Faut-il interdire la fécondation in vitro ?

C’est une question qui fait débat en Pologne, un pays où, si l’accès avortement est plus restreint que dans les autres pays européens, il n’y a toujours pas de loi de bioéthique, ce qui permet en théorie tous les excès en matière de fécondation in vitro : recherches sur les embryons, eugénisme, mères porteuses, etc. Depuis quinze ans que des projets de loi bioéthique sont en discussion, les grands partis politiques n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord et l’actuelle coalition gouvernementale (le parti « libéral » PO, avec une aile libérale et une aile conservatrice, et le parti « paysan » PSL, plutôt conservateur) est elle même divisée sur le sujet. La question avait été débattue par le parlement précédent en 2010, avec 6 projets de loi présentés par les sociaux-démocrates du SLD, les libéraux du PO et les conservateurs du PiS, des projets qui allaient des solutions les plus permissives (fécondation in vitro autorisée avec possibilité de création d’embryons multiples, de congélation, de sélection et de destruction des embryons, méthode accessible à tous les couples, y compris homosexuels) aux plus restrictives (interdiction totale de la fécondation in vitro et possibilité d’adopter, pendant une période transitoire, les embryons déjà congelés, peine de 2 ans de prison en cas de création d’embryons par fécondation in vitro, de 3 mois à 5 ans en cas de destruction des embryons, de leur utilisation pour des recherches scientifiques, de leur commercialisation ou de pratiques eugéniques). Puis ses priorités électorales ayant changé, la majorité PO-PSL a rangé le sujet au placard pour près de deux ans, avant de le remettre récemment sur la table.

Aujourd’hui, le parti PO au pouvoir discute de deux projets : l’un autoriserait la fécondation in vitro avec des embryons surnuméraires. Les embryons en trop devront être congelés et ne pourront pas être détruits ni utilisés pour des expérimentations médicales, et la fécondation in vitro sera accessible uniquement aux couples hétérosexuels, mariés ou non. Le deuxième projet, dont l’auteur est l’actuel ministre de la justice Jaroslaw Gowin qui incarne l’aile conservatrice du PO, autoriserait lui aussi la fécondation in vitro mais en assurant une meilleure protection légale des embryons : interdiction de créer des embryons surnuméraires, de les congeler et de les sélectionner. Il serait possible de créer deux embryons au maximum, à condition que les deux soient réimplantés dans l’utérus de la mère, et la méthode in vitro serait réservée aux couples mariés.

Le parti majoritaire étant divisé sur la question et son partenaire PSL penchant plutôt pour le deuxième projet, l’opposition conservatrice pourrait, si elle soutient le projet Gowin, conduire à son adoption. Cependant le PiS prône l’interdiction totale de la méthode in vitro et son remplacement par les méthodes naturelles de procréation, et notamment la naprotechnologie, qui sont seules compatibles avec la foi catholique que professent ouvertement les dirigeants du parti. La position des conservateurs pourrait cependant évoluer puisque, d’une part, les évêques polonais ont fait plusieurs déclarations suggérant que la loi proposée par Jaroslaw Gowin serait un grand pas en avant par rapport à la situation actuelle où la question de la fécondation in vitro n’est pas réglementée et, d’autre part, le PiS lui-même propose une table ronde pour discuter avec le PO et le PSL d’un projet de loi commun, laissant entendre qu’il serait prêt à accepter un compromis sur la question.

Après toutes ces années de situation paradoxale d’un pays où la foi catholique est très vivante (mais pas forcément majoritaire contrairement aux idées reçues) et où la personne humaine est respectée dès sa conception puisque les conditions autorisant un avortement sont beaucoup plus restreintes qu’ailleurs en Europe, mais où rien n’est interdit en ce qui concerne la fécondation in vitro et la recherche sur les embryons, espérons que cette fois les députés et sénateurs polonais respectueux de la vie humaine sauront trouver un compromis comme cela avait été le cas en 1993 quand il avait fallu limiter l’accès à l’avortement et faire évoluer les consciences après un demi-siècle de communisme.

De notre correspondant permanent en Pologne.

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