporters dans les matchs de ligue, des manifestations aujourd’hui réprimées, mais elle ne fait pas figure d’exception. Quand les sœurs  Radwańska ont joué le 8 février 2013 leur match en double de la Fed Cup contre les joueuses de tennis israéliennes à Eilat, en Israël, des supporteurs israéliens ont crié à leur adresse, depuis les tribunes, « Catholic bitches », chiennes catholiques ! Il n’y a eu aucune réaction des organisateurs et cela n’a pas fait les gros titres de la presse internationale.

[1] Ces chiffres proviennent de l’ouvrage God’s Playground (traduit en polonais sous le titre : Boże Igrzysko) de l’historien britannique Norman Davies

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  • Louis A. F. G. von Wetzler , 18 juin 2013 @ 16 h 16 min

    Je peux comprendre l’outrage des polonais, mais c’est très facile à dire que tous les allemandes ont été du côté nazi, même à l’armée allemande nous pouvons trouves un nombreux groupe des officers, qui ont combatu les nazis, en France vous connais très bien le cas du gouverneur militaire de Paris, le général baron von Choltitz qui a réfusé d’accepter les ordres de Berlin de détruire Paris. En Pologne je connais des cas, comme le prince von Metternich qui a sauvé la vie de beaucoup de polonais, comme le comte Helmuth James von Moltke, le comte von Bismarck, le général von Stupnegel, et des autres. L’antisemitisme polonais, c’est presque de la même nature que son egal en France. Il faut lire un texte du pasteur protestant Martin Niemöller pour comprendre les risques des anti nazis dans Allemagne. Avant, ma propre famille bavaroise et autrichienne a perdu quatre dans les champs de la morte nazis, le charge être enemies du N.S. et fière catholiques et monarchistes pro Habsbourg.

    Dans le numéro d’avril 1953 d’Allemagne, bulletin d’information de notre Comité français d’échanges avec l’Allemagne nouvelle, un assez long compte rendu était consacré au livre de Günther Weisenborn qui venait de paraître chez Rowohlt avec une préface du pasteur Martin Niemöller. J’y recommandais chaleureusement ce «volume essentiel pour qui veut comprendre et le régime hitlérien et ses adversaires». Encore, en 1960, dans la bibliographie de mon ouvrage Die Bonner Demokratie, version mise à jour et élargie de La Démocratie de Bonn, je relevais que Der lautlose Anfstand demeurait la présentation la plus complète de la résistance allemande.
    Au cours des quarante années suivantes, les publications se sont multipliées, traitant d’aspects partiels ou tentant des bilans. Ici, les noms qui dominent sont ceux de Peter Hoffmann, de Hans Mommsen – dont le volume en quelque sorte récapitulatif Alternative zu Hitler. Studien zur Geschichte des deutschen Widerstandes, vient de paraître chez Beck à Munich, et celui du professeur néerlandais Ger Van Roon, dont le petit volume mis à jour en 1994, Widerstand im Dritten Reich (Beck’sche Reihe, Munich), constitue sans doute la meilleure et la plus accessible des mises au point de la recherche.
    Pourquoi alors traduire et publier Weisenborn? Parce que, malheureusement, malgré le demi-siècle écoulé, il prendra encore bien des lecteurs français à rebrousse-poil, surtout s’ils ont cru aux constructions intellectuelles d’un Daniel Goldhagen dont la méthode a été définitivement démontée par Ruth Bettina Birn et Norman Finkelstein (La Thèse de Goldhagen et la Vérité historique, Albin Michel, Paris, 1999). Non, tous les Allemands n’ont pas aveuglément suivi Hitler. Oui, il y a eu des oppositions, des résistances allemandes. Pendant longtemps, cette réalité a été occultée, a été niée hors d’Allemagne et notamment en France. La première raison a déjà été signalée par Weisenborn: les Alliés ont tout fait, pendant la guerre et au lendemain de la défaite allemande, pour qu’Hitler apparaisse comme l’incarnation de la totalité de la communauté allemande. Le refus de prendre connaissance des messages de la résistance allemande et l’exigence de la capitulation sans conditions, puis la prise en charge complète de la souveraineté allemande par les vainqueurs supposaient la non-existence d’une autre Allemagne, d’une Allemagne autre.
    Que de chemin parcouru depuis cette négation jusqu’à la présentation, en 1955, grâce aux efforts de Christine Levisse-Touzé, de l’exposition Des Allemands contre le nazisme au Mémorial du maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris/musée Jean Moulin! Pourtant, il eût suffi, dès 1946, de prendre conscience de ce que signifiait le début du «Préambule» de la nouvelle constitution, ce préambule qui a gardé valeur et portée sous la Ve République et est même devenu, avec la Déclaration de 1789, la charte de référence du Conseil constitutionnel: «Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine…» Pourquoi les régimes et non les peuples ou les nations ? C’est que les résistants qui ont écrit la constitution savaient deux choses. D’une part, des milliers de Français avaient, directement ou indirectement, servi Hitler. De l’autre, des milliers d’Allemands s’étaient opposés à Hitler et en avaient été cruellement punis. Quand les premiers déportés français sont arrivés à Dachau ou à Buchenwald, ils y ont découvert les détenus allemands ou, plus exactement, les survivants des détenus dont les premiers avaient été enfermés dès 1933.
    La découverte que la réalité allemande avait été plus complexe qu’on n’avait voulu le croire a été aussi facilitée et accélérée par une vision plus différenciée et mieux informée de la réalité française. Y compris les acceptations, les soumissions, les complicités quand les Juifs ont été éliminés des universités, des professions juridiques, de la haute administration, du corps médical. Et on a fini par prendre conscience de terribles complicités. Ainsi, pour les conséquences du honteux article 19 de l’armistice de 1940, par lequel le gouvernement français s’engageait à livrer à Hitler les réfugiés politiques. Une des raisons des dissensions entre socialistes français et allemands dans l’après-guerre est que deux des grandes figures du SPD, Rudolf Breitscheid et Rudolf Hilferding, après avoir été assignés à résidence à Arles, avaient été livrés à la Gestapo en février 1941. L’un est mort à Buchenwald, l’autre à la prison de la Santé à Paris. Il a fallu attendre Jacques Chirac et Lionel Jospin pour que la France assume la responsabilité des actions et des omissions commises au nom de la France par Vichy. Comme on a toujours exigé de la République fédérale d’Allemagne qu’elle prenne en charge le passé hitlérien.
    Il n’en reste pas moins vrai que la France résistante a été plus nombreuse, plus forte que l’ensemble des oppositions actives allemandes. Parmi les raisons de cette différence, deux devaient et pouvaient être mises en évidence dès la fin de la guerre. Je m’y étais efforcé en particulier dans mon premier livre L’Allemagne de l’Occident (1945-1952), paru au début de 1953. En premier lieu, à organiser une opposition efficace était à peu près impossible dans le cadre du régime policier que Heinrich Himmler allait porter à sa perfection. «Chaque Allemand pouvait, à juste titre, se sentir épié, surveillé, menacé. Toute parole imprudente, tout geste individuel suspect […] risquaient fort d’être immédiatement dénoncés soit par un policier, soit par un Spitzel (mouchard), soit par un fanatique du régime, fût-il votre propre fils…» La guerre venue, accueillie en Allemagne sans enthousiasme, comme le déploraient les rapports de la Gestapo, « les conditions morales dans lesquelles opérait l’opposition allemande se trouvèrent transformées… Alors que la résistance, dans les pays attaqués était à la fois idéologique et nationale, elle prenait en Allemagne l’aspect de la trahison… Des cas de conscience vraiment tragiques se sont posés à bien des officiers et soldats. L’extraordinaire succès qu’a connu après la guerre le drame de Carl Zuckmayer, Le Général du diable, en témoigne. Dans cette pièce, un officier d’aviation sabote les avions dont il a la charge. Il fait ainsi périr ses meilleurs camarades et hâte la défaite de son pays – mais aussi la disparition d’un régime détestable, aussi nuisible à l’Allemagne qu’au reste du monde. Avait-il raison ? Beaucoup plus tard, en 1986, l’ancien chancelier Helmut Schmidt, dans son discours d’adieu au parlement, rappela combien, comme jeune officier, il s’était senti schizophrène, combattant pour Hitler le jour et souhaitant sa défaite la nuit. Le résistant français souhaitait à la fois l’effondrement du nazisme et la victoire de la France.
    Mais la guerre n’a pas commencé en 1933 et Weisenborn ne fait pas mystère des faiblesses et des défaillances. Simplement, il montre, ce qui était utile en 1953 et le reste, hélas, en l’an 2000, qu’il ne faut pas réduire la résistance allemande d’une part aux «purs» incontestables qu’ont été Hans et Sophie Scholl, autrement dit le groupe de la Rose blanche, d’autre part les conjurés de l’attentat du 20 juillet 1944, dont on sait encore mieux aujourd’hui l’énorme variété dans les visées et dans les idéologies, depuis les socialistes ou syndicalistes aspirant à la démocratie, jusqu’aux militaires désireux simplement d’arrêter à temps une guerre perdue et jusqu’aux conservateurs souhaitant certes, la disparition du Führer, mais rêvant d’une Allemagne corporatiste et à bien des égards réactionnaire.
    Les capitulations de 1933 furent multiples. Celle du Reichstag fut la plus spectaculaire. Les élections du 5 mars, pourtant déjà organisées dans la terreur, n’avaient pas donné la majorité absolue au parti de Hitler, ni la majorité des deux tiers à la coalition qu’il formait avec les nationaux-allemands d’Alfred Hugenberg. Nécessaire pour toute modification constitutionnelle, il l’obtint aisément le 23 mars. Le Ermächtigungsgesetz, la loi votée ce jour-là, lui donnait même le pouvoir de ne pas appliquer la Constitution, y compris dans ses articles garantissant les droits civiques et politiques, et de légiférer sans vote parlementaire. Cette abdication totale (encore plus complète que celle consentie par l’Assemblée nationale réunie à Vichy le 9 juillet 1940), fut approuvée par tous les groupes parlementaires, à l’exception du groupe socialiste, en l’absence des communistes auxquels on avait déjà interdit de siéger. Otto Wels, sous les huées, dit non «au nom des principes d’humanité et de justice, de la liberté et du socialisme». Hitler obtint ensuite que chacun s’humilie avant de disparaître à son tour. Ainsi, l’ADGB, la puissante centrale syndicale, acceptant de défiler le 1er mai, devenu «jour du travail national», les maisons syndicales se trouvant occupées par les SA et les chefs syndicalistes arrêtés dès le lendemain.
    Il faut s’arrêter sur le cas des Églises parce qu’il n’a pas cessé d’être en débat depuis 1945. Du côté protestant, on a tendance à oublier notamment le terrible sermon du superintendant (évêque) Otto Dibelius, futur chef de l’Union des Églises protestantes dans l’après-guerre, prononcé à Berlin le 21 mars 1933, «jour du soulèvement national». Il y appelait le pouvoir à frapper les opposants, comme Luther avait appelé les princes à frapper les paysans révoltés. Du côté catholique, le débat rétrospectif devrait être clos depuis 1975, lorsque les évêques, dans leur réunion de Fulda, ont proclamé que l’Église allemande avait failli en tant qu’institution, idée reprise par les évêques français en 1995 et les évêques suisses en avril 2000. Les évêques allemands précisaient bien qu’il y avait eu des individus et des groupes héroïques, mais que l’Église institutionnelle ne les avait pas suivis. Au contraire, un texte du Vatican, en 1998 encore, donnait l’exemple des martyrs pour prouver que l’Église avait été résistante. Même le pape, lors de son voyage à Jérusalem, a parlé des fautes de catholiques plutôt que d’une responsabilité de l’institution.
    Il est vrai que les prêtres tués dans les camps ont été nombreux et que le comportement des pères Lichtenberg ou Delp fut exemplaire. Et Weisenborn ne pouvait connaître tous les comportements héroïques puisque, aujourd’hui encore, on ne les connaît pas tous. Qui connaissait le sergent de police Anton Schmid avant le 8 mai 2000, lorsque Rudolf Scharping débaptisa la caserne de la Bundeswehr à Rendsburg pour lui donner le nom d’un homme qui avait sauvé deux cent cinquante Juifs? Jusqu’alors la caserne portait le nom du général Rüdel qui avait vaillamment combattu pendant deux guerres, mais dont on avait omis de voir qu’en 1945 encore il avait siégé dans une cour militaire condamnant à mort des résistants.
    La plus belle réponse au «on ne pouvait rien faire» avait sans doute été fournie par «les épouses de la Rosenstrasse», de la rue des Roses à Berlin. Les épouses «aryennes», de maris juifs avaient hurlé devant l’immeuble de la Gestapo jusqu’à ce que ceux-ci fussent libérés. Et, chose étonnante, ils le furent – alors que, logiquement, les épouses eussent dû être arrêtées et déportées. Elles ne sont vraiment pas concernées par les passages les plus percutants du grand discours prononcé par le président de la République Walter Scheel, à l’occasion du trentième anniversaire de la capitulation. Ce discours, courageux et clair, allait sans doute encore plus loin que celui de Richard von Weizsäcker dix ans plus tard. Après avoir rappelé que le 8 mai avait signifié à la fois une catastrophe allemande et une libération des Allemands et évoqué les millions de victimes juives, soviétiques, polonaises, il posait la question: Pourquoi tout cela est-il arrivé? «Hitler voulait la guerre, sa vie n’avait pas d’autre finalité que la guerre. Il a transformé notre pays en une immense machine de guerre et chacun de nous en était un petit rouage. On pouvait s’en rendre compte. Mais nous avons fermé les oreilles et les yeux, en espérant qu’il pourrait en être autrement.» Il énumérait ensuite les immenses pertes allemandes, les villes détruites, les expulsions par millions, la division imposée à l’Allemagne pour ajouter: «Voilà les conséquences. Nous aurons encore longtemps à les subir. Mais la tragédie allemande a commencé en 1933, pas en 1945.»

    La lecture du livre de Weisenborn devrait être éclairée par la connaissance du rôle que la double mémoire du nazisme et de la résistance au nazisme ne cesse de jouer dans la République fédérale d’Allemagne, y compris depuis son extension au territoire de l’ancienne RDA. Lorsque, le 5 janvier 1995, le ministre de la Défense, Volker Rühe, a inauguré la première caserne de la Bundeswehr à Berlin (aucun soldat allemand ne pouvait y stationner avant la fin du système à Quatre), il lui a donné le nom de Julius Leber, député socialiste, maître spirituel de Willy Brandt, une première fois bastonné en 1933, finalement exécuté comme «comploteur du 20 juillet». Dans son discours, il a souligné que le fondement moral de la Bundeswehr devait être l’esprit de la résistance à Hitler. Lorsque Joschka Fischer est devenu ministre des Affaires étrangères en 1998, il a souligné, dans sa première grande interview, que le gouvernement se fondait sur une double résistance, celle au national-socialisme et celle à l’État SED, c’est-à-dire la dictature communiste. Il rappelait ainsi un fait essentiel qui demeure incompréhensible pour bien des Français, notamment pour Jean-Pierre Chevènement: la République fédérale, notre partenaire, n’a pas été édifiée sur l’idée de nation, mais sur une éthique politique, celle du double rejet du nazisme dans le passé et du communisme dans le voisinage. Avec non pas l’idée d’une culpabilité collective, mais celle d’une prise en charge du passé, d’un rappel constant des défaillances d’hier pour éviter de nouvelles défaillances demain. Si Rudolf Scharping a adressé un ordre du jour à l’armée le 27 janvier 1999 pour justifier la présence allemande au Kosovo, c’est que ce jour-là était une journée nationale du souvenir, instituée en 1995 par le président de la République Roman Herzog pour le cinquantenaire de la libération du camp d’Auschwitz. Les soldats allemands sont au Kosovo au nom du «plus jamais ça !» – même si la formule a été tournée en dérision par l’abstention générale face à la Russie massacrant en Tchétchénie.
    Dans les années cinquante, soixante, soixante-dix et quatre-vingt, le passé a donné à des générations successives de jeunes Allemands l’idée d’un «ohne mich», d’un «sans moi» correspondant à un refus de toute participation à la mort collective infligée à un autre groupe humain. Depuis la fin de la décennie quatre-vingt-dix, la grande majorité des Allemands, même chez les jeunes, semble davantage en accord avec ce que Hans Scholl écrivait à un ami en octobre 1941, peu de temps avant son arrestation, puis son exécution: « Je ne peux pas rester à l’écart, hors du jeu (abseits stehen), parce que, pour moi, il n’y a pas de bonheur hors du jeu, parce qu’il n’y a pas de bonheur sans Vérité.»
    Sans les opposants et résistants inventoriés par Weisenborn, l’Allemagne d’aujourd’hui serait autre.

    Alfred Grosser

    Préface de Günther Weisenborn
    pour l’édition allemande 1

    Il y a dix ans que le présent ouvrage est paru pour la première fois en allemand et dans d’autres langues. Il a reçu presque partout un écho favorable. La presse internationale n’a pas manqué de relever que ce travail méritait d’être salué comme il convient, et ce compte rendu sur la Résistance a largement contribué à améliorer la réputation du peuple allemand à l’étranger.
    Cette édition en format de poche permet d’en proposer pour la première fois le texte au grand public. Mais les nécessités techniques liées à ce format nous ont contraints d’opérer une série de coupures; elles ont été faites avec une grande prudence. Aucun compte rendu de faits n’a été écarté, mais en revanche, à plusieurs reprises, nous avons supprimé des considérations annexes. L’équilibre du livre n’en a pas été affecté. On a procédé à de petites corrections factuelles et l’on a adjoint à l’ensemble un index des noms ainsi qu’une bibliographie 2, grâce à la participation de la maison d’édition.
    Dans les dix dernières années, le monde a été fondamentalement transformé. Mais la Résistance allemande n’a toujours pas reçu l’hommage que l’histoire lui doit. Le public ouest-allemand s’est toujours contenté de la célébration du souvenir de la conjuration du 20 juillet (il arrive également que l’on commémore la mémoire de Hans et Sophie Scholl). Mais l’ampleur et l’importance de toute la Résistance sont jusqu’à maintenant peu connues, voire ignorées du public.
    On trouvera ici un travail pour les générations futures qui s’interrogeront sur les sources, les explications, les comportements et le combat mené pour les droits de l’homme durant cette période, et qui se demanderont où se trouvait le courage à cette époque en Allemagne. Il n’y a rien de plus grand au monde que le combat de la raison lumineuse contre la force aveugle. C’est le combat que l’homme mènera toujours jusqu’à ce que la raison l’emporte sur la violence. C’est seulement à ce moment que le «Dieu des armes», qui continue de faire rage partout, sera chassé à jamais. Cet ouvrage rend compte de ces hommes qui, durant tant d’années, et sans armes, sont tombés pour que la paix revienne, alors que la guerre ne cessait d’exercer ses ravages.
    Les jeunes gens qui liront ce livre comprendront que les plus belles célébrations ne suffisent pas, lorsque les organisateurs de ces cérémonies taisent l’essentiel. Il est en effet plus important de savoir que de célébrer.
    Et c’est à ce savoir que s’attache ce livre.

    Günther Weisenborn

    Nota bene: Les documents présentés ici peuvent être consultés aux archives Walter Hammer de Hambourg, Veerstücken 9; celles-ci se sont donné pour tâche de rassembler tous les documents sur la Résistance. On pourra y faire parvenir tous compléments et témoignages.

    Ricarda Huch

    Au milieu de nous surgirent des hommes pervers, brutaux et sans conscience, qui déshonorèrent l’Allemagne et amenèrent sa ruine. Ils écrasèrent le peuple allemand en faisant régner une terreur si habilement organisée que seules des âmes héroïques purent avoir l’audace de projeter son renversement.
    Des hommes de cette trempe furent nombreux parmi nous.
    Il ne leur appartenait pas de sauver l’Allemagne; il ne leur fut permis que de mourir pour elle; la chance n’était pas avec eux, mais avec Hitler. Ils ne moururent pourtant pas en vain. Comme nous avons besoin d’air pour respirer, de lumière pour voir, ainsi avons-nous besoin d’êtres nobles pour vivre. Ils sont l’élément grâce auquel l’esprit peut grandir et le cœur se purifier. Ils nous arrachent à la fange du quotidien; ils sont la flamme qui pousse à combattre le mal; ils alimentent en nous cette foi dans la part divine de l’être humain. Se souvenir de ceux qui laissèrent leur vie en combattant le national-socialisme, c’est accomplir un devoir de reconnaissance, mais, en même temps, c’est à nous-mêmes que nous faisons du bien, car en nous souvenant d’eux, nous nous élevons au-dessus de notre malheur.
    Les nationaux-socialistes firent en sorte que les Allemands soient artificiellement coupés les uns des autres, si bien que tous nos martyrs ne nous sont pas forcément connus, et que ceux que l’on connaît ne le sont guère que de nom. Je me suis donné pour tâche de raconter la vie de ces gens qui moururent pour nous et de rassembler ces récits en un livre-souvenir afin que le peuple allemand ait sous la main un trésor qui soit, dans la misère qu’il traverse, une ultime richesse. Dans ce but, j’ai besoin de l’aide de nombreuses personnes, et c’est à elles que j’adresse ici ma demande. En premier lieu, je demande aux parents et aux amis de me fournir des renseignements sur les personnes exécutées, si possible à travers des déclarations directes de celles-ci, lettres et journaux intimes; on pourra cependant fournir également des témoignages ou de simples informations qui pourront nous aider à retracer leur vie. Mais en dehors des parents et des amis, il existe peut-être aussi des gens qui ont été en contact avec les victimes et qui sont susceptibles d’apporter sur elles des témoignages ou de simples impressions; que ceux-là aussi soient remerciés pour leurs informations. Je tiens tout particulièrement à recevoir des photos afin de les joindre aux notices biographiques. Je donne l’assurance que tout ce qui me parviendra sera accueilli et conservé avec l’amour et le respect que j’éprouve envers ces morts qui sont les nôtres…
    Parmi ceux qui conspirèrent contre Hitler, tous ne tombèrent pas au combat, quelques-uns échappèrent à la mort. Ce n’est pas parce qu’ils eurent plus de chance qu’ils sont moins importants, et j’aimerais les célébrer tout autant que les morts; mais il convient, me semble-t-il, de déposer d’abord des couronnes sur les tombes.
    Voici une série de noms de personnes exécutées: Hans et Sophie Scholl, le professeur Huber, le général en chef von Beck, Dietrich Bonhoeffer, le père jésuite Delp, Paul von Hasse, le comte von Hassell, le comte von Harnack et sa femme, Ernst von Harnack, le docteur Haubach, Harro Schulze-Boysen, Adam Kuckhoff, Wilhelm Leuschner, le docteur Leber, le professeur Reichwein, Rüdiger Schleicher, le conseiller d’État Schwamb, le Maréchal baron von Witzleben, le trois comtes von Stauffenberg, Elisabeth von Thadden, le comte Yorck von Wartenburg, Karl Goerdeler, le comte Helmuth James von Moltke, la princesse Elisabeth de Bavière, les archiducs d’Autriche, la dernière Impératrice d’Autriche et son fils le Prince de la Couronne Archiduc Otto, décédé en Juillet 4, 2011, le Cardinal Archêveque de Münster comte Adolf Maximilian von Gallen, la Princesse Mafalde de Hesse-Darmstadt assassinée à Buchenwald,

    Martin Niemöller

    L’héritage de la résistance allemande

    Quel que soit le regard que l’on porte sur la Résistance, il faut bien avouer que les Allemands se heurtent à de graves interrogations lorsqu’ils doivent prendre position sur ce sujet. Et l’on aura du mal à utiliser, comme on le fait souvent, ces fameux scrupules allemands qui permettent de contourner la difficulté en la transformant en problème.
    Notre Résistance fut un problème. Nous voulons dire qu’elle fut une question authentique à laquelle on ne pouvait apporter de réponse superficielle, mais qui exigeait un débat intérieur, une souffrance, alors que pour la résistance des pays occupés pendant la guerre, on obéissait à une consigne qui, au fond, était une évidence. Le maquisard français restait fidèle à lui-même et nourrissait l’espoir d’une victoire finale de son peuple aux côtés de ses alliés. Mais l’homme de la résistance allemande qui voulait rester fidèle à lui-même ne pouvait pas vouloir de la même manière la victoire de son peuple. Le résistant allemand n’est pas un héros national; on le plaçait, à l’époque de ses activités, dans la catégorie des traîtres à la patrie et il était coupable de haute trahison.
    Et les scènes qui se sont déroulées devant le Tribunal du Peuple
    ne font malheureusement que souligner la profondeur de cette contradiction.
    Il n’y avait qu’une seule possibilité de conserver son honneur, c’était précisément d’être prêt à subir tous les déshonneurs. C’était le seul choix possible pour demeurer à la fois fidèle à soi-même et à son pays; il fallait choisir la voie de cette honte et la suivre consciemment, s’enfoncer graduellement dans un choix toujours plus douloureux… jusqu’à la fin amère.
    Il n’y eut au fond chez nous d’autre résistance que celle qui prend sa source dans la foi; il s’agissait alors de cette résistance qui obéit à un ordre de la conscience, et cet ordre, qui ne nous est imposé ni de l’extérieur ni de nous-mêmes, ne peut être étouffé qu’au prix de l’infidélité et du reniement. C’est pourtant ce sens du devoir qui a créé entre les hommes des groupes les plus variés de la Résistance cette compréhension et cette authentique communauté que nous voulons préserver comme la meilleur part de ces années, et qu’il nous appartient de renforcer. Car c’est là que s’est réalisée la communauté du peuple dont on se réclamait. Et c’est là que nous avons appris cette solidarité, cet engagement qui ne peuvent plus être récupérés par des slogans, des préjugés ou des programmes, parce qu’il ne nous appartient pas d’en disposer à notre gré. On a tenté de régler le problème en parlant de haute trahison ou de trahison envers la patrie; il ne s’agit bien évidemment en aucune manière de trahison: c’est au contraire une fidélité qui respecte le passé, mais qui, loin de se crisper sur un conservatisme de mauvais aloi, demeure consciente que le présent engage pour l’avenir.
    C’est une pitié, et sans doute une fatalité, de constater que l’opinion publique ne cesse aujourd’hui encore d’être largement déterminée et influencée par la propagande et ses slogans. Pourtant, avant d’inventer une nouvelle « légende du coup de poignard » et d’en finir avec la Résistance en évoquant la haute trahison, nous devrions plutôt considérer de plus près les hommes et les femmes de cette Résistance, et lorsque nous les aurons bien regardés en face, on verra alors s’effondrer rapidement et disparaître à jamais légendes et phrases creuses. Et les résistants, qu’ils soient socialistes ou conservateurs, prolétaires ou intellectuels, militaires ou civils, chrétiens ou non chrétiens, nous montreront, si l’on consent à les étudier de près, que dans cette Résistance, ce n’est pas la trahison, mais la fidélité qui s’est manifestée, fidélité durement payée et défendue dans la souffrance.
    Les victimes de la Résistance ne pourront pas être oubliées si facilement, car elles nous ont montré la voie, une voie certes étroite, mais qui était la seule possible. À travers le champ de ruines d’une époque en déshérence, elle nous conduit vers la liberté, et c’est à partir de là que les hommes de notre génération pourront repartir d’un bon pied pour construire une nouvelle société; alors s’ouvrira devant nous l’espace nécessaire au redéploiement de la dignité humaine et du sens des responsabilités.
    La résistance allemande qui, en soi, a constitué une foi et une espérance hors de toute raison et de tout bon sens, a été pour un nombre considérable d’hommes, hantés par la souffrance et le doute, une source d’espoir et de confiance, dévoilant clairement ce seul principe: même à notre époque, il y a toujours des hommes qui sont prêts à payer le prix fort pour ne pas abandonner à la trahison leur humanité et celle de leurs frères.
    Ce n’est sans doute pas un hasard, si, malgré ses échecs apparents (car tout bien considéré, il ne s’agissait pas de l’emporter mais surtout de témoigner), la résistance allemande a trouvé un écho auprès des autres peuples de la Terre. Elle n’a certes pas été comprise ailleurs, mais certains signes nous indiquent qu’instinctivement, dans tous les pays, on devine la menace fondamentale devant laquelle se trouve l’humanité. Cette menace n’est pas tant celle qui est dirigée contre notre intégrité physique, par la bombe atomique, par exemple, ou d’autres moyens de destruction de masse, mais plutôt la dégradation et l’agonie de la force du cœur qui est souvent disposée à renoncer et à capituler devant ce qu’elle estime être inéluctable.
    Il n’est pourtant pas trop tard; tous les fondements n’ont pas encore été détruits. Nous allons une nouvelle fois reprendre le combat – car seul le courage peut forcer le destin: il le porte sans trembler à travers les échecs et la honte, dans la foi en une mission qui ne renonce jamais, dans la fidélité et le sens du devoir. Et c’est cela qui constitue l’héritage de la résistance allemande.

  • Agnieszka , 18 juin 2013 @ 17 h 07 min

    J’ai du mal à comprendre votre commentaire sous cet article qui ne veut nullement dire que tous les Allemands ont la même responsabilité de ce qui s’est passé avant et pendant la deuxième guerre mondiale.
    Cet article parle de la tentative de relativiser la responsabilité de ceux qui ont commis les crimes, entre autres sur la nation polonaise. Le film „Nos mères, nos pères” en est un exemple criant n’ayant rien à voir avec la réalité de guerre en Pologne et avec la vérité historique. Oui, les Polonais (avec majuscule) peuvent être outrés face à cette façon de falsifier l’histoire par les Allemands qui y font preuve d’une vraie arrogance.

    PS. Et excusez-moi, mais le général Choltitz que vous donnez en exemple d’un résistant au sein de l’armée allemande est plutôt mal choisi (vue l’ensemble de ses actions et sa carrière pendant la 2e guerre mondiale)…

  • degabesatataouine , 18 juin 2013 @ 17 h 25 min

    Nous avons eu les émigrés de Coblence revenus dans les fourgons de l”ennemi Les vôtres ont émigré mentalement si non physiquement plutôt vers 1944 que 1934,à part les communistes.

    On peut tout expliquer par l’endoctrinement y compris les martyrs chrétiens,mais la résistance en armes et à visage découvert du peuple allemand d’ailleurs survoltée par les conditions de paix que les alliés affichaient ouvertement sans parler des massacre aériens injustifiables des populations civiles,qu’elle fut national-socialiste ou tout simplement allemande ,fut simplement admirable pour quiconque peut admirer sans fanatisme haineux le courage dans l’adversité chez l’ennemi.

  • Louis A. F. G. von Wetzler , 18 juin 2013 @ 17 h 46 min

    à mon avis la responsabilité de von Choltiz n’est pas directement engagé, tout au contraire le baron von Choltitz a été ouvertement un enemie des nazis, et très proche à son cousin le Cardinal Archevêque de Münster comte Clemens August von Gallen, bien connu par sa position contre les pérsecution des nazis, contre le juives comme des autres. À propos le baron comme le comte sont des petits énfants d’une née princesse Zamoyska de l’haute noblesse polonaise.

    Même chose pour sa participation au siège de Sébastopol. Alors que le responsabilité d’Erich von Manstein,commandant de la 11e armée est incontestable. Il fut d’ailleurs condamné pour crimes de guerre en 1949 à 18 ans de prison. Tout au contraire le baron a é

    Il faut d’ailleurs noté que von Choltitz a été libéré dès 1947.

    Il est noté toutefois qu’il meurt novembre 1966 des suites d’une maladie à l’hôpital de Baden-Baden qui était à l’époque le quartier général des français en Allemagne où il d’ailleurs il a été enterré en présence d’officiers haut-gradés français, ce qui a mon mon avis n’a pu être possible qu’avec l’accord du général de Gaulle qui était alors le chef des armées.

    Quelle est la vrai histoire de von Choltitz à Paris. Le 24 au soir et malgré l’arrivée le matin-même d’un ordre «pour exécution», le capitaine Ebernach n’obtint pas de von Choltitz l’ordre de mettre à feu ces dynamitages ; précisant qu’il laissait une section de sapeurs pour l’exécution des ordres, le capitaine et sa 813ème Pionierkompanie profitèrent du calme relatif pour évacuer Paris avant sa libération (7). Antérieurement, von Choltitz avait surpris René Naville, alors ambassadeur neutre à Paris, en déclarant : «Messieurs, j’ai reçu l’ordre de me maintenir ici et d’attendre l’ennemi, mais je suis un général qui n’a, croyez-le, qu’un désir, celui de revenir dans un Paris intact, comme touriste, après la guerre» (8).
    C’est ainsi que le professeur Klaus J. Müller de l’Université de Hambourg rappelle dans sa contribution intitulée «Les opérations du groupe d’armées B» comment le maréchal Model, commandant en chef sur le front ouest, a «requis le 28 août 1944 auprès du président du tribunal militaire du Reich l’application d’une action contre le général von Choltitz et autres pour insubordination, au motif que le général von Choltitz n’a pas accompli en tant que défenseur de Paris ce qu’on attendait de lui» (9). Cette démarche dut attendre 1952 (une année après la parution de la première version des «Mémoires» de von Choltitz en 1951) pour qu’un tribunal d’honneur composé de ses pairs, généraux de corps d’armée de l’ancienne Wehrmacht, n’examine son cas comme le rappelle l’historien Pierre Bourget, dans sa contribution intitulée «La trêve» (10). «Le général a déclaré ne pas avoir détruit Paris uniquement parce qu’il ne disposait pas de moyens techniques nécessaires, écrivait Marcelle Adler-Bresse. On peut se demander quand le général von Choltitz a été sincère. Voilà un point d’histoire qu’il s’agirait d’éclaircir» (11). «La comparaison entre les deux moutures de ses Mémoires ne permet pas cet exercice d’éclaircissement», poursuit Pierre Bourget, éclaircissement que rendrait utile la confrontation avec le témoignage de Raymond Massiet (dit Dufresne, adjoint de Rol) qui a recueilli ces mots du général allemand au soir de sa reddition : «je ne pouvais pas détruire Paris bien qu’il y eût les ordres d’Hitler… non, je ne le pouvait pas. Les représailles, vos représailles,… cela aurait été trop horrible» (12).
    Il ne faut d’ailleurs pas s’en étonner quand on sait que dans la première mouture de ses souvenirs en 1950 (publiés en 1951), von Choltitz affirme les avoir écrits sans documents «qu’il a détruits sur ordres de ses gardiens, anglais puis américains, pendant sa captivité» confirme Pierre Bourget (13). Que recelaient donc ces documents pour que leur destruction soit ordonnée ? En a-t-on éventuellement pris copie avant de les détruire ? si oui, pourquoi donc les détruire ?
    Détail de l’Histoire sans aucun doute. Mais détail instructif tout de même lorsque le recul fait naître des perspectives. En effet, dans sa conclusion à ce même colloque en 1994, Guy Pedroncini, directeur de l’Institut d’histoire de défense, estime : «La confrontation souvent rude de points de vue différents permet de «parvenir à une vérité plus haute», qui surprend parfois. La libération d’un Paris intact, fait essentiel qui a facilité une réconciliation franco-allemande, a aidé à la construction de l’Europe. Dans une perspective historique large, on peut même se demander si elle n’a pas commencé à naître avec la libération de Paris» (14).

    Les facéties de la vie m’ont permis de jeter un éclairage nouveau sur cette question que le magnifique colloque de février 1994 a laissée sans réponse : — pourquoi le général von Choltitz n’a-t-il pas, le 23 août 1944 à 11 heures, donné l’ordre au capitaine Werner Ebernach de la 813ème Pionierkompanie de mettre à feu la totalité des dynamitages qui venaient d’être terminés et a limité l’action de destruction au Grand-Palais ?
    Ceci alors que, dans la nuit du 22 au 23, des renforts étaient parvenus en l’espèce la 177ème Pionierkompanie pour compléter le minage en vue de la destruction de quarante-deux ponts, de la Tour Eiffel, de l’Arc de Triomphe, des Invalides et de l’Opéra, du palais de Gabriel, du palais de l’Elysée, de la Chambre des Députés, du Palais du Luxembourg, du ministère des Affaires étrangères, de l’église de la Madeleine, de la cathédrale Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle pour ne citer que les principaux édifices (15).

    Un facteur humain, jusqu’ici négligé, permet d’expliquer pourquoi le 24 août 1944 à 7 heures du matin, von Choltitz n’a pas davantage donné suite à l’ordre de Hitler pourtant estampillé «Très Urgent, pour exécution» (AR GR B Ia 6504/44 24.8.44 0,45)

    A l’occasion du colloque de 1994, le général Jean Delmas, président de l’Institut d’histoire militaire comparée, a eu l’occasion de demander au professeur Klaus J. Müller si le général von der Chevallerie, commandant de la 1ère armée rescapée du Sud-Ouest de la France, était bien descendant de huguenot (16). Faut-il imaginer, à la réponse positive qui lui fut donnée, que l’on puisse apprécier l’éventuelle francophilie d’un officier supérieur de la Wehrmacht à l’aulne de l’existence d’ancêtres français ? Sinon, pourquoi le général Delmas a-t-il posé une telle question et pourquoi ce détail a-t-il été retranscrit dans les actes du colloque ?

    Les hasards de la généalogie m’ont fait parvenir un arbre généalogique armorié, présentant l’une des innombrables filiations de Louis IX le Saint. L’originalité de cet arbre réside dans le fait qu’il a été dessiné en 1941 à Leipzig par un obscur Ernst von Bressensdorf, né dans cette même ville le 26 octobre 1917. La famille de celui-ci conservait ainsi la mémoire de ses ancêtres français, au nombre desquels s’était illustré un certain Paul de Rapin-Thoyras (Castres 1661- Wesel 1725) qui est regardé par beaucoup de spécialistes comme le premier des historiens, grâce à sa magistrale Histoire d’Angleterre : six volumes publiés en 1724 à La Haye plus deux en 1725 et deux autres posthumes en 1727. La rédaction par un Français émigré par suite de la révocation de l’édit de Nantes, ayant longuement résidé en Angleterre au service de la famille royale mais alors établi sur le continent ne pouvait faire naître la suspicion de la complaisance des historiographes. Voltaire a même réservé un accueil flatteur à cette Histoire d’Angleterre et à son auteur en des termes laudateurs : «L’Angleterre lui fut longtemps redevable de la seule bonne histoire complète qu’on eût faite de ce royaume, et de la seule impartiale qu’on eût d’un pays où l’on écrivait que par esprit de parti ; c’est même la seule histoire qu’on pût citer en Europe comme approchante de la perfection qu’on exige de ces ouvrages, jusqu’à ce qu’enfin on ait vu paraître celle du célèbre Hume, qui a su écrire l’histoire en philosophe» (17).

    N’est-il pas un peu curieux de voir un jeune Allemand, alors officier des transmissions à Leipzig, orner son arbre généalogique d’un portrait du Roi Saint Louis, et d’y adjoindre le dessin de la Sainte-Chapelle entre autres édifices français comme la basilique Saint-Denis où sont ensevelis nombre de ses ancêtres royaux et le château d’Amboise ?
    Et que devient ce jeune Bressensdorf ?

    En 1944, il est affecté à Paris à l’état-major comme officier du chiffre, en charge des transmissions. Il profite de son séjour parisien pour poursuivre ses recherches généalogiques à l’Institut et fréquente la bibliothèque Mazarine, dans la perspective de compléter le travail de l’un de mes arrière arrière grands-pères, Raoul de Cazenove, auteur d’une étude sur Paul de Rapin-Thoyras et sa descendance, laquelle est éparpillée dans toute l’Europe. Adolescent, le jeune Ernst avait reçu à l’occasion de sa confirmation un exemplaire de cet ouvrage paru en 1866 et indiquant la postérité de l’historien arrêtée à 1865… une famille parfaitement européenne (18).

    Depuis janvier 1944, le sous-lieutenant Ernst von Bressensdorf est le chef du service de transmissions de l’état-major de von Choltitz à l’hôtel Meurice (19). Son nom apparaît un certain nombre de fois dans l’ouvrage de Lapierre et Collins (pp. 186, 288, 338, 384, 385, 408), son portrait est isolé dans une photo de groupe, mais contrairement à tous les autres membres de cet état-major allemand que Lapierre et Collins ont pu interroger Ernst von Bressensdorf n’est pas mentionné dans la liste des personnes remerciées (20), alors que ces auteurs ont pris soin de citer une de ses phrases du 25 août : «ces dernières minutes apportent «la perspective merveilleuse d’un nouveau commencement» (21). Cette lacune ne saurait donc être un oubli malencontreux mais ne peut que dissimuler quelque chose, quelque chose d’aussi important que la survie de cette personne par exemple.

    Pour que des ordres arrivent, il faut qu’ils soient transmis. Pour que des ordre codés soient transmis avec efficacité, il faut qu’il soient décodés. Ceux de Hitler ne sauraient déroger à ces deux règles.

    Or l’officier responsable des transmissions à l’hôtel Meurice était probablement à Paris l’Allemand le mieux renseigné sur ses origines françaises et ses racines européennes, celles-ci de la plus haute extraction puisque toutes les maisons d’Europe figurent dans son arbre généalogique. Cette même personne était responsable du Chiffre, c’est-à-dire ici du décodage des ordres reçus et à transmettre.

    Quel action particulière Ernst von Bressensdorf a-t-il pu commettre pour que Lapierre et Collins aient jugé utile de ne pas le remercier dans leur ouvrage, le faisant ainsi passer pour mort ? Une partie de l’explication est livrée par ces auteurs, dans leur note 1 de la page 288 relative à la réception du télégramme AR GR B Ia 6504/44 24.8.44 0,45 donnant l’ordre «pour exécution» et «très urgent» de ne livrer Paris à l’ennemi que sous la forme d’un champ de ruines :

    «Cet ordre était tombé sur le téléscripteur du Meurice vers une heure du matin. Le premier à en avoir pris connaissance avait été le lieutenant Ernst von Bressensdorf, chef des transmissions, de service cette nuit-là. Atterré par son contenu, l’officier avait décidé, bien que cet ordre portât la mention «KR Blitz» (très urgent) de retarder le plus longtemps possible sa transmission à son destinataire. Au lieu de faire réveiller le général von Choltitz, Bressensdorf avait conservé ce télégramme dans sa poche et ce n’est qu’à 6 heures du matin qu’il le remit au lieutenant baron von Arnim. Bressensdorf était persuadé que cet ordre aboutirait à la destruction de Paris et, qu’après son exécution, les Allemands qui viendraient à tomber entre les mains des Français seraient massacrés par représailles. Vingt ans plus tard, devant les auteurs de ce livre, Bressensdorf reconnaîtra qu’il redoutait d’être lui-même fait prisonnier et de connaître ce sort» (22).
    Sa femme Ricarda née Kayer, épousée le 5 juin 1943, ne prend connaissance de ce fait qu’au moment des entretiens avec Lapierre et Collins… c’est dire assez de l’état d’esprit de Bressensdorf et de la crainte perpétuelle dans laquelle il vivait.

    Après la libération de Paris, il avait été interné dès octobre 1944 au Camp Ruston en Louisiane, d’où il sortira en novembre 1945 avec un certificat de «Selected Citizen of Germany». Nul doute qu’il a été soigneusement interrogé et ses assertions comparées à celles de von Choltitz qui était entre les mêmes mains et auquel on a demandé de détruire ses archives. Là réside peut-être une partie de l’explication du «flou» des versions de ce dernier, lesquelles ne sont certainement pas contradictoires mais peuvent être regardées comme complémentaires : pourquoi rechercher à tout prix une seule et solide justification alors qu’une multitude de «petites» considérations produit le même résultat ?

    En effet, à partir de 1963, Bressensdorf commence à parler de ce qu’il a fait, ou plutôt pas fait. Seulement, un détail de date et d’heure a attiré mon attention, probablement plus pointilleuse que celle de tous les autres qui m’ont précédés : Dans l’interview qu’il donne dans le film «Kampf um Paris» rediffusé par la ZDF le 22 août 1994 au soir par exemple, Ernst von Bressensdorf place l’arrivée du télégramme qu’il a retenu le 22 août à 20 heures et sa transmission effective à von Choltitz le 23 au matin. Ces mêmes dates et heures sont publiées dans le Stanberger Merkur du mercredi 3 août 1994 et dans les différents écrits, autographes ou non, qui concernent la biographie de Bressensdorf (23).

    Or Lapierre et Collins ne précisent d’aucune façon la manière dont le télégramme N°772989/44 du 23.8.44 à 11.00 heures est parvenu entre les mains de von Choltitz, ni même si les dates et heures qui figurent sur ce document sont celles de l’expédition ou celles de la livraison… Il est peu vraisemblable que l’ordre retenu par Ernst von Bressensdorf soit celui-là, qui a eu pour effet l’incendie du Grand-Palais (24). En effet, ces auteurs rapportent, sur le témoignage du général Warlimont, les conditions dans lesquelles il a été dicté par Hitler le 22 août à 24 heures (et non pas 20 heures). Ils ne donnent pas davantage d’information sur l’arrivée ou l’émission de télégrammes dans la journée ou la soirée du 22 août : le message antérieur qu’ils mentionnent est le N°772956/44 émis le 20 août à 23 heures 30.

    Il est donc assez certain que l’ordre intercepté par Bressensdorf le 22 août au soir soit précisément celui que Pierre Messmer évoque dans son discours de clôture du colloque de 1994 : «Hitler avait donné l’ordre non de défendre, mais de détruire Paris : «Paris sera transformé en un tas de décombres» (ordre du 22 août signé Hitler, transmis par radio à von Choltitz)» (25). Ces indications confortent la version que von Bressensdorf donne aux différents médias allemands ; la lecture de l’ordre par lui reçu et décrypté ne peut que soulever l’effroi : «Apporter sur le territoire dépendant du Commandement du Gross-Paris les destructions les plus étendues possibles et principalement détruire les soixante-deux ponts qui s’y trouvent. Exercer les représailles les plus étendues et les plus sanglantes si des coups de feu sont tirés sur les troupes allemandes. Evacuer Paris avoir causé ces destructions et si les pertes allemandes s’élèvent à 30% du montant des effectifs» (26). C’est là l’ordre radio de détruire Paris du 22 août qu’évoque Pierre Messmer et dont la transmission à von Choltitz a été retardée d’une douzaine d’heures par Ernst von Bressensdorf.

    Après avoir retenu dans sa poche cet ordre pendant toute la nuit du 22 au 23 août, Bressensdorf n’a pas eu d’autre possibilité que de remettre cet ordre en mains propres à son général pour ne pas ébruiter ce que certains regardent comme de la trahison. D’un autre côté, von Choltitz n’avait visiblement aucune envie de recevoir un tel ordre ! Ce dernier a jeté un rideau de fumée destiné à ses supérieurs hiérarchiques en déclenchant l’incendie du Grand-Palais en guise de réponse à l’autre ordre qui lui est parvenu le 23 à 11 heures, et qui ne pouvait pas avoir été «contrôlé» par Ernst von Bressensdorf : il ne pouvait pas être de service vingt-quatre heures sur vingt-quatre et les gardes se sont alternées. De nouveau de service la nuit suivante, Ernst von Bressensdorf a de nouveau retenu l’ordre formel «pour exécution» : cette mention ne semble pas figurer sur l’ordre arrivé de jour le 23 à 11 heures.

    Il faut donc se résoudre à ce que Bressensdorf ait retenu non pas un mais deux ordres, deux nuits de suite… ce qui n’est pas sans cohérence avec un autre détail, mentionné par Irène Close (27), d’après laquelle Bressensdorf avaient demandé en 1963 aux auteurs de Paris brûle-t-il de ne mentionner que le plus discrètement possible son action, désir auquel ils auraient accédé. La description des faits que Lapierre et Collins rapportent (28) est donc «inférieure» à la réalité, réalité qu’il faut soupçonner de deux ordres, deux nuits de suite.

    Nous avons donc un contexte parisien particulier où une certaine francophilie s’est progressivement emparée de l’état-major allemand qui y réside. Fraîchement arrivé au plus haut commandement, Dietrich von Choltitz n’a pas tardé à succomber au même charme. Capable de s’exprimer en français, il semble davantage préoccupé par la sécurité des troupes allemandes en situation de replis plutôt que de mettre la ville à feu et à sang comme il le promet de temps à autre. Ceci d’autant plus que son Führer Adolf Hitler lui avait tout dernièrement administré la preuve de la fragilité de son état mental —pour ne pas dire sa démence— après l’attentat du 20 juillet auquel il avait échappé par miracle. La liste des usines, des centraux électriques et de distribution d’eau («les soldats allemands eux-aussi boivent de l’eau»), des ponts («les soldats allemands eux-aussi empruntent les ponts pour se replier»), des bâtiments publics, des monuments civils ou religieux et des symboles de civilisation à faire disparaître par dynamitage était telle qu’elle ne pouvait qu’entraîner le rejet instinctif chez tout être humain normalement constitué.

    Le sentiment d’avoir «déjà entendu ça» s’empare de celui qui apprend que Werner Ebernach, jeune capitaine de 34 ans, a sublimé son incapacité à réaliser son rêve de devenir architecte en devenant un spécialiste reconnu de la destruction tout spécialement choisi avec sa 813ème Pionerkompanie pour mettre en place ces dynamitages : «ils entendront le bruit jusqu’à Berlin!» (29). Mais la liste complète des destructions programmées, avec le tonnage d’explosif affecté à chaque objectif, ne peut laisser indifférent : elle n’est d’ailleurs pour ainsi dire jamais clairement énoncée in extenso : Lapierre et Collins, les plus exhaustifs sur ce sujet, consacrent cinq pages à traiter ce sujet (30).

    A de très nombreuses reprises, Dansette donne des indications étonnantes sur la francophilie de Dietrich von Choltitz : après avoir fait preuve de sa sensibilité à la description des principaux monuments de Paris le 16 août à 12 h. 30 par M. Taittinger, président du conseil municipal de Paris (31), il accède aux demandes relatives à la sauvegarde des sites de production de gaz et d’électricité qu’il fait déminer et veille à maintenir un minimum de ravitaillement pour la population (32). Après l’attentat du 20 juillet et le limogeage de Boinenbourg, les officiers de l’état-major du Gross-Paris avaient pris l’habitude de garder leurs commentaires pour eux-mêmes. Von Choltitz est arrivé à Paris précédé de sa réputation d’homme dur et dévoué à Hitler, mais ses vrais sentiments ont été tout le contraire (33) ils éclatent dans sa proclamation qu’il fait lancer par avions au début de l’insurrection, le 21 août : «…Staline, lui, aurait mis le feux aux quatre coins de la ville. Il nous serait aisé de quitter Paris après avoir fait sauter tous les dépôts, toutes les fabriques, tous les ponts et toutes les gares, verrouiller, la banlieue aussi efficacement que si elle était encerclée. Vu le manque de ravitaillement d’eau et d’électricité, cela signifierait en moins de vingt-quatre heures une catastrophe épouvantable. Ce n’est pas à vos usurpateur ni à vos comités rouges que vous devez de rester préservés de ce sort, pas plus qu’aux troupes américaines et anglaises qui n’avancent que pas à pas et arriveront trop tard pour vous protéger.. Vous le devez aux sentiments d’humanité des troupes allemandes, qu’il ne faudrait toutefois pas pousser à bout de patience. Vous le devez à notre amour pour ce foyer merveilleux de culture européenne, à notre pitié pour les Français raisonnables, pour les femmes et les enfants de Paris…» (34). Mais le retard avec lequel Bressendorf lui a délivré le 23 le télégramme daté du 22 au soir n’a pas pu échapper à von Choltitz ni à d’autres : le maréchal Model, commandant en chef sur le front ouest, confirme la chose en requérant «le 28 août 1944 auprès du président du tribunal militaire du Reich l’application d’une action contre le général von Choltitz et autres pour insubordination…» (35).

    C’est ainsi qu’une certaine lumière peut être apportée sur les réponses apportées par le général von Choltitz à la question «pourquoi n’avez-vous pas obéi aux ordres de mise en action des dispositifs de destruction de Paris ?», dévoilant ainsi une partie du «mystère Choltitz» relevé par Dansette en son temps (36) :

    1) parce que cet ordre était, dans sa globalité, d’une teneur échappant à la nature humaine en ayant été imaginé par un malade mental, ce que von Choltitz avait personnellement constaté ;

    2) parce que le 21 l’ordre parvenu (N°772956/44 du 20/8 à 23h30) concernait non pas la mise en œuvre immédiate du dynamitage des usines et des ponts —lequel eut nécessairement oblitéré la mise en œuvre des destructions des monuments de Paris qui n’étaient pas encore sabotés— mais la réalisation de ces préparatifs de sabotages ;

    3) parce que aucun ordre n’est parvenu le 22 dans la journée, et que l’ordre d’Hitler d’«apporter les destructions les plus étendues» transmis par radio dans la soirée n’a pas été immédiatement transmis par von Bressendorf mais a été remis à von Choltitz le 23 au matin quasiment en même temps que le N°772989/44 à 11 heures. Von Choltitz a alors délibérément choisi de limiter son action au Grand-Palais en utilisant des obus perforants et incendiaires et non pas explosifs qui auraient causé des dégâts infiniment supérieurs (37) et de ne pas recevoir Werner Ebernach qui cherchait à lui faire savoir que tous les dynamitages étaient désormais opérationnels : l’on peut volontiers imaginer que l’exemple de résistance passive que venait de lui administrer le jeune Ernst von Bressensdorf avait fini de convaincre le général, bien mieux que le silence embarrassé que lui avait réservé son camarade de promotion le colonel Hans Jay consulté sur la conduite à tenir à réception de cet ordre (38) ;

    4) par ailleurs, et contrairement à l’ordre transmis par radio, cet ordre N°772989 du 23/8/44 à 11 h. ne contient pas d’instruction formelle de destruction, celle-ci est subordonnée à l’entrée des troupes alliées : «La destruction des ponts de la Seine sera préparée. Paris ne doit pas tomber aux mains de l’ennemi, ou l’ennemi ne doit trouver qu’un champ de ruines» ;
    5) La transmission de l’ordre suivant, du 24/8/44 à 0h45 portant la mention «pour exécution», est une fois de plus retardée par Ernst von Bressensdorf qui ne le délivre qu’à six heures du matin à son camarade le lieutenant comte Dankvart von Arnim qui ne fera pas réveiller spécialement von Choltitz.

    Quel serait le qualificatif le plus approprié pour décrire la conduite deux fois constatée du sous-lieutenant Ernst von Bressensdorf ?
    Haute trahison récidivée en temps de guerre ?
    Désobéissance répétée d’une intelligence et d’un courage extraordinaires ?

    Le général von Choltitz a sans aucun doute choisi de couvrir son subordonné qui lui apporte sur un plateau d’argent à la fois l’exemple du courage et le prétexte pour ne pas exécuter l’ordre pourtant formel du 24 août à 0h45 : six heures après il est parvenu trop tard et en est devenu inapplicable. Ebernach n’a plus qu’à se replier avec ses hommes dans la nuit du 24 au 25 sans avoir obtenu l’instruction de mettre à feu ses dispositifs, alors que les toutes premières troupes alliées pénètrent dans un Paris déjà insurgé depuis de nombreux jours.

    Après les péripéties de la Libération, von Choltitz et von Bressendorf sont transférés aux U.S.A. et leurs versions des faits soigneusement vérifiées. Bressensdorf est interné dès octobre 1944 au Camp Ruston en Louisiane, d’où il sortira en novembre 1945 avec un certificat de «Selected Citizen of Germany» (39). Il y a certainement fait état de ses actes de «résistance passive» et a peut-être été confronté à son général : leurs lignes de conduite respectives ont sans doute été mises au point à ce moment-là et les archives permettant de mettre en doute les versions «officielles» détruites sur ordre des autorités américaines : ce n’est par exemple qu’en 1963 que Madame Bressensdorf apprendra les actes de résistance passive de son mari.

    Personne d’autre que ces services alliés ne s’est jamais enquis de la teneur de la discussion qui a obligatoirement suivi la remise du premier télégramme retenu dans la nuit du 22 août à von Choltitz puisque Lapierre et Collins ne mentionnent que la deuxième rétention… et il est désormais trop tard pour interroger les acteurs de ce moment décisif où un jeune officier francophile doit expliquer à son général pourquoi il a trahi son Führer.

    En effet, comment mettre en évidence le fait que la libération d’un Paris intact soit pour partie dû au courage personnel d’un Allemand dont les ancêtres avaient été chassés de France pour cause de religion ?

    Comment expliquer et justifier qu’une double trahison puisse être légitimement commise en temps de guerre avec intelligence et courage ?

    Voilà pourquoi von Choltitz se tait ou dit vague et n’explique pas pourquoi il n’a pas voulu détruire Paris. Voilà pourquoi Lapierre et Collins ne remercient pas Ernst von Bressendorf. Voilà pourquoi le professeur Johnson est en état de faire de l’humour sur la contribution de von Choltitz à la libération de Paris.

    Mais n’est-ce pas là l’un des plus splendides exemples de la condition humaine, qui nous révèle que l’une des plus exceptionnelles constructions humaines, celle communautaire de l’Europe avec sa monnaie unique, construction dont on est en droit d’espérer qu’elle mette fin à deux millénaires de guerres fratricides, n’aurait pas été possible sans le courage et la clairvoyance d’un seul homme, homme fier de ses ancêtres répartis dans toute l’Europe et connaissant ses cousins également répartis dans cette même Europe, mais homme agissant seul au soir noir de l’Histoire, homme seul dans la nuit face à sa conscience, pour bloquer au péril de sa vie (et de celle de sa famille restée en Allemagne) la transmission de la folie destructrice d’Hitler.

    Guy Pedroncini, directeur de l’Institut d’histoire de défense, estimait dans sa conclusion au colloque de 1994 : «La confrontation souvent rude de points de vue différents permet de «parvenir à une vérité plus haute», qui surprend parfois. La libération d’un Paris intact, fait essentiel qui a facilité une réconciliation franco-allemande, a aidé à la construction de l’Europe. Dans une perspective historique large, on peut même se demander si elle n’a pas commencé à naître avec la libération de Paris» (40).

    Puissions-nous, en tant que citoyens d’Europe, nous faire à l’idée que l’action de Ernst von Bressensdorf relève de cette «vérité plus haute» et puissions nous conserver et honorer la mémoire de ce facteur humain.

    J’espère avoir répondu à vos questions

  • Diex Aïe ! , 18 juin 2013 @ 18 h 52 min
  • Alain Cavaillé , 18 juin 2013 @ 19 h 05 min

    On reste confondu devant le cynisme de ces Polonais qui ont été trop heureux de voir les Juifs, classe largement dominante à cette époque et donc très mal subie par les autochtones, d’abord parqués comme des animaux, et ensuite “volatilisés”….Les Polonais savaient d’autant mieux ce qui se passait que les camps d’extermination se trouvaient chez eux. Donc, il est quand-même très étrange que les troupes américaines et russes “aient découvert” ces camps de la mort avec horreur, alors que tout le monde était au courant en Pologne !
    Qu’ils viennent la ramener 70 ans plus tard est d’une indécence absolue…

  • Louis A. F. G. von Wetzler , 18 juin 2013 @ 19 h 20 min

    “Un petit film”, je voix que vous avez introduit “Hitler un homme d’honneur”, tout a fait épouvantable, d’honneur le petit caporal qui avec Stalin, Mao sont entre les plus criminels hommes du XX siécle. A la memoire de ma tante Hedwig von Böhm, née v. Wetzler morte à Buchenwald, je crois que vous êtes fou et sans goût, et la moindre classe.

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