Traces de matériaux explosifs découvertes sur des débris de l’avion du Président polonais : deux versions des faits

Photo Wikimedia Commons : une partie des débris sur le site de la catastrophe

La nouvelle publiée mardi par le quotidien conservateur Rzeczpospolita (lire l’article), selon laquelle les experts polonais revenus il y a deux semaines d’un mois passé à travailler sur les restes de l’épave du Tu-154 qui s’était écrasé le 10 avril 2010 avec le président polonais Lech Kaczyński et 95 autres personnes à son bord auraient découvert des traces de matériaux explosifs, après avoir fait l’effet d’une bombe pendant plusieurs heures, a été formellement démentie par les procureurs responsables du dossier. Formellement ? Pas tout à fait. Les procureurs ont bien reconnu qu’ils avaient détecté des traces d’éléments qui pouvaient indiquer la présence de TNT et de nitroglycérine mais ils ont aussi précisé que la présence de ces éléments pouvaient être due à un contact avec d’autres composants chimiques (l’épave a d’ailleurs été lavée par les autorités russes avant les commémorations d’avril 2012, au grand dam des Polonais) et que les conclusions du journal Rzeczpospolita étaient hâtives. Le journaliste auteur de la fuite maintient quant à lui sa version en assurant détenir ses informations de quatre sources différentes qu’il sait être des sources très fiables mais qu’il ne saurait désigner pour ne pas les mettre en danger.

Au final, le parquet militaire annonce qu’il faudra attendre encore six mois (soit trois ans après la catastrophe !) pour connaître les résultats finaux de ses analyses, mais que les échantillons prélevés sont… en Russie. Les procureurs annoncent donc qu’ils vont tâcher de les faire venir en Pologne dans le cadre de l’entraide judiciaire. Sachant que la Pologne n’a jamais pu obtenir que lui soient rendues l’épave de l’avion et les boîtes noires, on peut douter de l’efficacité de la procédure, surtout s’il y a vraiment des traces compromettantes sur ces échantillons. Ou alors on peut parier qu’ils seront soigneusement nettoyés avant.

Retour à la case départ donc, et poussée de tension sur la scène politique polonaise avec un Jarosław Kaczyński, le frère du président défunt et le chef de file du principal parti d’opposition, qui parle de crime terrible et qui demande la démission du gouvernement, et un premier ministre Donald Tusk qui déclare devant les caméras de télévision que dans ces conditions il n’est plus possible de vivre dans le même pays que Jarosław Kaczyński.

Conclusion : soit les experts polonais ont vraiment acquis la certitude qu’il y avait des traces de matériaux explosifs sur l’épave mais ne le diront jamais officiellement tant que l’équipe actuelle sera au pouvoir, soit il s’agissait d’une provocation visant à faire monter la tension et à pousser Jarosław Kaczyński à tenir une nouvelle fois des propos excessifs afin de renverser la tendance dans les sondages qui, pour la première fois depuis l’arrivée de Donald Tusk au pouvoir, donnent le parti Droit et Justice de Kaczyński à plusieurs points devant le parti Plateforme civique de Donald Tusk.

Dans cette deuxième hypothèse, il s’agirait aussi pour les autorités de discréditer la thèse de l’attentat qui est l’explication favorisée par un nombre grandissant de scientifiques et de journalistes, même parmi ceux qui qualifiaient jusqu’à récemment cette thèse de simple « théorie du complot ». En effet, plutôt que de parler du colloque qui a réuni une centaine de scientifiques et experts de différents domaine la semaine dernière à Varsovie, un colloque où les exposés ont donné de nouveaux arguments tendant à prouver qu’il y avait eu au moins deux explosions à bord du Tupolev polonais avant que celui-ci ne s’écrase, les médias polonais, et accessoirement étrangers, peuvent désormais privilégier le thème de cette fausse (?) information publiée par le journal Rzeczpospolita et reprise peut-être un peu vite et un peu fort par Jarosław Kaczyński. Celui-ci ne s’était pas laissé provoquer par des photos récemment publiées sur Internet montrant des cadavres de victimes de la tragédie de Smolensk, y compris du président Lech Kaczyński, et que les Polonais attribuent aux autorités russes puisque ces photos ont été prises dans des situations où seuls les enquêteurs russes pouvaient en être les auteurs. Se serait-il aujourd’hui laissé provoquer par des gens qui veulent éviter à tout pris son retour au pouvoir après la parenthèse de 2005-2007 ?

Le journal Rzeczpospolita, connu pour son sérieux et pour avoir toujours réfuté la thèse de l’attentat tout en exposant volontiers les lacunes et les contradictions de l’enquête, n’était-il pas le support idéal pour une telle provocation, si provocation il y a eu ? Aucun autre journal n’aurait en effet suscité une telle confiance quant au sérieux de son information.

Après la mort dimanche dernier de l’Adjudant Remigiusz Muś, témoin du drame du 10 avril 2010, et dont les dépositions contredisaient les rapports officiels russe et polonais, un ami polonais, qui n’est sympathisant ni de la Plateforme civique de Donald Tusk ni du parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyński, m’a dit ces mots : « C’est très triste. Même à l’époque communiste ils ne liquidaient pas autant de gens. C’est de pire en pire. »

Une affirmation sans doute exagérée, mais il est de moins en moins rare d’entendre ici des comparaisons à la Pologne des années 80, en particulier chez une partie des anciens opposants au régime communiste.

De notre correspondant permanent en Pologne.

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14 Comments

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  • Marie Genko , 1 novembre 2012 @ 8 h 30 min

    J’ai un peu de peine à croire l’ami polonais cité ci-dessus lorsqu’il écrit:

    “« C’est très triste. Même à l’époque communiste ils ne liquidaient pas autant de gens. C’est de pire en pire. »

    Je sais bien que les communistes polonais n’ont pas été plus tendres envers leur concitoyens que ne l’ont été les communistes au pouvoir en Russie!

    Mais de là à sous entendre que l’équipe de Donald Tusk, ou un attentat (peu vraisemblable) de l’Etat russe serait à l’origine de la catastrophe de cet avion polonais, parti de Pologne, cela me semble tout de même excessif….?

  • Jean Aymard , 1 novembre 2012 @ 13 h 16 min

    D’autant qu’on peut croire que si les services spéciaux de l’un et l’autre avaient fait exploser l’avion, ils auraient utilisé autre chose que de la dynamite et de la nitro, explosifs vieux de plus de 100 ans et particulièrement instables en altitude…
    Une fois encore, qui a tout à perdre du récent rapprochement de la Pologne et de la Russie, comme l’a symbolisé l’extraordinaire rencontre entre le Patriarche Kyrill et le patriarche Sawa ? Ceux qui veulent installer le bouclier anti-missile en Pologne, ceux qui instrumentalisent les divisions en Europe, ceux qui ne veulent pas de la Russie en Europe, etc, etc.

    Pour une autre source d’information sur la Russie, en français, une initiative toute récente, pas encore officielle : http://www.prorussia.tv
    Le dernier journal aborde en toute liberté la drogue, le mariage homo et la repentance…

  • Marie Genko , 1 novembre 2012 @ 22 h 48 min

    Merci à Jean Aymard pour le lien prorussia.
    Un peu long, mais très informatif.

    Merci aussi, Olivier Bault, pour votre éclairage sur cette affaire.
    Que les frères Kaczinski aient adopté une ligne de conduite très atlantiste et soumise aux américains, cela peut se comprendre dans la mesure où c’était se positionner en quelque sorte de façon à faire oublier (pardonner!) le système communiste polonais!
    Lorsque vous écrivez, je vous cite:

    “Il est clair aussi que les rapports officiels russe et polonais contiennent certaines affirmations qui ont été prouvées fausses. A ce stade, seule une commission d’enquête internationale pourrait faire le clair sur cette affaire en reprenant l’enquête à zéro et en mettant à l’épreuve la volonté de transparence de la Russie dans cette affaire.”

    Il me semble que si une catastrophe de ce type s’était produite sur le sol américain, ou même européen, aucun gouvernement n’aurait toléré la mise en doute de la probité de son enquête!

    J’ajouterai simplement qu’il arrive aussi, surtout dans les pays de l’ex bloc soviétiques que les enquêtes ne soient pas confiées à des personnes aussi compétentes que la situation l’exigerait?

  • Olizefly , 2 novembre 2012 @ 11 h 41 min

    Voici le fameux film amateur juste après la catastrophe où on entend les coups de feux : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=-DbLgBifsTU
    Je ne sais pas si c’est vraiment des coups de feu, mais si ça c’est un avion qui s’est juste écrasé à l’atterissage à 270 km/h, en se faisant arracher un bout d’aile par un simple bouleau, alors moi je suis Jeanne d’Arc !

  • Marie Genko , 2 novembre 2012 @ 12 h 08 min

    @Olizefly

    Merci pour la vidéo!
    Mais elle ne montre que de loin un avion brisé à terre…Je pensais qu’il serait davantage en miettes que ne le montre la vidéo!

    On entend les exclamations d’un local, et effectivement quelque chose qui pourrait très bien être des coups de feu d’un chasseur dans la forêt…???

    Cette vidéo a du être filmée quelques heures après la catastrophe, car le temps est particulièrement clair alors que, d’après mes souvenirs, l’avion s’est écrasé par manque de visibilité

    Rien de vraiment surprenant dans cette vidéo, en ce qui me concerne

  • Olizefly , 2 novembre 2012 @ 20 h 56 min

    On ne voit pas toutes les parties de l’avion sur la vidéo. Pour ce qui est du brouillard, il se serait, d’après les témoins, densifié rapidement avant l’arrivée de l’avion du président polonias et dissipé rapidement après. Il paraît que ça arrive souvent dans la région de Smolensk. Mais certains donnent une autre explication illustrée par ce petit film qui montre un engin russe en train de produire du brouillard : http://www.youtube.com/watch?v=LQF8hsitxvY

  • Marie Genko , 3 novembre 2012 @ 10 h 26 min

    Pourquoi avez-vous décidé que ce cracheur de nuages est russe?
    Je ne reconnais pas les uniformes russe lambdas…
    Il pourrait être ukrainien ou autre chose???

    Votre histoire est très tirées par les cheveux…

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