Le scandale du « droit d’ingérence »

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La confiance devrait être le carburant psychologique des démocraties libérales. Si la politique intérieure suscite souvent des doutes à ce sujet, la politique étrangère menée par les « occidentaux » nous laisse seulement nous interroger sur le point de savoir si ceux qui nous dirigent sont totalement incompétents ou carrément ignobles. Dans les années 1990, l’effondrement de « l’Empire du mal » soviétique a donné des ailes à l’Ouest. Le système démocratique et libéral avait terrassé le totalitarisme communiste. Désormais, le rêve kantien d’un univers pacifié parce que démocratique pouvait se réaliser. Il suffisait de lui donner un coup de pouce. Les belles âmes, les Kouchner, les BHL, chez nous, se sont drapés dans les plis de l’ingérence. Dorénavant, les gentils démocrates pouvaient aller aider les peuples à déloger les méchants dictateurs. Cette généreuse conviction, pure sous un ciel étoilé, oubliait deux détails. Le premier tenait au fait que la défaite soviétique en Afghanistan avait dépendu de l’islam et non de la vertu démocratique. Si on ajoute qu’en Pologne, le fait religieux avait également joué son rôle, et que dans beaucoup de pays, le souhait d’unité et d’indépendance nationales avait été déterminant, la conclusion s’impose que les peuples font rarement la révolution pour gagner les rives enchantées de notre système économique et politique. Néanmoins, le devoir d’ingérence a prospéré, en Europe, lors de la décomposition de la Yougoslavie, au détriment des Serbes et au profit des musulmans bosniaques ou kosovars, puis lors du trompeur printemps arabe en Libye et en Syrie. Les grands alliés de cette noble « croisade » étaient ces inépuisables dispensateurs des revenus du pétrole et du gaz, nos amis du golfe, par ailleurs monarchies absolues, ignorant les droits de l’homme, et attachées à un islamisme ultra-conservateur : ceux-là-mêmes qui avaient financé et armé, encadré parfois les « combattants de la liberté » afghans, et ne sont peut-être pas sans lien avec le terrorisme qui sévit chez nous. Ce sont eux qui sans vergogne bombardent les yéménites chiites qui se sont révoltés et ont pris la capitale, Sanaa : manifestement, le vent de ce printemps-là soufflait dans le mauvais sens. Nos démocraties l’ignorent, comme elles ont ignoré l’écrasement des chiites de Bahrein par les Saoudiens.

Le second détail, c’est la taille et la force du pays qu’il faut « aider ». Personne n’aurait le toupet de titiller les Chinois sur ce qui se passe au Tibet, ni même chez les Ouighours musulmans de l’ouest du pays. Deux pays ont fait les frais de cette sélection. La Libye de Kadhafi, la Syrie de Bachar Al Assad, ont subi un scénario maintenant bien rodé : des manifestations gouvernementales, des coups de feu dont on ne connaît pas l’origine, une répression sévère, complaisamment décrite par nos médias, une rébellion armée (par qui ?) et une aide fournie par les Etats d’une coalition « démocratique » au mépris du pouvoir reconnu internationalement et de ses frontières. La Russie n’avait pas réagi pour la Libye et une guerre civile, ou plutôt tribale, a mis ce riche pays, gorgé de pétrole, à feu et à sang. Les islamistes, y compris l’Etat islamique, y occupent des portions de territoire. Le désastre est pire encore en Syrie. Cette fois, la Russie qui a repris confiance en elle, sous l’impulsion du Président Poutine, et qui, elle-même, a vécu le processus « révolutionnaire » à sa frontière, en Ukraine, n’a pas laissé faire. La Russie, de même que l’Iran, son allié, interviennent sur le territoire syrien à la demande du gouvernement légal. Les démocraties occidentales, et leurs alliés peu démocratiques du Golfe, soutiennent les rebelles matériellement, mais aussi avec des conseillers militaires. Qui sont ces rebelles ? L’est du pays, assez désertique, est aux mains de l’Etat islamique, que les Occidentaux bombardent mollement. Des groupes réputés « modérés » et résiduels, sous le nom d’Armée Syrienne Libre subsistent, comme par hasard, aux frontières turque et jordanienne. L’essentiel est constitué d’islamistes qui tiennent encore la région d’Idleb, et l’ouest de celle d’Alep ainsi que l’Est de cette ville. Ils sont apparemment répartis en plusieurs factions qui changent de nom ou d’allégeance au gré de leurs intérêts. Les Américains et leurs alliés font semblant de faire la distinction entre les bons et les mauvais. Le Front Fath al-Sham, ex al-Nosra, est ainsi une « franchise » d’Al-Qaïda. C’est un secret de polichinelle.

Au nord du pays, la situation devient indéchiffrable. Les Kurdes, alliés aux Occidentaux, comme en Irak, pour faire la guerre au sol « entre musulmans » afin d’éviter l’image de la « croisade » , et des morts, occupent une bande de territoire le long de la Turquie avec une solution de continuité tenue par l’Etat islamique. Ils étaient en passe de la conquérir après la prise de Manbij. C’est alors que la Turquie d’Erdogan, ce membre de l’Otan qui frappe à la porte de l’Union Européenne, cette grande amie démocratique, a montré à quel point la situation que nos gouvernements ont favorisée en Syrie est à la fois absurde et scandaleusement inhumaine. La Turquie, requinquée après l’échec du coup d’Etat, où elle soupçonne un coup de Washington, fait mine d’attaquer, avec le soutien américain, Daesh dont les troupes se retirent de Jarablus, et en profite pour frapper les Kurdes de l’YPG… nos alliés privilégiés, eux-aussi soutenus par les Etats-Unis. Cette intervention a reçu le feu vert de Moscou pas fâché de jeter la discorde chez l’ennemi. Certes cela le brouille un peu avec ses amis kurdes qui s’en sont pris à son allié syrien à Hassaké, mais ne l’a pas empêché de calmer les protagonistes. Le jeu politique et militaire se joue à plusieurs coups d’avance, comme aux échecs. La priorité pour Ankara n’est nullement d’écraser l’Etat islamique avec lequel ses rapports ont été pour le moins ambigus, mais d’empêcher la création d’un Kurdistan syrien, politiquement très proche du PKK qui développe sa rébellion en Turquie même. L’ingérence dévoile son vrai visage : un pays dont on ne respecte plus la souveraineté est parcouru par des guerriers, pour beaucoup étrangers, obéissant à des intérêts politiques, économiques, stratégiques qui négligent totalement la volonté du Peuple et massacrent sa population. Avec le soutien russe, le gouvernement syrien, qui domine largement le pays utile et la majorité des habitants, regagne du terrain, à Deraya récemment. La bataille d’Alep est cruciale. Si la Turquie bloque progressivement le ravitaillement des insurgés pour respecter ses engagements envers la Russie, celle-ci aura gagné. L’Europe, et la France, en particulier, auront disparu dans le trou noir de la politique américaine. Que nos gouvernants aient participé activement et hypocritement à cette tragédie est une honte irréparable.

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2 Comments

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  • J. Elsé , 1 septembre 2016 @ 12 h 11 min

    Les dirigeants des pays “démocratiques” me font penser aux Templiers : suicidaires d’avoir mis à leur tête Jacques de Molay, un “nul” qui n’a pas su faire face à Philippe Le Bel ! Bien sûr, je ne citerai pas lesdits dirigeants pour ne pas attirer d’ennui à N.D.F. mais les lecteurs auront tous des noms à proposer j’en suis persuadé…

  • montecristo , 1 septembre 2016 @ 18 h 42 min

    Toujours aussi excellent Christian Vanneste !

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