L’Irlande pourrait libéraliser sa loi anti-avortement sous la pression de simples conjectures médiatiques

Photo Wikimedia Commons : l’hôpital où Savita Halappanavar est décédée le 28 octobre 2012 à Galway, en Irlande.

La mort par septicémie dans un hôpital irlandais d’une jeune indienne enceinte de 17 semaines a été largement commentée par les médias européens et mondiaux après un article publié par la journaliste Kitty Holland dans le quotidien irlandais The Irish Times. Selon cet article, Savita Halappanavar, une dentiste de 31 ans résidant avec son mari Praveen en Irlande, se serait vu refuser un avortement par le personnel de l’hôpital où elle s’était présentée en raison de fortes douleurs dans le dos, ceci alors que les médecins lui auraient affirmé que son bébé était en train de mourir et qu’il n’avait aucune chance de survie. Toujours selon la journaliste Kitty Holland, les médecins auraient dit à la jeune femme qu’ils ne pouvaient pas forcer une fausse couche tant que le cœur du bébé battait encore parce que l’Irlande est un pays catholique où l’avortement est interdit.

Tout était donc clair pour les mouvements pro-avortement et pour les grands médias qui ont pu hurler en cœur à la barbarie catholique irlandaise en publiant cette version des faits.

Des incohérences dans les informations reprises par les médias mainstreams. La journaliste Kitty Holland, à l’origine du scoop, prend ses distances avec son premier article.

Mais sait-on vraiment ce qui s’est passé au Galway University Hospital entre l’arrivée de Savita le 21 octobre et sa mort une semaine plus tard ? Le 17 novembre dans The Observer, la journaliste Kitty Holland reconnaissait qu’il n’y avait pas de lien établi entre le refus d’avortement supposé et la mort de Mme Halappanavar, ce qui contredisait déjà son premier article publié le 14 novembre dans The Irish Times.

Interrogée par le journaliste Marc Coleman sur la radio Newstalk 106 à propos des incohérences relevées dans les informations sur la chronologie des soins prodigués à la jeune femme, la journaliste explique que l’affirmation selon laquelle les médecins avaient refusé un avortement à la jeune femme n’était qu’une citation des déclarations du mari. De même, tout son article du 14 novembre à l’origine des pressions pour libéraliser l’avortement en Irlande était fondé exclusivement, comme l’avoue Kitty Holland elle-même, sur les déclarations du mari de la défunte. Kitty Holland explique avoir voulu dans son article du 17 novembre prendre du recul par rapport à ces déclarations et dire haut et fort (sans, malheureusement, que les agences de presse et les grands médias européens ne l’entendent) que ni le refus d’un avortement ni le lien entre l’absence d’avortement et le décès de Savita Halappanavar n’étaient prouvés. Pour sa défense, la journaliste Kitty Holland avance que ce n’est pas elle, mais sa rédaction, qui a choisi le titre de son article (« Woman ‘denied a termination’ dies in hospital », c’est-à-dire « Une femme ‘à qui on a refusé une IVG’ meurt à l’hôpital ») à l’origine de la version des faits qui a fait le tour du monde.

Parmi les incohérences relevées en ce qui concerne les soins effectivement prodigués, dans son interview avec le mari de Savita et dans ses deux articles, Kitty Holland donne trois dates différentes pour le début du traitement par antibiotiques de la patiente, ceci alors que sa mort de septicémie serait aussi due, d’après les militants pro-avortement, à des soins prodigués trop tard. Pire encore, alors que la famille de Savita, dont les allégations ont été publiées par Kitty Holland, affirme que Savita et Praveen avaient demandé une IVG pour sauver la jeune femme, la documentation de l’hôpital ne contient aucune trace d’une telle demande et Kitty Holland reconnaît ne pas être sûre qu’un avortement ait effectivement été demandé (et donc refusé). « Je ne suis sûre de rien », déclare Kitty Holland, dans l’interview, « et j’attends comme tout le monde les résultats de la commission d’enquête ».

L’avortement est déjà autorisé en Irlande lorsqu’il est nécessaire pour sauver une femme enceinte. L’accès à l’avortement va-t-il être libéralisé contre la volonté du peuple irlandais ?

En 1992, un jugement rendu par la Cour suprême irlandaise reconnaissait officiellement le droit pour une femme de se faire avorter lorsque sa grossesse met ses jours en dangers. Aucun gouvernement irlandais n’a cependant fait voter de loi pour préciser les conditions dans lesquelles les médecins pouvaient procéder à un avortement sans risquer des poursuites judiciaires. Néanmoins, sur la base de la jurisprudence de la Cour suprême, les hôpitaux irlandais pratiquent des avortements lorsqu’il faut sacrifier la vie de l’enfant pour sauver sa mère. Contrairement à ce que laissent entendre les grands médias français et européens, l’Église catholique ne condamne pas non plus l’avortement lorsque celui-ci n’est pas l’objectif recherché par une intervention médicale mais la conséquence non désirée des soins prodigués à la femme enceinte pour préserver sa vie. L’Église catholique ne met pas la vie du fœtus au-dessus de la vie de sa mère. Si les allégations de la famille de Savita Halappanavar s’avèrent véridiques, cela signifiera que le personnel médical du Galway University Hospital a commis une grave erreur médicale et a agi en contraction avec le droit irlandais et la conscience catholique.

Néanmoins, l’Église d’Irlande et les défenseurs du droit à la vie s’inquiètent aujourd’hui. Non pas parce que le gouvernement irlandais s’apprête à préciser dans une loi les conditions qui autorisent l’avortement pour sauver la vie de la femme enceinte, mais parce qu’il semble vouloir profiter de l’occasion pour libéraliser l’accès à l’avortement en introduisant le risque de suicide de la femme enceinte comme circonstance autorisant les médecins à tuer le fœtus qu’elle porte. Ceci sur la base d’un cas dont les détails n’ont pas encore été définitivement établis, sous la pression de l’Europe et contre la volonté du peuple irlandais exprimée dans trois référendums successifs. Ce serait la porte ouverte à une dérive vers l’IVG à volonté sur le modèle de ce qui est pratiqué dans la plupart des pays européens. Ainsi, quand l’Espagne interdisait en théorie l’avortement mais qu’elle l’autorisait si la santé mentale de la femme enceinte était menacée, ce pays procédait à environ cent mille avortements par an, parmi lesquels les avortements les plus tardifs d’Europe.

Il mérite aussi d’être souligné que l’Irlande, comme la Pologne qui interdit aussi l’avortement pour raisons socio-économiques ou sans motif, a un des taux de mortalité liée à la maternité les plus faibles d’Europe, bien en dessous de la moyenne européenne.

>>> L’interview intégrale de Kitty Holland sur Newstalk 106 (en anglais). <<<

Lire aussi :
> Comment le Conseil de l’Europe impose l’avortement à l’Irlande et à la Pologne
> Le parlement polonais va-t-il restreindre encore plus les possibilités d’avorter ?
> Espagne : une nouvelle loi sur l’avortement promise avant octobre

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1 Comment

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  • Frédérique , 27 décembre 2012 @ 23 h 26 min

    “Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose”. Les journalistes comme Kitty Holland le savent et s’en servent en toute impunité.

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