Les territoires perdus de la République

Tribune libre de Christian Vanneste*

2005-2012 : les images se superposent. Sur la première, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, est à La Courneuve, et répond à l’interpellation d’une habitante à sa fenêtre. Il évoque la racaille qu’il faut nettoyer, au kärcher ajoutera-t-il plus tard. Sur la seconde, François Hollande, lui Président, est à Échirolles et répond aussi à une dame à sa fenêtre : il parle d’apaisement, de justice et de sécurité. À la provocation verbale qui avait joui d’un indéniable succès médiatique, mais dont on mesure aujourd’hui l’efficacité à celle du sabre de bois du Matamore, fait face un discours plus convenu, plus mesuré, qui est d’ailleurs suivi de plusieurs interpellations, en attendant les suites judiciaires qui permettront d’évaluer la politique de Christiane Taubira. On peut, comme sainte Valérie Pécresse croire en la résurrection politique de Nicolas, et dire que la série de violences qui frappe actuellement l’opinion est due aux mauvais signaux émis par le gouvernement. Cette explication extatique est un peu courte. Le discours de Grenoble, déjà, avait marqué les esprits en juillet 2010 et donné le ton de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en vue de regagner les suffrages de la droite dure. Malheureusement, les annonces tonitruantes faites à cette occasion, déchéance de la nationalité, réforme des ordonnances de 1945 sur la justice des mineurs, expulsion des Roms, suspensions des allocations familiales se dissiperont sous le triple effet de la critique médiatique et européenne, de la mollesse majoritaire et du Conseil Constitutionnel. Deux ans plus tard, les Roms sont toujours là, la violence n’a pas reculé et c’est précisément sur le lieu du discours que retentit ce rappel douloureux.

Nicolas Sarkozy a bâti sa réputation, d’abord comme premier « flic » de France. Une présence courageuse sur le terrain, une volonté d’agir jamais démentie, un discours « musclé », et une culture du résultat toujours en éveil assuraient une image positive, celle d’un homme capable de faire « bouger les lignes ». Les statistiques semblaient lui donner raison. Après le désastre des années Jospin, et le franchissement de la barre des quatre millions de crimes et délits à l’issue d’une hausse de 18%, les gouvernements de droite ont pu communiquer, chaque année, des chiffres soulignant la baisse de la délinquance et la hausse du taux d’élucidation, accompagnée de l’augmentation des effectifs policiers inscrits dans la LOPSI I d’août 2002 : 6 500 policiers et 7 000 gendarmes supplémentaires. Une police plus efficace, mieux employée, faisant appel à des techniques de plus en plus pointues et à des fichiers performants, et soutenue dans ses investigations par les réseaux de vidéoprotection désormais appelés à se développer, alors que la gauche idéologique s’y opposait : tel est le tableau rassurant de 2010, avec une baisse des faits constatés pour les atteintes aux biens, les escroqueries, ou encore les délits routiers. Trois chiffres doivent, cependant, retenir l’attention. D’abord, si le nombre des atteintes aux biens diminue, celui des atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes augmente de 2,5%, ce qui conduit à une hausse de 14% en cinq ans. En second lieu, paradoxalement, le pourcentage des « mis en cause » pour ces faits est lui en baisse de 2,2%. Enfin, les mineurs prennent une part de plus en plus grande dans la délinquance : près d’un vol sur deux commis avec violences met en cause un mineur. La proportion des mineurs a cru chaque année entre 2005 et 2010 pour l’ensemble des infractions. De plus, la comparaison entre la France et les autres pays européens n’est guère à notre avantage. L’Allemagne subit en 2008 210 000 crimes et délits violents, et la France, 332 000 !

“L’Allemagne subit en 2008 210 000 crimes et délits violents, et la France, 332 000 !”

Surtout, ce qui frappe l’opinion, c’est le lien entre cette violence et les quartiers qui paraissent échapper aux lois de la République, soit parce que s’y développe une économie illicite scandée de règlements de compte sanglants, soit parce que les vecteurs et les symboles de l’autorité républicaine y sont victimes d’agressions, personnels de l’Éducation nationale, notamment, soit encore parce que s’y produisent des actes de barbarie qui provoquent un véritable malaise dans la civilisation, comme l’assassinat de Kevin et Sofiane, par une bande de quinze individus, à Échirolles. Les explications habituelles demeurent tragiquement insuffisantes. Certes, dans ces quartiers, le taux de chômage est plus élevé, le pouvoir d’achat plus faible, la déshérence des jeunes plus grande, mais si cela explique l’existence d’une économie parallèle cela ne justifie en rien l’hécatombe marseillaise, la facilité avec laquelle on tue. Certes, les moyens humains de la sécurité ont diminué. Le stupide gouvernement Raffarin a entériné en 2003 l’application des 35 heures à la police, rayant ainsi 10% des effectifs sur le terrain, celui de Fillon a appliqué la RGPP aux fonctionnaires de sécurité. Le résultat est consternant : il y avait 249 000 policiers et gendarmes en 2002 ; il n’en restait que 243 000 en 2010 ! Mais on ne pourra mettre un policier devant chaque immeuble. On peut aussi réduire la question à une constante sociologique, comme le fait Michel Fize : les bandes d’adolescents ont toujours existé. Au carrefour de la vie familiale des enfants et de la vie sociale des adultes, les « ados » remplacent le père par les pairs et constituent des groupes dont la socialisation est horizontale et non plus verticale. Le problème, c’est que lorsque l’éclatement de la famille a éliminé le père depuis longtemps, lorsque « les modèles établis discréditent l’autorité des générations antérieures », que « les institutions de socialisation sont en panne de légitimité », cette intégration dans le groupe se fait contre la société. Les « codes » sont incompatibles : on peut tuer pour un mauvais regard ou une cigarette refusée. À cela s’ajoute la distance culturelle qui facilite cette distorsion des valeurs de référence et qu’avait pointée Hugues Lagrange dans Le Déni des cultures.

Le mot de barbarie vient à l’esprit, même condamné par Montaigne et Lévi-Strauss réunis, car là, il ne s’agit pas de rejeter les éléments d’une autre culture, il s’agit d’être à la fois atterré et révolté par l’impuissance à transmettre la nôtre. Dans notre civilisation chrétienne, républicaine, humaniste, peu importent les mots, on peut frapper un professeur, massacrer un policier, pratiquer des « tournantes » dans l’espace public, liquider le dealer d’une bande rivale ou tuer celui qui, d’un regard, aura manqué au respect dont se croit revêtu une petite frappe. Ceux qui ne comprennent pas que le combat à mener est celui d’une civilisation, et que pour le gagner, il faut user prioritairement de trois moyens se trompent lourdement. Ces moyens, quels sont-ils ?  D’abord limiter l’immigration aux possibilités de l’intégration. Ensuite restaurer le modèle familial traditionnel. Enfin, redonner toute sa place à l’autorité, celle de la sanction, rapide et inévitable, celle du Magistrat qui en décide et qui l’applique, celle des vecteurs de l’ordre républicain que sont de manière complémentaires les héritiers des hussards noirs de la République et ceux des Brigades du Tigre. Mais, bien sûr, pour se faire respecter, l’autorité, la République doivent être irréprochables…et ça, c’est le 4ème tiers du cocktail de Pagnol !

*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.

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15 Comments

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  • FrançaisETpatriote , 4 octobre 2012 @ 20 h 10 min

    Mr Vanneste, pourquoi avez-vous voté toutes les lois anti-france avec l’UMP pendant des années?

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