Créons une “Fédération nationale des modérés de France” !

Puisque la « loi Taubira » a été promulguée, il faut à présent tirer un bilan de ce qui, en réalité, traduit l’échec des modérés à peser dans les débats politiques, économiques et sociaux du jour mais aussi songer à certaines perspectives pour que le « moteur diesel, avec ses retards à l’allumage » (1) ne soit pas utilisé par des « pigeons faciles à plumer ».

L’échec de la « Manif pour Tous » est patent parce qu’elle a manqué à son véritable but : obtenir le retrait du projet de loi, sinon de la loi elle-même. Il ne sert vraiment à rien d’attribuer cet échec au comportement personnel de l’un (l’une) de ses principaux animateurs. Les conseilleurs qui, ici ou là, ont perdu leur temps à le critiquer n’étaient vraiment pas les meilleurs. En revanche, on ne peut que constater les dégâts d’une inculture politique grandissante qui nous affecte, que l’on aille ou non à la messe tous les dimanches, que l’on ait fait ou non HEC.

> En effet, qui a pris conscience, lorsque le débat parlementaire a été officiellement annoncé en septembre dernier, puis engagé deux mois plus tard (en commission, à l’Assemblée nationale et au Sénat), que le principe de subsidiarité en France, Révolution française oblige, avait bien du mal à être mis en pratique et qu’une telle carence avait fini par conditionner le comportement de nos compatriotes modérés devenus individualistes par pratique, consommateurs banals et peu avertis en fin de compte du rôle essentiel des corps intermédiaires dans la vie d’une société ?

Il était bien illusoire de clamer la tenue d’un référendum (une revendication annoncée trop tard et de toute façon, vouée à l’échec pour de multiples raisons (2) alors que l’on pouvait, il y a un an déjà, peser sur les organisations professionnelles compétentes en la matière, dont la légitimité était malgré tout reconnue par les pouvoirs publics. Il n’y a donc pas eu de débat « en amont » avec les associations familiales, les barreaux, l’ordre des médecins, etc.

> Une autre cause de cet échec réside dans cette sorte d’allégeance (un tropisme) et de passivité (un autre tropisme) que nous, modérés, n’osons pas avouer à l’égard de partis politiques qui prétendent nous représenter. Ceux-ci, nous le savons pourtant, se moquent régulièrement et ostensiblement de nous et nous prient, pour ce sujet comme pour d’autres (L’Europe, notamment) de « rentrer à la niche » une fois exprimé notre mécontentement. L’exemple de la déclaration faite dès le vote de la “loi Taubira” par Bernard Debré (UMP) commentant les réticences de certains d’entre nous envers la candidature d’une personnalité politique du même bord, connue pour s’être désolidarisée de la manifestation pour tous (3) est, de ce point de vue, tout à fait révélateur de notre pusillanimité largement consentie, d’ailleurs. Hélas, il faut s’attendre, si rien ne change chez nous, à ce qu’aux municipales, nous votions pour des élus qui, censés nous représenter, ont été favorables (ou connivents) au mariage pour tous et viendront nous dire, le moment venu, qu’au nom du moindre mal, il faut voter pour eux.

> Enfin, notre échec exprime un autre conditionnement qui dessert notre cause : le parisianisme. Pourquoi avoir tout misé sur des rassemblements de foule dans la capitale ? Si l’on se souvient du précédent de 1983-1984 (la défense de l’école libre), le mouvement avait commencé en province et il était alors plus facile, à Paris, d’amplifier efficacement notre réactivité et notre détermination à faire démissionner des ministres directement concernés et à obtenir un résultat concret et tangible : l’abandon d’un projet de loi, bien que voté, sans même passer par un référendum sur des questions de société (alors et toujours impossible de facto sur le plan constitutionnel), ni par un recours (illusoire) à la Cour européenne des droits de l’homme ou encore par le Conseil constitutionnel (qui de toute façon, à la manière d’un juge administratif, ne connaît que « le contrôle minimum » des décisions gouvernementales au sens large).

Ce qui suit ne doit pas être considéré par vous comme une critique faite au déroulement même des manifestations parisiennes. Il existe pourtant un autre précédent que nous n’avons peut-être pas suffisamment médité, c’est celui de la RDA en 1989 mais il est vrai que l’Allemagne, s’appuyant sur une longue tradition politique et sociale, n’est pas un pays centralisé. Dans cette partie du pays, à cette époque, ce sont les corps intermédiaires subsistants, ou des associations déterminées œuvrant dans la société, qui, dans les principales villes provinciales et secondairement à Berlin, ont choisi de manifester systématiquement un jour indiqué de la semaine pour demander des réformes radicales avec le résultat tout aussi radical que l’on sait.

Dommage pour nous car, mutatis mutandis, le refus du « mariage pour tous » était, en France, un mouvement qui partait de la province mais c’est Paris que l’on a privilégié pour s’opposer à cette réforme gouvernementale. Or, le refus de cette réforme gouvernementale était à attribuer avant tout aux élus, et aux corps intermédiaires en province et moins aux élites parisiennes bien éloignées des préoccupations du « pays réel ». Nous n’avons pas choisi cette voie et on ne peut que le regretter à présent, à nos dépens.

* * *

On ne saurait cependant en rester sur cette impression d’échec – la dernière “Manif pour Tous”, organisée le 2 février dernier ne permet pas de la surmonter -, ce que la nature humaine, de toute façon, ne saurait tolérer si on croit à la vie tout court, avant même de se référer, par exemple, à l’espérance des chrétiens. Il se trouve que cette « loi Taubira » est incomplète puisque des ordonnances ont été annoncées pour adapter la législation à toutes les matières qui ne relèvent pas du Code civil. Ces ordonnances sont elles aussi en relation directe avec des procédures qui engagent largement le droit communautaire et le droit international (Conseil de l’Europe inclus) qui, de plus en plus, reçoivent la même force juridique qu’en droit interne.

“Qui veut relever le défi de la création d’une ‘Fédération nationale des modérés de France’ capable de faire pièce à des partis politiques toujours soucieux de récupérer les voix encore captives de nos compatriotes le moment venu, et qui provoquerait ENFIN un réflexe salutaire pour nous : ne plus être ce ‘moteur diesel ayant toujours du retard à l’allumage’ ?”

Il serait trop long de s’étendre ici sauf à vous dire que l’on devrait prendre davantage en compte l’hostilité de larges secteurs de l’opinion publique de différents pays européens, voire au-delà, envers le mariage homosexuel, que celui-ci soit reconnu officiellement ou en passe de l’être. On connaît déjà le recul du gouvernement croate qui a accepté l’organisation d’un débat préalable auprès des corps intermédiaires de ce pays (c’est ce débat qui, précisément, a manqué en France). Mais on sait très bien que sans une solidarité européenne digne de ce nom venant appuyer l’action de ces corps intermédiaires, il sera difficile à la Croatie, et après elle, la Pologne, la Slovaquie, voire même l’Italie…. de résister aux pressions que vous savez.

> Il me semble qu’à l’échelle communautaire un mouvement tel que « La Manif pour Tous » est tout à fait capable de demander la mise en œuvre, prévue par le traité de Lisbonne (4), d’un droit de pétition qui n’est reconnu que si plusieurs pays membres de l’Union européenne s’y associent. Cette pétition doit être rédigée en des termes impératifs sans équivoque possible. Elle doit enjoindre aux institutions communautaires (Commission, Conseil, Parlement ; pour la Cour de justice, c’est à débattre) de s’interdire de légiférer en quoi que ce soit, même au nom des « quatre libertés » du marché commun, dans des domaines qui doivent rester de la compétence des Etats : le mariage, la famille et les institutions qui en découlent. Cette revendication populaire – et non populiste comme l’affirment certains, mal intentionnés – pourrait être complétée d’un demande de moratoire (standstill) sur les projets de règlement ou de directives relatifs à la lutte contre les discriminations, qu’ils soient en préparation ou en cours d’adoption.

> À l’échelle internationale, il faudrait, je pense, « cibler » le Conseil de l’Europe par Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme interposée. On sait déjà les ravages de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, laquelle privilégie systématiquement les valeurs individualistes et les érige en fin en soi pour déstabiliser nolens volens tout ce qui, dans le droit de la famille est destiné à protéger l’individu de ses errements et de ses choix arbitraires. Il serait plus que temps d’amender, sinon de réviser cette Convention européenne. Plusieurs pays membres du Conseil de l’Europe sont, à ma connaissance, prêts à faire cette démarche : je pense à la Russie et à la Grèce. Il faut appuyer ces pays et de ce point de vue, dépasser certains préjugés que les médias d’ailleurs nous instillent pour parler, toujours en mal, de M. Poutine et de l’Église grecque orthodoxe. Faut-il limiter les compétences de la Cour européenne ? Faut-il prévoir l’inscription dans cette Convention, de réserves à l’application des principes qu’elle énonce ? C’est à débattre.

Je n’évoquerai pas ici, faute de compétence personnelle en la matière, ce qui pourrait être fait à l’échelle de l’ONU mais on sait déjà que plusieurs conventions prises sous l’égide de celle-ci sont d’ores et déjà appliquées efficacement (5) en France, concernant les droits de l’enfant et plus largement le droit de la famille. On ne saurait les ignorer et la tentation de les interpréter dans un sens de plus défavorable au maintien de l’institution familiale est de plus en plus forte.

> Quoiqu’il en soit, pour être une force de proposition et d’action à l’échelle communautaire et internationale, il serait souhaitable qu’en France, « La Manif pour Tous » transforme ses structures en urgence.

Des précédents existent en la matière : face à l’attitude des pouvoirs publics réactivant au début des années vingt la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’État se constitua aussitôt une Fédération nationale catholique qui fit plier le gouvernement Herriot désireux de faire application maximaliste de ce texte. Dans les années 50, un évêque courageux se mit à la tête d’un mouvement structuré de parents d’élèves de l’école catholique pour obliger les pouvoirs publics à mettre fin à une application de lois pénalisant systématiquement ces écoles qui ne relevaient pas du monopole de l’Éducation nationale. La « loi Debré » du 31 décembre 1959 eut au moins le mérite de suspendre cette guerre scolaire grâce à la détermination de ce mouvement d’opposition.

Ces précédents ont un contexte confessionnel que l’on ne peut transposer à la situation actuelle : le “mariage pour tous” se réfère au mariage civil et il n’y a aucune raison de réserver aux seuls catholiques – ou plus « largement », aux seuls chrétiens – le droit de s’opposer à une application intégrale de la loi du 17 mai 2013. L’idée de créer une fédération (6) reste pourtant opportune, je crois, si l’on veut réussir à obtenir à court terme (dans quelques semaines avec les municipales) ou à moyen terme (2017, avec les présidentielles) une réforme législative qui, a minima, atténue certains effets désastreux de cette loi sur, au moins, deux points :

– l’adoption (en droit national mais aussi et surtout en droit européen : Union européenne et Conseil de l’Europe) ;
– la lutte contre les discriminations (avec la perspective d’abroger cette funeste “loi Belkacem” en passe d’être promulguée).

Qui veut relever le défi de la création d’une « Fédération nationale des modérés de France » capable de faire pièce à des partis politiques toujours soucieux de récupérer les voix encore captives de nos compatriotes le moment venu, et qui provoquerait ENFIN un réflexe salutaire pour nous : ne plus être ce « moteur diesel ayant toujours du retard à l’allumage » ?

Notes :

1.Cf. G. Cluzel, Il faut se méfier de la France bien élevée, « Boulevard Voltaire », 15 janvier 2013.
2. Je sais : qui ne tente rien n’a rien » mais l’appel au Conseil économique et social et environnemental était une démarche parfaitement inutile parce que constitutionnellement parlant, cet « organe » ne sert pas à grand-chose.
3. Lettre ouverte de Bernard Debré aux partisans de la Manif pour tous qui appellent à sanctionner NKM, « Atlantico », 22 mai 2013. Il y a sûrement d’autres exemples, non « réservés » à l’UMP.
4. Je ne veux pas entreprendre ici une discussion sur le traité de Lisbonne dont la légitimité démocratique est controversée. Cependant, il faut respecter de ce point de vue le principe de réalité suivant : ce traité a été formellement ratifié et doit être respecté par les États signataires tout aussi formellement parce que tout simplement, il faut respecter les règles de droit international. Cela n’interdit bien sûr, ni une révision, ni une dénonciation, mais ces perspectives ne peuvent se mettre en oeuvre qu’en conformité avec ces mêmes règles.
5. Au sens juridique, pour commencer.
6. Dans un premier temps, elle devrait agir comme groupe de pression face à la carence des corps intermédiaires à s’être emparé de ce sujet. Cette fédération doit-elle très vite se transformer en parti politique ?
Tout dépend de l’attitude des partis réputés s’être opposés au mariage pour tous : UMP, FN, UDI, DLR. Les municipales serviront de test pour vérifier si ces partis décident de s’emparer du sujet pour exiger au moins une modification substantielle de la « loi Taubira » ou pour constater au contraire que ces partis invitent leurs électeurs « naturels » à « retourner à la niche » et à les suivre pour défendre des sujets qu’ils jugent plus prioritaires que le nôtre.

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19 Comments

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  • 0 / 10
  • LIMOUSIN , 5 mars 2014 @ 9 h 16 min

    Cet article ne “roule” pour personne.
    Relisez-le attentivement.
    Merci

  • hermeneias , 6 mars 2014 @ 1 h 03 min

    Une “fédération des extrêmistes” , je trouve que ça aurait de la gueule et ça ferait piailler la basse-cours médiatique et autres volatiles ….Ca les emmerderait grave ! Ils glousseraient comme des dindons , bleus de colère et de frayeur tout à la fois .

    Tandis qu’une fédération des “modérés” ça ne suscitera au mieux que de l’indifférence . Ce serait comme une “fédération de bulots” ou de “chancres mous” ….Rien de très excitant

  • LIMOUSIN , 6 mars 2014 @ 9 h 33 min

    Peut-être, le titre du parti est “négociable” (mais pas en bourse).
    Cependant, il serait préférable que vous lisiez l’article à fond. Ce serait mieux.
    Merci

  • PG , 6 mars 2014 @ 11 h 10 min

    Le mot modérés me fait penser au livre éponyme d’Abel BONNARD : quand on l’a lu, on comprend qu’avec des modérés, en etmps de crise, on laisse tout filer.
    La MPT était menée par des modérés, selon une ligne modérée, avec des troupes moins modérés. Mais avec tellement de faux tabous – élimination des extrémistes de droites, et donc des classes populaires- que les manifestations n’ont pas eu leur écho maximum, contrairement à ce que pensent leurs organisateurs parisiens, fiers de leur ”million” peu crédible, qui leur tenu de doctrine et de ligne de communication principale.
    L’analyse de l’échec est intéressante, parce qu’elle ne cible pas que des personnes et leurs accointances, lesquelles expliquent cependant beaucoup de cet échec : la ligne épiscopale étant de laisser filer la loi sur le mariage, mais de bloquer sur la filiation et la GPA. Ligne absurde, qui laisse les défenseurs du mariage à découvert, sur un terrain exposé, et sans marges de manoeuvres, autres que la révolte, soit dans la rue, peu probable, soit dans les urnes, vers le FN.
    Se battre au niveau international, cela on peut espérer que le Vatican le fera avec d’autres ”puissances”, et diplomaties.
    Mais au niveau européen, il est évident que la partie est perdue, tant que les instances européennes seront sans contrôle aucun, et sans limites aucunes sur des valeurs et principes civilisationnels communs et définis clairement.
    Et là le rôle central des épiscopats est majeur : ils laissent tout filer à part deux pays, Espagne et Italie. En France la passivité de l’épiscopat durant la ”bataille” a été une évidence : l’épiscopat n’y croyait plus. Comme en 1974 pour l’avortement, comme pour le PACS etc…..

  • LIMOUSIN , 6 mars 2014 @ 13 h 00 min

    Commentaire intéressant sur la “stratégie” (à supposer qu’elle existe !) suivie par les épiscopats en Europe.
    On aimerait bien connaître celle du Saint-Siège (on suppose qu’elle existe : le Saint-Siège est un Etat souverain, il me semble, même non-membre de l’ONU, mais observateur, voire adhérent à des organisations internationales spécialisées) et qu’il la communique à qui de droit : la prudence est de mise, bien sur, pour communiquer, mais cela ne saurait s’assimiler à un manque de transparence sur ce sujet.

    Quant à dire que la partie est perdue au niveau européen, c’est surprenant comme remarque. Pourquoi donc ?

    Ceci dit, il n’y a pas que l’Eglise catholique qui est partie prenante dans ce combat sociétal. Des non pratiquants, voire des non croyants (de l’Eglise catholique,voire des autres Eglises, voire de l’Islam) sont AUSSI parties prenantes dans ce débat et ils ont voulu montrer qu’ils avaient leur mot à dire à l’occasion de ces grandes manifestations, même si les dirigeants de LMPT, sans doute, sous la pression “bienveillante” de l’UMP, ont préféré les tenir à l’écart, ce qui fut une GRAVE ERREUR.

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