L’école à rythme forcé et pas cadencé

Et voilà, les petites têtes blondes rentrent à l’école ! C’est magique, c’est Septembre, c’est un marronnier et je vais y cueillir quelques fruits, amers, même si, soyez-en sûrs, cette rentrée sera présentée comme un succès. Car comme par hasard, elle se sera officiellement bien passée, d’une part parce qu’une rentrée se passe toujours bien, et surtout parce qu’elle a été préparée par Benoît Hamon pendant son court passage en poste, pendant les vacances scolaires, ce qui est un gage évident de qualitäy. Le stagiaire de l’EdNat étant parti, c’est l’ex-porte-parlote qui récupère le projet et doit donc se farcir la réforme qui fut mise en place. On frémit d’aise.

Cette réforme (Encore une ! Youpi !), réclamée à cors et à cris par tout le monde depuis des années (mais si, mais si, youpi, vous dis-je) permet, par le truchement d’une adaptation fine des rythmes d’enseignement aux horloges biologiques des millions de petits branleurs élèves dont l’Éducation Nationale s’occupe tous les ans, de faire de nos petits suceurs de jeux vidéos de vraies flèches en matière de français, d’histoire, de géographie, de mathématique et de sciences, en réduisant le temps passé à ces matières et en utilisant celui dégagé à d’autres expériences pertinentes comme l’athlétisme des animaux, pelotes de chouette ou de hibou, les sports de l’esprit (dames, échecs), les activités du cirque ou la poterie comme autrefois (activités authentiques glanées sur internet). Je sais, dit comme ça, c’est paradoxal, mais comme ça se traduit par les excellents résultats aux tests internationaux (PISA en tête), le paradoxe n’est qu’apparent ahem brm kof kof bref.

Moyennant quoi, on va répartir les horaires différemment, en saupoudrant de façon plus ou moins heureuse les activités strictement scolaires et les activités périscolaires, périgolotes et parfois périlleuses, selon le cas. Et pour le reste, on trouvera bien à occuper les enfants qui, on le sait, s’adaptent à tout moyennant la bonne dose d’anxiolytiques. Quant aux problèmes organisationnels engendrés, eh bien les communes devront s’adapter avec le talent qui leur est propre. La deuxième ville de France, Marseille et ses plus de 400 écoles, pédalera âprement dans la purée de poix administrative et organisationnelle mais saura compter sur l’indéboulonnable sourire de la ministre qui apportera, on en est sûr, un réconfort certain aux parents, aux enseignants et au maire concerné. En outre, comme l’État distribue 50 euros par élève pour ces activités périscolaires, c’est donc qu’on pourra les mettre en place, que tous pourront participer et qu’il y aura, même dans les petites communes, le matériel, les locaux et le personnel pour aboutir au résultat souhaité, très clairement défini, avec des indicateurs, des objectifs clairs et des mesures de réussite établis longtemps à l’avance. Youpi.

Tout ceci sent bon le projet d’envergure pensé avec soin, non ? Dès lors, peu importe que les parents soient majoritairement (60%) opposés à ces rythmes. Ces gros paquets de réactionnaires intégristes des méthodes syllabiques et autres enseignements poussiéreux des années 70 et avant n’ont juste pas compris ce qui est bon pour eux et leur progéniture, voilà tout.

De toute façon, la nouvelle ministre, à la fois une femme et la plus jeune à ce poste important (gage de qualitäy, encore une fois), s’est engagée personnellement pour que ces fameux rythmes soient respectés. Et comme il pourrait y avoir des frictions, elle a rappelé, avec toute la douceur qu’on lui connaît, qu’il n’y aura aucune dérogation, qu’aucune exception ne sera tolérée et que ces nouveaux rythmes scolaires seront appliqués, schnell et über alles ! Et tant pis pour les quelques communes, peu nombreuses, qui récalcitrent à plein tuyaux : au pire, les préfets interviendront directement à la place des maires, on enverra des tanks et voilà tout.

« Je le dis, il y a une obligation scolaire, il faut que les communes respectent la loi et nous ne tolèrerons aucune exception. »

Ah oui, cette fameuse obligation scolaire, qui était, jadis, l’obligation d’instruction, rapidement renommée en obligation d’éducation, et que notre ministre semble avoir changé en une obligation d’aller à l’école qui n’existe pas. En somme, non seulement l’école est devenue obligatoire (youpi ?), mais, avec ces nouveaux rythmes plein de vertus qui imposent d’occuper les enfants autrement, les activités périscolaires deviennent à leur tour un passage obligé. Pas obligatoire, officiellement, mais difficilement évitable.

Et peu importe leur coût économique. Peu importe encore plus leur coût sur l’instruction dispensée aux enfants. Les 45 minutes rognées ici et là tous les jours pour aboutir à cette nouvelle organisation n’auraient de toute façon jamais été employées pour travailler l’écriture, la lecture et le calcul. Par exemple, alors que le nombre de dictées hebdomadaires, en primaire, n’arrête pas de chuter et qu’en conséquence, le niveau général d’orthographe de nos chères têtes blondes se rapproche dangereusement de l’optimum Twitter (nécessaire à toujours faire tenir sa pensée en 140 caractères), le nombre d’heures passées à des activités ludiques, décoratives, créatrices et patamodelesques continue gentiment de croître, permettant ainsi à des armées de petits artistes de venir grossir les rangs des collèges « uniques », marque de fabrique emblématique de la République Égalitariste Française et totem indépassable d’une conception sociale si délicieusement eighties et dont les effets, bien palpables actuellement, peuvent sans souci se ranger dans la catégorie des réussites flamboyantes. Youpi, derechef.

Bref, comme pour tout le reste, c’est « business as usual ». Moyennant quelques ajustements marginaux qui seront montés en épingle pour montrer l’extraordinaire capacité d’adaptation du gouvernement et de son administration aux désirs des uns et des autres, ce qui a été décidé continuera exactement comme prévu. Et alors qu’un nombre maintenant important de parents et de personnels enseignants se sont déclarés assez défavorables à la réforme, qu’à l’évidence, cette dernière n’apporte en réalité aucun bénéfice palpable et, surtout, n’était clairement pas dans les priorités de bon sens qu’un gouvernement devait s’imposer, l’Éducation Nationale a décidé qu’il en serait ainsi, point final. Après tout, comme il y a eu une réforme pour à peu près chaque ministre en place, pourquoi Peillon n’aurait-il pas eu la sienne, aussi néfaste soit-elle ?

Et puis, ces bricolages, ces changements permanents, ces réformes bidons occupent les esprits et, à défaut de soigner les écrouelles, éloignent les soucis de trop penser à l’essentiel. Ainsi, l’idée même que les écoles, les collèges, les lycées pourraient, tous, offrir des cursus, des horaires et des organisations différents les uns des autres, l’idée que les parents pourraient choisir entre les établissements, et s’affranchiraient ainsi d’une carte scolaire qui n’existe pas mais qu’on doit respecter si on ne connaît pas les bons réseaux, l’idée que les impôts qui servent à payer toutes ces frasques pourraient donner un droit de regard, même modeste, sur l’éducation de ses enfants, toutes ces idées-là ne sont toujours pas dans les têtes des contribuables et des parents, dans les programmes politiques présents et futurs, ni dans les habitudes mêmes.

Najat Vallaud-Belkacem, avec ses dernières déclarations, montre à la perfection ce que l’institution attend de ceux qu’elle entend diriger : une obéissance, une conformité totale avec les comportements attendus. Les parents, devenus simples géniteurs de futurs citoyens, ne sont même pas des variables d’ajustements dans le grand tout. Le marronnier de la rentrée est en place, celui de la réforme se faufile, et dans quelques semaines, avec un peu de chance, on sera passé à autre chose. Et dans quelques mois, une nouvelle réforme s’imposera, d’elle-même, à tous.

Vous verrez, ce sera génial. Youpi.

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