La Crimée, une épuration ethnique réussie

Un peu d’histoire pourrait permettre de remettre les idées en place s’agissant de cette péninsule disputée depuis deux siècles dont le nom vient de l’expression tatare « Qirim » qui signifie « ma colline ».

En 1783, le Khanat de Crimée, protectorat ottoman, est occupé par la Russie en 1783. Cet État s’étend au-delà de la péninsule criméenne dans les régions adjacentes de l’Ukraine continentale.

En 1802, la Russie annexe officiellement le Khanat sous le nom de Gouvernorat de Tauride (nom antique de cette région) qui s’étend sur 63 500 km2.

En 1862, lors du premier recensement fiable, la population de la Tauride est à 39,7% ukrainienne, 27,2% russe et 10,6% tatare.

En 1897, la population totale de la Tauride est à 42,2% ukrainienne, 27,9% russe et 13,6% tatare. La population de la péninsule (Crimée proprement dite) est à 35,6% tatare, 33,1% russe et 11,8% ukrainienne.

En novembre 1917, la République populaire de Crimée est proclamée, dirigée par Tchélébidjikhan, un Tatar. Elle ne comprend plus que la péninsule soit 27 200 km2.

En janvier 1918, les bolchéviks instaurent la République socialiste soviétique de Tauride, dont le gouvernement ne comprend aucun Tatar.

En avril 1918, les Ukrainiens et les troupes allemandes envahissent la Crimée, qui devient ukrainienne.

En juin 1918, le Gouvernement régional criméen est constitué. Hostile au régime bolchévik de Moscou, il est de facto indépendant. Il est dirigé d’abord par Sulkievitch, un Tatar, puis par un juif karaïte, Solomon Krym.

En avril 1919, l’Armée rouge intervient et proclame la République socialiste soviétique criméenne, liée à la Russie communiste mais formellement indépendante.

En juin 1919, le Crimée est reprise par l’Armée blanche russe de Dénikine et Wrangel et n’a plus aucune autonomie.

En novembre 1920, la Crimée est reprise par l’Armée rouge. Elle est gouvernée par un Comité révolutionnaire sous l’autorité de Moscou.

En octobre 1921, est proclamée la République socialiste soviétique autonome criméenne au sein de la Russie soviétique.

En septembre 1942. La Crimée est conquise par les Allemands.

En mai 1944, la Crimée est définitivement reprise par les soviétiques.

En mai 1944, la totalité de la population tatare de Crimée est déportée en Asie centrale et 46% de la population meurt durant le transfert. Depuis 1991, des Tatars se réinstallent.

En juin 1945, la République socialiste soviétique autonome criméenne est abolie et transformée en Province (oblast) de Crimée au sein de la Russie.

En février 1954, la Province devient ukrainienne, par décret du Présidium soviétique.

En janvier 1991, suite au référendum pour la restauration de la République socialiste soviétique autonome criméenne qui donne 94% de oui, cette République est proclamée.

En décembre 1991, un référendum approuve l’indépendance de l’Ukraine. En Crimée, ce référendum donne 54% de suffrages favorables à cette indépendance.

En février 1992, la Crimée devient une République autonome au sein de l’Ukraine indépendante.

En décembre 1994, un mémorandum est signé à Budapest par la Russie, les USA et la Grande-Bretagne au sujet de l’indépendance ukrainienne. “La Fédération de Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis réaffirment leur obligation de s’abstenir de toute menace ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance de l’Ukraine, et qu’aucune de leurs armes ne sera jamais utilisée contre l’Ukraine, sauf en cas de légitime défense ou en conformité avec la Charte des Nations unies”, stipule le document. En échange de cette garantie sur ses frontières, l’Ukraine donne ses ogives nucléaires à la Russie, se privant ainsi de sa seule capacité de dissuasion envers le « grand frère slave ».

En 2001, dernier recensement en date, la Crimée comprend 58,1% de russes, 24,3% d’ukrainiens et 12,1% de tatars.

Cette chronologie précise permet de mettre à bas la propagande russe de ces derniers mois qui répète ad nauseam que la Crimée a toujours été ethniquement russe et qu’elle avait toujours appartenu à l’État russe avant 1954. Le plus stupéfiant, c’est que les médias français, y compris ceux hostiles à Poutine, gobent tout cela sans esprit critique.

D’abord ne jouons pas sur les mots. Si, avant 1918, la Crimée était russe, c’est qu’il n’y avait pas d’Ukraine, ni d’ailleurs de Pologne ou de Biélorussie, mais seulement l’Empire russe.

D’autre part, les recensements mentionnés montrent qu’avant l’expulsion de 1944, les Russes ne formaient qu’un tiers de la population et que les Tatars avaient la majorité relative. La russification est donc récente et elle est le fruit d’une épuration ethnique.

Enfin, à partir de 1918, lors de l’effondrement du tsarisme et de la guerre civile, la Crimée passe par des phases d’indépendance en tant qu’État tatar, d’appartenance à l’Ukraine puis d’intégration à la Russie soviétique. Dire qu’elle avait toujours été russe avant 1954 est un abus de language et… de géopolitique.

Related Articles

79 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • charles-de , 2 avril 2014 @ 17 h 26 min

    Et de l’Ouest de l’Ukraine etc.

    J’ai lu que la population de Lwow (Pologne d’avant-guerre) a été transférée en 44-45 à Königsberg, devenue Kaliningrad, et toujours russe.
    Quant aux modifications de frontières, elles ont TOUJOURS existé, et le plus souvent par la force.

  • Paul-Emic , 2 avril 2014 @ 17 h 39 min

    Les Tatars n’ont pas toujours été là non plus, c’est un peuple asiatique, turc, originaire de la région connue comme la Mongolie qui a déboulé vers le XIII ème siècle dans les valises de Gengis Khan prenant la place des peuples qui étaient là, eux mêmes ayant auparavant chassé d’autres peuples qui … à l’infini.

  • Luis A. F. v. Wetzler , 2 avril 2014 @ 17 h 44 min

    C’est vrai, les allemandes de la Prusse Orientale ont été massacré par l’Armée Rouge, la même chose qu’ella a fait avec les polonais avec les nazis à 1939, et après la guerre une fois de plus. Staline a été un monstre si criminel et barbare comme Hitler.

  • Smarties , 2 avril 2014 @ 17 h 54 min

    C’est suite à un bug que j’ai publié mon commentaire sous le votre @Charles-de, je l’ai donc publié à nouveau en bas de la liste des commentaires.

  • V_Parlier , 2 avril 2014 @ 17 h 57 min

    C’est surprenant de voir à quel point les tatars de Crimée sont sollicités par l’extérieur afin de pourrir la situation, tellement c’est dérangeant d’imaginer que les choses puissent se passer tranquillement en Crimée. Des jaloux? Il faut dire qu’en France, même quand certaines de nos minorités ne sont pas sollicitées de l’extérieur, çà se passe déjà mal alors… C’est peut-être çà, l’explication de cette jalousie…

  • Pascal , 2 avril 2014 @ 18 h 03 min

    Lorsqu’au 18e siècle la Russie s’est emparé de la Crimée il devait en effet y avoir à peu près la même proportion de Tatars qu’il y a aujourd’hui de Turcs à Constantinople, à Smyrne et dans la partie nord de Chypre !

  • Monsieur T , 2 avril 2014 @ 18 h 13 min

    Avant les Tatars, il y avait entre autres : les Scythes, les Grecs, des populations germaniques, des Huns, des Bulgares et des tribus slaves de la Russie Kiévienne, un vrai bazar.
    Les Tatars de Crimée ont surtout capturé 2 millions et demi de slaves dans les régions annexes (Ukraine, Biélorussie, Moscovie) entre 1480 et 1760 pour les réduire en esclavage…régions dont la population ne dépassait pas les 6 millions d’habitants durant la période considérée. Ce prélèvement catastrophique de population contribuera largement au retard économique de la région.

Comments are closed.