La France est-elle à vendre ?

Au lendemain de sa victoire à la primaire de 2011, François Hollande avait dit vouloir « réenchanter le rêve français ». Celui-ci a tourné au cauchemar dans un mélange de médiocrité et de ridicule humiliant pour le pays. Les Français se sont mal réveillés avec, dans la chambre, un nouveau venu, inattendu, qu’ils avaient élu dans une crise de somnambulisme. Celui-ci ne tient pas à faire rêver les Français. Seul son rêve personnel l’intéresse : tisser un destin avec la trame de sa volonté de puissance et la chaîne de la destruction créatrice, marier Nietzsche et Schumpeter, s’inscrire dans l’histoire comme l’homme qui aura détruit la France pour créer l’Europe. La première étape semble bien s’annoncer. La destruction que certains voulaient retarder ou contrarier est cette fois clairement et volontairement entreprise. Emmanuel Macron n’a pas été élu sur un projet mais sur un double rejet. Mais, sans en avoir conscience, les Français ont surtout rejeté les grands projets dont on avait nourri leur imagination collective depuis des décennies. La France indépendante et éternelle du Général de Gaulle va se dissoudre dans une Europe fédérale à dominante évidemment allemande. C’était le sens limpide du discours du Président à la Sorbonne. C’est aussi la France des grands champions industriels de George Pompidou qui est liquidée. Jusqu’à présent, le processus avait été subi non sans résistances. Mais le départ de Montebourg et l’arrivée de Macron signifiaient sans qu’on y prît garde la reddition de la place. La vente d’Alstom Energie à l’américain Général Electric était suspendue à un aval ministériel introduit par le premier pour bloquer l’opération, et que le second a accordé sans sourciller. Il a d’ailleurs menti sur le sujet durant le débat du second tour de la présidentielle sans que Marine Le Pen se montrât capable de le prendre en flagrant délit.

Macron qui affectionne l’anglais peut se résumer en un « Big is beautiful ». La France, c’est trop petit. Il faut l’Europe. De même, les anciens champions industriels français ne peuvent atteindre la masse critique qu’en se mariant à des étrangers. Le concept est prêt : on va multiplier les « Airbus »et annoncer les épousailles de Mme Alstom transport avec M. Siemens pour bâtir un Airbus ferroviaire, de Mme STX avec M. Fincantieri pour édifier un Airbus de la construction navale. L’emballage est séduisant. Le contenu est triplement inquiétant. D’abord il établit la perte de la maîtrise nationale des grandes entreprises françaises. Lors de la création d’Airbus, la France avait une industrie aéronautique de premier plan. Ce n’était pas le cas de l’Allemagne qui peu à peu a cependant acquis la parité. C’est aujourd’hui un Allemand qui dirige le groupe dont le siège social est aux Pays-Bas. Ensuite, il souligne l’effondrement de l’industrie nationale, passée de 16,5% du PIB en 2000 à 12% aujourd’hui avec la destruction de 25% de ses emplois. C’est sur ce terrain que le fossé s’est creusé avec l’Allemagne, son plein-emploi et son excédent commercial. Or, l’industrie est essentielle dans la recherche-développement et pour le commerce extérieur, pour l’avenir et pour la puissance réelle d’une économie, pour les emplois directs et indirects qu’elle génère. Certes, la France détient encore de beaux fleurons dans des domaines comme le luxe, l’agroalimentaire, la construction, l’énergie mais elle brille surtout dans les services. Or, si on se réfère à la formule du PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk, d’une « entreprise sans usine », on sait qu’une industrie qui se dématérialise passe de l’état solide à l’état liquide ou gazeux : elle coule ou elle s’évapore. Alcatel, l’un des champions français, leader mondial de la fibre électronique, a fini beaucoup plus petit et racheté par le finlandais Nokia. Qui se souvient de Rhône-Poulenc, repris en partie par le grand chimiste belge Solvay ? De Péchiney disparu dans un géant de l’aluminium canadien, Alcan ?

Ces annonces apparemment ambitieuses d’Airbus européens pour mieux résister aux Chinois cachent mal le déclin continu de notre pays. La France n’en finit pas de payer la facture de la démagogie socialiste et de la lâcheté de ceux qui ne se disaient pas socialistes mais continuaient de mal gérer un pays qui le demeurait avec plus de 50% du PIB en dépenses publiques. Les réformes actuelles et le budget 2018 sont loin de compenser nos handicaps. Manifestement, le locataire de l’Elysée veut améliorer les performances de nos entreprises et rendre la France plus conforme aux exigences européennes, mais son horizon n’est plus celui du pays. Alors, il s’agit de faire illusion. Améliorer les résultats généraux de notre économie à la marge en profitant d’une conjoncture mondiale favorable, qui a toujours du mal à se traduire en termes d’emplois, et surtout masquer par le geste la réalité de l’action. Ainsi, l’Etat a nationalisé STX, le temps de corriger l’accord précédent concédé par le gouvernement Valls. Il s’agissait, paraît-il, de dénoncer une mauvaise négociation qui avait ignoré la nécessaire stratégie industrielle du pays. Notre banquier-stratège annonce maintenant avec satisfaction un compromis « gagnant-gagnant »… où l’Italie obtient ce qu’elle voulait : la majorité avec 50% du capital pour Fincantieri et 1% prêté par la France, avec une clause de « revoyure » histoire de sauver la face de Jupiter : curieuse égalité ! Cette gesticulation n’a rien à voir avec un patriotisme économique intelligent qui suppose effectivement une libéralisation de l’ensemble de notre économie, mais avec un Etat stratège capable d’intervenir uniquement où et quand c’est vital. Pour cela, il faut qu’il en ait la volonté et les moyens. Or les deux lui manquent.

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