La Guerre des deux France

La Guerre des deux France est un livre du regretté Jacques Marseille. Cet historien et économiste, marxiste dans sa jeunesse, à la sortie de la formation idéologique dominante dans notre système scolaire et universitaire, était devenu libéral en travaillant sérieusement certaines questions, comme la colonisation, en réfléchissant et en raisonnant. On lit par exemple à la page 101 de l’ouvrage cité : « Tout se passe comme si la France préférait un taux de chômage élevé à une politique de réduction du coût du travail peu qualifié… comme si la France avait choisi de privilégier la productivité de ceux qui travaillent pour pouvoir financer le chômage de ceux qui ne peuvent trouver un emploi. » Cette observation de 2004 éclaire toujours le débat actuel. Il ajoutait un peu plus loin : « En France, pour occuper la « une » des médias, et faire parler de soi, mieux vaut être sans-papiers, casseur, ou intermittent du spectacle que créateur d’entreprise ». Cette autre remarque n’a malheureusement rien perdu de son actualité. La France est toujours divisée entre ceux qui râlent et ceux qui rament. Un autre analyste d’une grande lucidité, Michel Godet en avait même vu quatre : celle qui rame, composée des travailleurs, patrons, employés, et ouvriers qui se lèvent tôt ; celle qui brame en travaillant peu dans des professions protégées ; celle qui se pâme en haut de l’échelle sociale et enfin celle du drame, avec des revenus trop faibles et des problèmes trop lourds. Ceux qui rament n’ont guère le loisir de râler, ceux qui vivent dans le drame, les moyens de s’exprimer. Les râleurs se recrutent plutôt dans les deux autres catégories. Le taux de syndicalisation est faible dans le secteur privé, plus important dans le public. Paradoxalement, c’est dans ce dernier que les grèves sont plus fréquentes, comme si la revendication se faisait désormais par procuration. Enfin, la contestation est souvent affichée par souci d’élégance en haut de la pyramide, mais elle vise davantage les revendications sociétales que sociales. Il y a bien deux France, celle qui se bat en conciliant l’intérêt privé et le bien commun, et celle qui affiche souvent de grandes idées aussi vagues que généreuses sur l’égalité et le progrès tout en s’accrochant à ses avantages catégoriels et en bloquant les réformes nécessaires. Si on exclut ceux qui refusent tout débat et choisissent la violence et ceux que leur égoïsme rend étrangers à des questions qui ne concernent plus pour eux qu’une nation obsolète, il reste les deux camps traditionnels, qui fondent encore l’opposition entre la droite et la gauche.

Le 1er Mai est la fête du travail. La droite y verra la célébration d’une valeur essentielle à la vie humaine et qui réunit tous ceux qui vivent ou ont vécu de leur savoir-faire. La gauche y verra davantage une journée de repos gagnée par la lutte sociale et qui permet d’exprimer des revendications en occupant la rue, et parfois davantage.

Dans cette confrontation, on retrouve deux oppositions : la première est celle de la nation et de la classe. « Il n’y a de richesse que d’hommes » disait déjà Jean Bodin, et les performances économiques du pays, son taux de chômage peuvent être vécus comme des motifs de fierté ou des humiliations, même lorsqu’ils ne touchent pas personnellement. La gauche a une conception plus discriminante du travail. Il serait avant tout l’activité des salariés, et par essence ceux de l’industrie. La tertiarisation de l’économie a bien sûr élargi la notion, mais en elle persiste l’idée que le travail est une exploitation qui prive les salariés d’une partie de la valeur créée au profit des propriétaires de l’entreprise. Cette idée est malheureusement renforcée par des rémunérations indécentes, notamment à l’occasion de départs de « grands patrons » qui sont en l’occurrence plus des salariés privilégiés que des capitalistes. La tradition de la gauche consiste donc à dénoncer l’injustice du système au lieu de considérer qu’il peut être amélioré en le rendant plus performant. L’image qui vient à l’esprit est celle du gâteau. Si des réformes, comme l’augmentation du temps de travail, l’abaissement de son coût par la réduction des charges, l’incitation fiscale à investir peuvent accroître le nombre des travailleurs, c’est l’ensemble de la nation qui en profitera. Le gâteau sera plus grand et les parts plus nombreuses et plus grosses. La gauche s’y refuse chez nous au nom des avantages acquis et de la lutte des classes. On peut s’étonner que les plus actifs dans la contestation et dans l’usage de la grève appartiennent au secteur public et ne peuvent se prétendre victimes d’une exploitation capitaliste. Ils sont au contraire au coeur de l’autre France, celle surdimensionnée, qui, par son coût, est responsable de l’insuffisance de nos performances. L’emploi sûr et à vie de certains est plus à impliquer dans le chômage des autres que le profit.

La seconde opposition porte sur la valeur « travail ». Si la droite continue à la magnifier comme la synthèse de l’autonomie personnelle et de l’intégration sociale, la gauche qui dans le passé en faisait une marque distinctive du prolétariat, en est arrivé progressivement à revoir en lui le « tripalium », l’instrument de torture qui est son étymologie. Si Arlette Laguiller employait le mot travailleur comme un étendard, François Mitterrand avait inauguré ses désastreux mandats présidentiels avec un Ministre du Temps Libre, syndicaliste enseignant, à une époque où l’on attribuait les portefeuilles à des spécialistes. Les travailleurs, les ouvriers en particulier votent de moins en moins pour des socialistes qui, en réduisant le temps de travail et en augmentant son coût social, ont ruiné l’industrie et appauvri les salariés. En revanche, les fonctionnaires et les « bourgeois-bohèmes » qui dans le cocon des grandes villes s’adonnent à des activités de communication restent fidèles à la Gauche. Ruquier disait ainsi avec une totale irresponsabilité qu’il souhaitait un Président de droite parce que les Français seraient plus heureux, mais que lui continuerait à voter à gauche… Cette incohérence est celle d’une gauche qui devrait se mettre au travail pour comprendre notre époque et voir le monde tel qu’il est.

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8 Comments

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  • Pierre , 3 mai 2016 @ 11 h 18 min

    Un florilège d’idées reçues écoulées raboutées sans grande cohérence.

    “On peut s’étonner que les plus actifs dans la contestation et dans l’usage de la grève appartiennent au secteur public et ne peuvent se prétendre victimes d’une exploitation capitaliste.
    Ils sont au contraire au coeur de l’autre France, celle surdimensionnée, qui, par son coût, est responsable de l’insuffisance de nos performances.”
    J’aimerai sur cette analyse connaître l’avis des infirmières des hôpitaux publics, ou des techniciens chargés du suivi du bon fonctionnement des barrages EDF, qui crapahutent à 2500m, en plein hiver, sous les tempêtes de neige.

    Mr Vaneste, il en faut décidément bien peut pour publier sur NDF…

  • aixois , 3 mai 2016 @ 11 h 35 min

    La phrase que vous citez : »Tout se passe comme si la France préférait un taux de chômage élevé à une politique de réduction du coût du travail peu qualifié… comme si la France avait choisi de privilégier la productivité de ceux qui travaillent pour pouvoir financer le chômage de ceux qui ne peuvent trouver un emploi. », ne fait que confirmer ma conviction que cette situation de « guerre des 2 France » est voulue par nos élus et responsables politiques.
    On a remplacé une société basée sur le mérite par celle qui est assistée.
    La première travaille et épargne. En 2014 le taux d’épargne atteint un niveau record de 4000 milliards d’€ dont 1300 Mds dans l’assurance-vie. AVIVA, première banque d’épargne européenne, est anglaise. Cette situation n’encourage pas les épargnants à envisager une rupture avec le « système » actuel, pour aller vers plus de souveraineté.
    La seconde se contente des allocations qui permettent de vivoter, tout en exerçant souvent un travail précaire au noir. Ces gens ne souhaitent pas le « changement » et vivent souvent au jour le jour.
    Quel est l’intérêt de cette situation ?
    Personne ne souhaite le changement, ce qui se traduit par la réélection périodique des mêmes politiques. Et pour maintenir le plat au chaud, on entretient l’école inégalitaire actuelle où une partie des élèves s’en sort quand leurs parents les placent dans des établissements performants, et le reste se contente de l’école publique (150000 élèves quittent l’école annuellement sans qualification).
    Pour assurer la paix sociale, nous avons inventé les hypermarchés, qui assurent la survie des classes moyennes et leurs donnent l’impression de satisfaire leurs besoins de consommateurs.
    Et ça roule ma poule !

  • Charles , 3 mai 2016 @ 11 h 48 min

    De plus, il n’y a aucun sens à vouloir établir une synthèse des causes
    de notre régression depuis 40 ans sans aborder le point central.

    A savoir qui gouverne la “fronce” en continu depuis 40 ans ????

    Qui occupe absolument tous les postes de décision dans tous les secteurs ?
    ceci à l’exception des idiots utiles parfaitement maîtrisés par leurs soutiens.

    Connaissez vous un seul maire d’une ville de plus de 10.000 habitants
    qui soit devenu maire de son seul chef, du simple fait de sa notoriété
    et donc sans aucun soutien occulte d’une organisation masquée ???

    Mr Vanneste, vous ne parlez pas du rôle des frères masqués
    alors que ceux ci étaient autour de vous, tout le long de votre carrière politique.
    Pourquoi donc ????

  • Catholique & Français , 3 mai 2016 @ 15 h 18 min

    “Il en faut pourtant bien peu” pour comprendre que les “infirmières des hôpitaux publics ou les techniciens chargés du suivi du bon fonctionnement des barrages EDF, qui crapahutent à 2500m, en plein hiver, sous les tempêtes de neige” sont très loin de constituer la majorité des employés du “Secteur Public”. Par ailleurs, “il en faut également bien peu” pour savoir que le sort (travail, possibilités de licenciements, horaires, avantages de toutes sortes et surtout retraites etc…) des “infirmières des Hôpitaux Publics” est bien plus enviable que celui des infirmières du Privé (cliniques etc…).

  • Kris , 3 mai 2016 @ 18 h 01 min

    Les techniciens EDF dont on paye la facture d’électricité (tarif agent) en plus de leur mirifique comité d’entreprise.
    Bien sûr, il est plus facile d’évoquer les infirmières que les (trop) nombreux agents des collectivités territoriales surpayés et à l’absentéisme proverbial, notamment grâce à la suppression du jour de carence pour les seuls fonctionnaires.

  • Maurice , 4 mai 2016 @ 8 h 31 min

    Quitter l’école sans qualification n’est pas dévalorisant, le problème est que l’orientation scolaire n’est pas capable d’orienter des gamins correctement, ceux ou celles qui le font ne font que d’orienter (pour la plupart) par rapport à leurs envies, pas pour l’intérêt de l’enfant qui est devant eux !
    Ne pas avoir de diplôme n’empêche pas de pouvoir travailler, mais voilà, ce ne sont pas des métiers assis dans un fauteuil derrière un bureau, ce sont les métiers manuels qui sont accessibles pour ses enfants et un bon ouvrier peut très bien vivre de son travail, voire mieux que beaucoup de gratte papier !
    Il y a plus de 50 ans nos parents disaient : sans certif tu ne trouveras pas de travail, c’est devenu : sans brevet…, actuellement nous en sommes au baccalauréat. Plus le temps passe et plus nos enfants commencent à travailler tard, mais refusent d’envisager de prendre leur retraite vers 65 ans pourtant cela sera vers cet âge, car ils leurs faudra avoir les années de cotisations. Tout ça pour en venir à : ne les laissons pas faire des études qui les mèneront que dans le mur ! Faire un métier manuel, même fatigant, est valorisant si aimé et fait avec plaisir ! (j’allais dire amour, mais c’est le cas)
    Les supermarchés ont été inventés pour remplir le tiroir-caisse ! Pas pour autre chose. Les dirigeants n’ont que faire de nos envient et besoins, ce qui compte est le chiffre d’affaire, peu importe la manière ! (voyez les producteurs et éleveurs)
    Les politiques préfèrent des citoyens leur devant et demandant toujours plus quelque chose, cela leur permet de les tenir par les nouilles ! La gestion de municipalités nous en amène la confirmation : le clientélisme. (idem au niveau national)

  • borphi , 4 mai 2016 @ 16 h 02 min

    Jacques Marseille. Cet historien et économiste, marxiste dans sa jeunesse, à la sortie de la formation idéologique dominante dans notre système scolaire et universitaire, était devenu libéral en travaillant sérieusement certaines questions, comme la colonisation, en réfléchissant et en raisonnant. On lit par exemple à la page 101 de l’ouvrage cité : « Tout se passe comme si la France préférait un taux de chômage élevé à une politique de réduction du coût du travail peu qualifié… comme si la France avait choisi de privilégier la productivité de ceux qui travaillent pour pouvoir financer le chômage de ceux qui ne peuvent trouver un emploi. » Cette observation de 2004 éclaire toujours le débat actuel
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    Effectivement pour affirmer ceci-dessus , il faut être libéral.
    Il faut forcer l’immigration pour faire baisser non seulement les bas salaires mais tous les coûts du travail en général.
    C’est ce qui se fait depuis 40 ans… Et puis quoi ? Tout se passe comme si les français n’avaient rien compris du caractère foncièrement nuisible du libéralisme.

    Non Monsieur Vanneste !
    Baisser le coût du travail oui , mais pas en baissant les salaires , mais plutôt en excluant des charges qui n’ont rien à faire dans les charges sociales du travail.
    Maladie, allocations familiales etc ..etc ..
    Seules les charges propres aux salaires différés doivent y rester: retraites , indemnités journalières arrêt de travail pour maladie ou accident, Unedic ..

    Et reporter les charges sociales propres à financer la maladie, les soins, la politique familiale pour moitié dans la CSG et l’autre moitié dans une TVA sociale.

    C’est sûr , c’est pas libéral mais ça tiendra la route..

    Cordialement

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