« M.E.S. : un pare-feu permanent et efficace ! »

Tribune libre de Jean-Yves Naudet*

C’est par ces paroles viriles, dignes d’un pompier pyromane, que Jean-Claude Juncker, Président de l’Euro groupe, a salué le lancement officiel du MES (Mécanisme européen de stabilité), baptisé par l’AFP la « principale arme anti-crise » de la zone euro.

Il est vrai qu’avec 700 milliards d’euros, il y a de quoi faire peur aux « méchants marchés » et aux « spéculateurs sans cœur ». Sauf que cet argent ne vient pas du ciel, mais en partie de capitaux propres apportés par les États et en partie d’emprunts garantis par les États. De nouvelles dettes pour éponger la dette existante, cela s’appelle « la cavalerie ». 

FESF, MESF, MES, TSCG : le S de la stabilité

Il faut d’abord saluer la constance des eurocrates et des dirigeants politiques. Pour sauver la zone euro, ils avaient créé le FESF, Fonds européen de stabilité financière, et, pour sauver l’union européenne, le MESF, Mécanisme européen de stabilité financière. Voilà maintenant le MES, Mécanisme européen de stabilité, qui va sauver une nouvelle fois la zone euro, en lien avec le TSCG, Traité sur la Stabilité, la coordination et la gouvernance.

On admirera au passage la subtilité des eurocrates, leur art du sigle, qui permet de changer tout en conservant l’essentiel, qui, visiblement, est contenu dans le mot « stabilité », dont chacun peut admirer jour après jour sa réalité : tout est devenu stable, même la croissance qui reste résolument stabilisée à 0%.

Le MES, le bébé le plus récent, mais sans doute pas le dernier-né, a été décidé fin 2010, pour faire face à la crise grecque, et il a été officiellement inauguré le 8 octobre 2012 pour devenir opérationnel le 12. On admirera la riposte fulgurante à la crise : deux ans pour le mettre en place, on voit que le temps politique et celui du marché ne fonctionnent pas à la même horloge. On croit en général que le nouveau mécanisme remplace le FESF, mais d’une part les prêts non encore utilisés du FESF (200 milliards) se rajoutent aux 500 milliards du MES, portant le total à 700 milliards. Ensuite absorber le FESF ne le fait pas disparaître ; certes, il ne pourra plus financer de nouveaux programmes à partir de mi-2013, mais il poursuit ses programmes de prêts au Portugal, à l’Irlande et à la Grèce et il faudra bien longtemps pour que les obligations créées arrivent à échéance. Les Européens adorent les usines à gaz : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

700 milliards, pour quoi faire ?

Les médias ont aussitôt parlé d’un FMI européen, référence très rassurante vu l’efficacité dudit FMI. Le but est simple : intervenir sur les marchés et aider un État membre à échapper à la faillite. Il y a juste une condition : que le dit État ait ratifié le pacte budgétaire (dont la fameuse règle d’or limitant le déficit public à 0,5% du PIB. Autrement dit, les États en quasi-faillite vont jurer, sur tous les dieux de l’Olympe, qu’ils respecteront désormais les engagements qu’ils n’ont jamais tenus à l’égard du traité de Maastricht, qui pourtant limitait les déficits à 3 % du PIB.

L’idée du MES est lumineuse : un pays surendetté, qui devrait normalement payer des taux d’intérêt élevés, en raison de la prime de risque, va faire appel aux fonds du MES pour payer moins cher, puisque le MES prêtera à des taux bonifiés, ne tenant pas compte du risque. Cela suppose que le MES ait des moyens financiers, et soit prêt à les risquer sans contrepartie. Pour les moyens : le MES aura des capitaux propres, pour un montant de 80 milliards, apportés par ses « actionnaires » qui sont les États (endettés). Ainsi, la France, qui a un peu plus de 20% des parts, devra apporter 16 milliards en capitaux propres. Nous devrons les verser en trois tranches entre 2012 et 2014. Les 620 milliards restants seront des capitaux appelés, c’est-à-dire empruntés sur les marchés au fur et à mesure des besoins. Soit pour la France, environ 126 milliards.

Quant au risque, il aura disparu comme par enchantement. En effet la France se contente de donner sa garantie. Elle ne devra passer à la caisse que si l’État débiteur qui a reçu un prêt ne le rembourse pas. Hypothèse, on s’en doute, hautement improbable, comme dans le cas de la Grèce, qui a rempli son tonneau des Danaïdes avec des sommes pharaoniques, et dont le premier ministre, A. Samaras, vient d’annoncer qu’il n’est pas possible pour son pays de tenir au-delà de la fin novembre. « Les caisses sont vides », dit-il, ce qui ne manquera pas de rassurer ses prêteurs et ceux qui ont apporté « seulement » leur caution.

La réactivité du MES

Le MES va donc monter en puissance peu à peu, jusqu’aux 700 milliards, au fur et à mesure que rentreront les fonds propres, qui doivent représenter toujours 15% des fonds empruntés. Le MES va pouvoir financer beaucoup de choses : renflouer un État en empruntant à sa place, racheter de la dette d’État, ou encore recapitaliser les banques, en accordant un prêt au gouvernement, etc. Qu’on se rassure : si on estime que 700 milliards ne suffisent pas, les États pourront décider d’augmenter les dotations.

Sans doute ces facilités ne seront-elles pas automatiques. Il faudra que l’État présente sa requête au Président de l’Euro groupe. Il faudra que le risque financier soit évalué par la BCE et la Commission européenne en lien avec le FMI. Un mémorandum précisera les conditions notamment économiques du prêt, avant que le MES ne fasse une proposition à l’Euro groupe. Condition imposée par les Allemands : le Bundestag devra aussi donner son accord. Le tout devrait prendre… quelques semaines ou quelques mois. Mais les marchés et la « spéculation » attendront poliment la fin de ce processus sous bonne garde de la Commission, de la BCE, de l’Euro groupe : du solide !

Rembourser les dettes en s’endettant

Que dire de plus ? Que tout n’est pas réglé, par exemple que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ne veulent pas qu’on puisse aider les banques qui étaient déjà en difficultés avant l’entrée en vigueur du mécanisme. Ce sont des détails que l’on tient en haut lieu pour négligeables…

Mais peut-on passer sous silence la logique de cette idée de pare-feu, avancée par Jean-Claude Juncker ? Nous avons montré il y a peu la fuite en avant que représente l’intervention de plus en plus musclée de la BCE, visant à créer de la monnaie pour éponger les dettes publiques de plus en plus nombreuses et de moins en moins crédibles.

Voici le remède complémentaire et indissociable : soigner le mal par le mal, le surendettement des États les plus fragiles par l’endettement accru de tous, fragilisant ainsi les plus solides eux-mêmes.

M. Juncker l’a clairement indiqué : « Le MES n’est pas un instrument isolé. Il s’intègre dans un ensemble ». L’ensemble comprend donc à la fois la fuite consistant à soigner la dette par de nouvelles dettes, et le remède ultime, noyer le tout sous les liquidités et donc l’inflation à terme. Cette méthode a fait la réputation de Madoff : des fonds doivent entrer à tout moment dans le circuit pour rembourser les créanciers. C’est même mieux que du Madoff : puisque ceux qui approvisionnent le système sont aussi ceux qui le ruinent, et que l’approvisionnement est garanti par l’émission de monnaie !

Bref, c’est de la cavalerie, un délit en droit privé commercial, mais un « pare-feu » en droit public européen. Quelques naïfs peuvent toujours croire que la règle d’or mettra fin à l’escroquerie européenne. Impôts et inflation seront au rendez-vous : qui paiera ?

*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.

> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.

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