Le chemin de Damas passe par Moscou

L’idée que la morale doive s’imposer à la politique, le règne des fins au calcul des moyens, l’éthique à la technique parcourt la pensée humaniste, et notamment chrétienne, de Kant à Maritain.  Elle porte le récent « droit d’ingérence » qui justifie l’action militaire des « bons » contre les « mauvais ». Sous prétexte de faire cesser une guerre civile et le massacre d’un peuple par une dictature serbe, irakienne, libyenne ou syrienne, les démocraties immaculées punissent le méchant et… laissent le pays dans un état où la violence et la discrimination ont, dans le meilleur des cas, changé de sens. Les Serbes du Kosovo, les chrétiens d’Irak sont ainsi les victimes expiatoires du droit d’ingérence, exercé au nom de la morale, justifié parfois par le mensonge, et soupçonné, avec raison, d’avoir visé des buts où l’intérêt politique prévalait sur le devoir éthique. Lorsque la morale n’est qu’un moyen, plus présentable, de justifier une action dont les fins sont politiques, on est chez Machiavel, pas chez Gandhi. L’ingérence, c’est l’impérialisme de Tartufe. Il est légitime que les démocraties occidentales se protègent, comme en Afghanistan en éradiquant les camps d’entraînement d’Al-Qaïda. Les mœurs de ce pays, le rôle économique de la drogue, la corruption des dirigeants, la violence endémique et la situation des femmes montrent par leur persistance que les objectifs « moraux » n’étaient pas essentiels. De même, Saddam Hussein n’était pas un danger pour l’Occident qui l’avait armé contre l’Iran, mais c’est la menace que son État faisait planer sur les peu démocratiques monarchies gazières et pétrolières qui a déterminé une intervention dont la population irakienne, à l’exception des Kurdes, peut-être, souffre encore aujourd’hui. Dans la plupart de ces conflits, on trouve le Qatar, les Saoudiens, les Émirats, parfois les Turcs. Au nom de la morale, on a levé le principe gaulliste du respect des États, qui était un réalisme fondé sur l’indépendance réciproque pour lui substituer une domination très réaliste aussi, celle des puissants et des riches. Le réalisme avoué du Général de Gaulle n’était-il pas, en fait, plus moral que l’hypocrisie du droit d’ingérence ? Bizarrement, ce droit cesse à partir d’une certaine taille de l’État dit voyou. La Chine et le Tibet voire la Corée du Nord, la Russie et la Tchétchénie voire la Géorgie sortent du champ de la morale. La répression musclée des Saoudiens au Bahrein, ingérence contre-révolutionnaire, a paru normale aux yeux des Occidentaux.

“L’économie rejoignant la politique, la convergence objective des intérêts entre les démocraties occidentales, la France, en particulier et les riches États du Golfe, paraît amener régulièrement les armées des premières à servir de légions aux seconds.”

La Syrie est une dictature. La France a des raisons d’en vouloir aux Assad depuis la mort, en 1983, de 58 parachutistes français victimes d’un attentat commis en représailles de la fourniture d’avions à… Saddam Hussein contre l’Iran. La Syrie y avait sans doute mis la main, et la France de Mitterrand n’avait guère réagi. La position de Hollande aujourd’hui n’est pas plus morale que celle de son prédécesseur. Il justifie son souhait d’une action ciblée contre Damas parce que l’utilisation des gaz par l’armée syrienne serait un crime contre l’humanité. Mais derrière cette raison morale pleine de dignité, se cachent d’autres enjeux, politiques, ceux-là. D’abord, l’absence de réaction des Occidentaux, qui avaient parlé de ligne rouge à ne pas franchir, ne serait pas sans conséquence dans le rapport des forces, au niveau international. Les Russes et les Chinois sont en embuscade et l’engagement fort des premiers est redoutable, d’abord parce qu’il présente un risque militaire en cas d’intervention, ensuite parce qu’il peut en empêchant celle-ci, redonner à la Russie un poids qu’elle avait perdu. Ensuite, l’économie rejoignant la politique, la convergence objective des intérêts entre les démocraties occidentales, la France, en particulier et les riches États du Golfe, paraît amener régulièrement les armées des premières à servir de légions aux seconds. Enfin, il n’est pas impossible que notre Président, dont le seul succès a été le Mali, n’ait espéré tiré quelque profit d’une attitude musclée et éthique sur le plan intérieur.

“Deux questions se posent à François Hollande : faut-il interroger le Parlement ? Si les Alliés n’y vont plus, faut-il y aller quand même ?”

Malheureusement, devant les risques militaires et l’hostilité croissante des populations, les Anglo-saxons sont devenus prudents. Les Britanniques, chez qui le Parlement ne se résume pas au spectacle des séances de questions, se sont retirés après le vote négatif des députés. Obama, qui ressemble de plus en plus à Clinton, habile communiquant, incapable de régler véritablement les problèmes, va lui aussi interroger le Congrès. Hollande se retrouve donc dans la position inconfortable du suiveur passé en tête “à l’insu de son plein gré ». Deux questions se posent à lui : faut-il interroger le Parlement ? Si les Alliés n’y vont plus, faut-il y aller quand même ? Intervenir sans les Américains est utopique. Reste la première question. La Constitution n’impose pas le soutien du Parlement avant quatre mois. Mais si cette disposition se justifie par l’urgence, elle devient inacceptable lorsqu’une situation perdure : deux ans de guerre civile, déjà plusieurs suppositions d’un usage des gaz jusqu’à ces images récentes d’un quartier de Damas. L’absence d’urgence à quoi s’ajoutent une opinion publique défavorable, le veto russo-chinois à l’ONU, les doutes sur la culpabilité du gouvernement syrien, après le précédent irakien, justifie pleinement que l’Assemblée soit consultée Les puissances occidentales et leurs alliés comme la Turquie ont une lourde responsabilité dans le déclenchement et le prolongement de la guerre civile en raison de l’aide fournie. Si leur priorité était humanitaire, elles devraient s’efforcer d’accepter qu’à Genève soit trouvée une solution acceptable par le régime syrien. “Munich », s’offusque Harlem Désir, comme s’il y avait le moindre rapport entre l’abandon de notre meilleur allié contre le IIIe Reich et le refus d’accompagner les ambitions démesurées du Qatar. Copé a d’abord soutenu Hollande avant de découvrir que 64% des Français étaient hostiles à une action militaire.  Ces gesticulations politiciennes sont dérisoires et déplacées face à un peuple qui souffre. Puisque chacun sait que nous ne ferons pas vraiment la guerre, alors, il faut faire la paix et le plus vite possible. Son chemin  passe par Moscou, et donc par Poutine, plus que par Washington, ce que Hollande ne semble pas avoir perçu.

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25 Comments

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  • 0 / 10
  • léopold joseph , 2 septembre 2013 @ 21 h 47 min

    LES PERLES DE C.VANNESTE, soutien de la politique UMP-S pendant 4 ans sur 5:

    Le parcours de la pensée chrétienne avec Kant.Ce dernier par sa philosophie subjectiviste et ses constructions irréelles, a détruit la solidité de la pensée de bien des prélats et penseurs qui se sont cru encore catholiques en suivant son relativisme qui mine toute la Révélation.
    Saint Paul et saint Thomas d’Aquin n’ont pas attendu Kant pour affirmer que la politique ne peut qu’être au service du bien commun, et que la fin même bonne ,ne peut user de moyens vicieux.

    De Gaulle a passé en 1941 un pacte secret et fondateur avec le mouvement communiste international. L’insurrection gaullo-communiste de juillet-décembre 1944, avec les 80 à 120 000 massacres et assassinats couverts par le pouvoir, l’installation du PC et de la CGT au coeur des forces vives de la France développent toujours leurs conséquences destructrices.
    Arrêtons là, mais l’Algérie livrée au FLN terroriste et financé par l’URSS, les français et les harkis disparus de façon atroce, merci à qui ?
    Demandez à Marthe Robin

  • hache , 2 septembre 2013 @ 23 h 06 min

    merci qui? réponds-moi vite, marthe!

  • Eurydice , 2 septembre 2013 @ 23 h 23 min

    En tout cas, celui qui depuis quelques jours s’égosille à comparer Assad à Hitler et d’autres exterminateurs n’aura pas réussi à faire bloquer la publication de la photo qui suit:
    http://i.dailymail.co.uk/i/pix/2013/09/02/article-2408805-1B94E57D000005DC-878_636x380.jpg
    Ah! Comme les époux Assad étaient fréquentables il y a à peine quatre ans! Pourtant, Bachar-le Dictateur ne fit qu’hériter de la dictature pluridécennale de son père, Hafez. Plus fumiste que Kerry, on gaze tout le Moyen-Orient!

  • Le lys , 3 septembre 2013 @ 6 h 04 min

    @Hache :

    C’est par la mort du grain que l’épis nait

    La France tombera très bas. Plus bas que les autres nations, à cause de son orgueil […]. Il n’y aura plus rien. Mais dans sa détresse, elle se souviendra de Dieu et criera vers Lui, et c’est la Sainte Vierge qui viendra la sauver. La France retrouvera alors sa vocation de Fille aînée de l’Eglise, elle sera le lieu de la plus grande effusion de l’Esprit Saint, et elle enverra à nouveau des missionnaires dans le monde entier.
    M.ROBIN

  • jean-luc , 3 septembre 2013 @ 8 h 58 min

    Les “preuves” ?
    – Les Syriens ont des stocks très importants de gaz.
    – Les “rebelles” n’ont pas les moyens de diffuser les gaz (ce qui est absurde, il n’y a pas que les missiles)
    Il n’y a aucune preuve. Juste des spéculations. Et les mêmes qui étaient contre l’intervention en Irak de Bush (qui avait spéculé lui aussi) sont pour l’intervention en Syrie où la situation est encore plus trouble (mais c’est l’admirable -nullité abyssale adulée en Europe et pro-islamiste comme on le sait depuis l’ignoble discours du Caire- qui le dit alors…., et BHL) et le chaos islamiste (et si ces gens-là ont l’arsenalde Assad on peut imaginer la suite) totalement sûr si Assad tombe. Après la catastrophe qui a suivi l’intervention en Libye et dont l’invasion du Mali est le résultat direct, on a tout de même un peu d’information sur ce qui va se passer si Assad tombe.

  • mariedefrance , 3 septembre 2013 @ 9 h 09 min

    les mêmes qui étaient contre l’intervention en Irak de Bush (qui avait spéculé lui aussi) sont pour l’intervention en Syrie

    “”que vous soyez puissants ou misérables……””””
    les socialistes ont le pouvoir, encore 4 ans !

    ggrrrrr…..
    j’ai peur en voyant ce qu’ils ont réussi à faire en à peine un an et demi !

  • Ânedefrance , 3 septembre 2013 @ 12 h 04 min

    L’Arabie saoudite menace les jeux de Russie si ce pays ne change pas d’attitude face à son veto protectionniste envers la Syrie !

    A lire :
    Les rebelles syriens admettent qu’ils ont reçu des armes chimiques via le chef du renseignement saoudien, le prince Bandar bin Sultan
    http://fr.sott.net/article/16576-Les-rebelles-syriens-admettent-qu-ils-ont-recu-des-armes-chimiques-via-le-chef-du-renseignement-saoudien-le-prince-Bandar-bin-Sultan

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