par Eric Martin*
Les féministes sont-elles toutes de gauche, “progressistes”, agressives, vulgaires et âgées comme le donnent à penser celles qu’on aperçoit sur les plateaux de télévision ? Non, Nouvelles de France l’a déjà prouvé. Depuis peu, une nouvelle génération de jeunes femmes, dont font partie Camilla Paaske Hjort et Myriam Picard, ose remettre en cause un certain féminisme, égalitaire et sectaire, qui ne supporte pas qu’un autre féminisme, respectueux de la femme, de l’homme, des plus faibles et potentiellement très populaire car conforme aux aspirations naturelles de l’être humain, puisse seulement co-exister.
Car il est tout à fait possible d’être conservateur et féministe. En effet, “féminisme” est un terme qui caractérise (au moins) deux écoles de pensée, explique Christina Hoff Sommers dans The American Spectator de juillet 2008 :
1) Le féminisme égalitaire, centré sur la femme en tant qu’agent indépendant. Selon lui, l’homme et la femme sont dans leur nature essentielle les mêmes. Ce féminisme a prétendu libérer la femme en faisant appel à la justice sociale ou à des droits universels. Il est aujourd’hui d’autant plus bruyant que peu de femmes s’en réclament sérieusement, très valorisé par les médias et a été embrassé par de nombreuses personnalités contemporaines du monde de la “culture”.
2) Le féminisme traditionnaliste ou conservateur, centré sur la femme en tant qu’épouse et mère de famille, donc sur sa féminité. Lui insiste pour valoriser le rôle de la femme au foyer et fait la promotion des droits des femmes en le redéfinissant, en le renforçant et en l’étendant. Les féministes “tradis” pensent que la féminité responsable pourrait faire beaucoup de bien à notre monde (de brutes imberbes et efféminées) si elle dépassait le simple cadre de la famille et se manifestait, par exemple, au sein d’œuvres de charité ou via l’implication dans la vie de la Cité. Bien que peu mis en avant par les médias et sans figure française contemporaine connue, ce féminisme est celui de l’immense majorité des femmes – y compris et surtout de celles qui ne se déclarent pas féministes. De toutes celles qui n’aspirent pas à être (comme) des hommes mais à employer leur liberté de façon et à des fins particulières. Dans un monde où leurs moitiés ne renieraient rien de leur virilité mais les respecteraient…
Le féminisme égalitaire est né avec Mary Wollstonecraft (1759-1797), libre-penseuse aux amants multiples, épouse du philosophe William Godwin (précurseur des pensées anarchiste et utilitariste), et auteur de Défense des droits de la femme (1792). Rien à voir dans l’esprit avec la fameuse lettre qu’écrivit en 1776 Abigail Adams à son président des Etats-Unis de mari, John, l’enjoignant, lui comme ses collègues du Continental Congress, de “se souvenir des femmes… et d’être plus généreux et bon avec elles que [leurs] ancêtres”. Adams en appelait alors à la tradition, celle de la chevalerie et de la galanterie, qui commandait à l’homme de protéger la femme. 16 ans plus tard, Wollstonecraft réclame l’égalité politique et morale totale. Elle écrit “voir avec indignation les notions erronées qui asservissent [son] sexe”. Autrement dit, la biologie n’est pas une fatalité. Pour Wollstonecraft, la libération de la femme passe par l’éducation : “renforcer l’esprit féminin en l’agrandissant mettra un terme à l’obéissance aveugle”. La mère de Mary Shelley exprime dans Défense sa profonde conviction que “l’éducation négligente des [femmes] est la grande source de la misère que je déplore”. Originaire d’un milieu modeste, ses amis s’appellent Thomas Paine, William Wordsworth, et William Blake. Elle débattra des mérites de la Révolution française avec Edmund Burke. A son décès, Godwin publie Souvenirs de l’auteur de “Défense des droits de la femme” (1798), une biographie qu’il pensait flatteuse mais qui va créer un scandale. Aventures extra-conjugales, enfant hors mariage, tentatives de suicide, on y découvre une femme au style de vie peu orthodoxe que son provocateur de mari félicite d’avoir rejeté le christianisme. Sa réputation est détruite pour près d’un siècle. Des hommes politiques hostile la traitent de “putain”, les féministes égalitaires s’en éloignent et le grand public semble partagé entre fascination, horreur et répulsion. En 1932, Virginia Woolf résume : “La base de sa doctrine, c’était que rien n’a plus d’importance que sauver l’indépendance”.
L’émergence d’un féminisme contre-révolutionnaire
Tandis que Wollstonecraft écrivait, Hannah More (1745-1833) cherchait à améliorer concrètement la vie et le statut des femmes. Romancière, poète, pamphlétaire, activiste politique, chrétienne évangélique réformatrice et abolitionniste, elle est inconnue du grand public. Une injustice pour Mitzi Myers, historienne de la littérature à l’UCLA, qui explique : “cette Croisée de la cause des femmes a obtenu infiniment plus de succès que Wollstonecraft ou que toute autre”. Originaire d’un milieu modeste, More était une amie et une admiratrice d’Edmund Burke. Elle fréquentait Samuel Johnson, Horace Walpole ou encore William Wilberforce. “De la liberté, de l’égalité et des droits de l’homme, le Bon Dieu nous préserve” écrivait-elle.
“A son époque, elle était plus connue que Mary Wollstonecraft et ses livres se sont pendant longtemps mieux vendus que ceux de Jane Austen”, raconte une biographe. Ses différents tracts ont été diffusés à des millions d’exemplaires et son traité contre la Révolution française a davantage circulé que Réflexions sur la Révolution de France (1790) de Burke ou que Les Droits de l’homme (1791) de Paine. Certains historiens attribuent aux écrits de More le fait que l’Angleterre ait échappé au soulèvement révolutionnaire qui marqua la France. Hannah More était membre de la Bluestocking society, un groupe d’intellectuels des deux sexes qui se réunissaient pour discuter politique, littérature, sciences et philosophie. Il avait été lancé en 1750 par des femmes des classes moyenne et supérieure qui aspiraient à autre chose qu’aux conversations des élites mondaines et à leurs potins sans intérêt. Difficile de dire si More, dont la cause la plus passionnée était l’éducation des femmes, est une penseuse conservatrice ou réformatrice progressive. Patriote, défenseuse ardente de la monarchie constitutionnelle, elle n’était pas favorable au statu quo. Elle aussi appelait à un changement révolutionnaire, mais sur le plan moral, pas politique. Ainsi, dans ses romans et pamphlets, elle reproche aux membres des classes supérieures leur amoralité, leur hédonisme, leur indifférence envers les pauvres, leur tolérance pour le crime et l’esclavage. Dans les nombreuses écoles du dimanche créées à son initiative, les jeunes pauvres était invités à la sobriété, à l’économie, au labeur et à la religion. Hannah More partageait l’enthousiasme d’Adam Smith pour le marché libre à condition, précisait-elle, que les Anglais développent de bonnes habitudes morales et deviennent vertueux. Une réflexion d’actualité à notre époque où l’immoralité est encouragée partout sauf en économie : comme si un pervers ne l’était pas dans tous les domaines… Ces réflexions lui ont d’ailleurs valu les qualificatifs de “capitaliste chrétienne”, de “première victorienne” ou de “Burke pour les débutants” ! C’est aussi la première féministe conservatrice. En effet, contrairement à Wollstonecraft, More croyaient que les sexes sont significativement différents pour ce qui concerne leurs propensions, leurs aptitudes et leurs préférences de vie. La biologie et l’expérience (cf par exemple la difficulté des formations politiques à boucler leurs listes à cause de la parité obligatoire) semblent valider son postulat. More envisageait une société où les vertus des femmes et les grâces qui les caractérisent pourrait être développées, raffinées, et librement exprimées. Mais pour cela, les jeunes femmes anglaises ont, selon elle, besoin de plus de libertés et d’une éducation solide. Selon More, les femmes sont les gardiens naturels de la nation. En bonnes patriotes (“fermes et féminines, pour le plus grand bien de tous”), elles doivent faire bénéficier la société au sens large de leurs dons naturels – ressourcer, organiser, éduquer – qu’elles réservaient jusqu’alors à leur ménage. “Charity”, déclare l’un des personnages de fiction de More, “est l’appelation d’une dame ; le soin des pauvres est sa profession”. Concrètement, c’est une invitation lancée aux femmes à s’investir dans les écoles, les hôpitaux, les orphelinats et les écoles. “L’appel d’Hannah More a été entendu : des milliers d’associations de bénévoles sont créées dans les premières décennies du XIXe siècle afin de répondre aux besoins de tous les groupes imaginables de malades” explique Anne Mellor, professeur de littérature à l’UCLA. Son roman, Coelebs, ou le choix d’une épouse (1880), qui valorise un nouveau genre d’épouse, efficace, active et une féminité responsable, est réédité dix fois en neuf mois. Il sera édité 30 fois du vivant d’Hannah more ! A suivre…
*Eric Martin est rédacteur en chef des Nouvelles de France.
5 Comments
Comments are closed.