Des théâtres parisiens aux palais apostoliques

En réponse à Jacques de Guillebon

Tribune libre de Côme de Prévigny, agrégé de l’Université, pour Nouvelles de France

Dimanche, l’Église catholique romaine célébrait la fête des Rameaux dans toutes ses églises. Si quelques-unes avaient organisé des processions rappelant la grande marche des Hébreux entourant Jésus, celle-ci, à l’époque, avait un aspect moins liturgique et beaucoup plus spontané. Alors que le Christ entrait dans Jérusalem, les habitants de la ville manifestaient leur réelle admiration envers ce Messie qu’ils accueillaient. D’une certaine manière, ils défendaient le Christ contre la conspiration qui se tramait et qui allait en quelques jours s’en saisir pour le mettre en Croix. Ce dernier était-il postmoderne en se laissant aller à cette petite expression de rue ? En tout cas, à l’époque, quelques pharisiens murmuraient en assistant à un tel spectacle. Comme ils auraient aimé que cet enthousiasme ne se manifestât pas ! Comme ils auraient désiré que ces bonnes gens s’astreignissent à un silence complaisant qui ne malmène aucunement le monde nous regardant.

L’automne dernier, bon nombre de catholiques se sont amassés devant les théâtres qui ont organisé des pièces malmenant l’image et le nom de Dieu. Seul un observateur superficiel pourrait imaginer que leur présence se limitait à exprimer la fierté catholique… Et même si ces journées avaient visé un tel objectif, on voit mal pourquoi il aurait fallu s’en offusquer. Depuis quelques années, à Versailles et désormais à Paris et quelques villes de province, des paroisses ont organisé « Holy Wins » à l’occasion de la Toussaint. Les enfants de quelques diocèses de France se déguisent en saints pour concurrencer la triste « Halloween ». Selon Adrien Lherm, maître de conférences à Paris IV, « un millier de parents et d’enfants arpentent les rues de Versailles pour une Cathopride censée montrer haut et fort valeurs et fierté catholiques [1] ». Montrer ? Pride ? Fierté ? Gageons que Jacques de Guillebon ne manquera pas, en novembre prochain, de conspuer dans l’un de ses hebdomadaires préférés cette petite jeunesse que l’on aura gaspillée et qui aura sombré dans la post-modernité…

En se rassemblant autour des théâtres, les catholiques ne souhaitaient pas tant manifester une fierté catholique que de rétablir une certaine justice qui veut qu’on ne laisse pas impunément le Christ être publiquement conspué, justice qui jadis a fait que le Christ n’est pas mort complètement abandonné, les saintes femmes restant stoïquement au pied de la Croix, justice qui a conduit des âmes à travers les siècles, à ne pas rester calfeutrés dans leurs foyers et transparents dans leurs convictions, mais à témoigner à temps et à contretemps. Que suggéreraient nos avocats de la pastorale de l’enfouissement à ces martyrs qui ont jadis versé leur sang ? Ne leur reprocheraient-ils pas d’être des postmodernes, d’apparaître comme des fanatiques, de véhiculer une image incomprise, qui ne passe plus aux yeux des contemporains ?

Défendre le Christ, défendre sa foi, n’a rien de postmoderne. C’est l’attitude naturelle qu’ont adopté tous les chrétiens, à commencer par le père nourricier de Notre Seigneur, qualifié de « zélé défenseur de Jésus » dans les litanies de saint Joseph. « Défenseur de la foi », c’est le titre de gloire qui était décerné par les papes aux souverains qui avaient été particulièrement courageux pour maintenir les intérêts de Dieu et de son Église dans leurs États et à travers le monde. La jeunesse post-moderne, celle qui gaspille ses dons, n’est-elle pas plutôt celle qui croit normal de se taire quand Dieu est méprisé, n’est-ce pas celle qui, en affirmant que Dieu n’a nul besoin de défense, ressemble à ces membres du Sanhédrin qui attendaient ironiquement que les anges viennent délivrer le Crucifié ?

Dans une réponse publiée sur Nouvelles de France, Jacques de Guillebon m’avait, il y a quelques mois, traité à six reprises en un seul texte et jusque dans le titre « d’imbécile ». Alors que – il faut être honnête – l’affaire des théâtres n’occupe plus le devant de l’actualité, le pigiste à Marianne et éditorialiste à Témoignage chrétien, ce journal qui fait la promotion de la contraception, a le mérite de faire revivre ces moments qui ont permis de montrer aux Français que des catholiques sont toujours prêts au témoignage de la foi. La nouvelle diatribe, dont la résonnance du titre, « la grande erreur du national-catholicisme », est une très fine reductio ad hitlerum, apparaît essentiellement comme une éruption incontrôlée de tous les clichés qui ont trait aux milieux catholiques traditionnels. En cela, elle inspire davantage la pitié que la rage. Naître fils et petit-fils d’officier dans une famille de onze enfants n’est peut-être pas facile à porter pour un catho qui veut paraître libéré. Égaler le talent d’un oncle avocat, qui, lui, ne craint pas de défendre l’Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain et d’organiser des émissions sur Radio Courtoisie relative à l’Algérie française n’est pas forcément évident pour un journaliste en quête de reconnaissance.

On pourra reprocher à ces dernières lignes de faire porter au journaliste un entourage qu’il ne revendique peut-être pas. C’est vrai. Mais c’est pourtant à un bien plus triste amalgame que le professionnel de l’information s’est adonné en associant les catholiques réunis lors d’un rassemblement de Civitas avec « quelques individus se réclamant d’un groupuscule islamiste, Forsane Alizza ». Ces derniers n’ont fait qu’assister au démarrage de la marche du 29 octobre. Dans les lignes de Témoignage chrétien, notre contradicteur nous aurait probablement conseillé un service d’ordre approprié ou les forces blindées du ministre Guéant pour les expulser…

Civitas a reveillé, il y a quelques mois, les chrétiens d’un long endormissement dans lequel les avait plongés la culture de notre temps. Nous ne pouvons que remercier Jacques de Guillebon de nous permettre de rappeler ici les répercussions de ce grand moment. La seule préoccupation qui a animé ces catholiques agenouillés dans les rues, ce fut le témoignage de la foi. Le courage d’une poignée de jeunes montant sur scène a fait boule de neige. Les médias se sont réveillés, des évêques n’hésitèrent plus à s’exprimer, la tête de l’épiscopat fut conduite à se manifester et, une fois le triste spectacle de Castellucci parvenu en Italie, le Siège apostolique à encouragé la réaction des catholiques ! Répondant à un prêtre qui sollicitait le soutien du pape, la secrétairerie d’État lui a répondu :

« Sa Sainteté vous remercie vivement pour ce signe de proximité spirituelle, et tout en souhaitant que tout manque de respect à l’égard de Dieu, des saints et des symboles religieux rencontre la réaction ferme et adéquate de la communauté chrétienne, éclairée et guidée par ses pasteurs, vous adresse ses meilleurs vœux pour votre ministère… »

Ces chrétiens français ont inexorablement réveillé le catholicisme. L’appel lancé derrière un ordinateur à se rendormir et à mettre la lumière sous le boisseau est une voie sans issue.

[1] Adrien Lherm, « Halloween et les Français » in Terres promises : Mélanges offerts à André Kaspi, Publications de la Sorbonne, 2008.

Photo : Paroisse Sainte-Jeanne d’Arc de Versailles

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7 Comments

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  • Clovis , 4 avril 2012 @ 9 h 16 min

    Voilà qui rhabille Jacques de Guillebon pour le prochaine hiver ! et que celui-ci ne s’avise plus à insulter les catholiques fiers de l’être et encore suffisamment courageux pour défendre publiquement l’honneur du Christ outragé.

    Merci à Côme de Previgny pour la fermeté et la clarté de son propos. Que Dieu bénisse l’oeuvre entreprise par les membres de l’institut Civitas.

  • Anne Charlotte Lundi , 4 avril 2012 @ 9 h 31 min

    La marche des saints !
    Excellente intiative à faire connaître dans tous les diocèses, paroisses…
    La France a tant besoin de leur intercession !

    Je me permets aussi de signaler une idée originale de La Malle aux Mille trésors, revue catholique pour enfants, remarquable qui avait lancé pour la Toussaint un concours de photos sur les saints patrons.
    L’enfant – tout petit, ado, adulte… et même plus en famille !- , devait retrouver le costume de son saint patron…

    Ingéniosité, imagination et surtout une profonde connaissace de la vie de son saint patron étaient alors nécessaires afin de trouver l’idée originale pour la photo du concours !
    http://www.mille-tresors.org/

  • PG , 4 avril 2012 @ 13 h 44 min

    On ne répare pas un blasphème par une manifestation, mais par des prières. Le Cardinal VINGT Trois était lui aussi dans son rôle en organisant une veillée de réparation.
    Et J de GUILLEBON a le droit intellectuel de penser que le cri et la mobilisation uniquement contre ne construisent rien de durable. Il existe un catholicisme de l’excommunication qui tourne sur lui-même depuis 2 siècles, et qui vit dans le maintien du drapeau blanc, tout en cautionnant toutes les manipulations et horreurs su système, quand il s’agit de réparer ses erreurs.
    Fallait-il mourir massivement entre 14 et 18 et en 1940, alors que la République avait persécuté les catholiques ? Et fait tirer sur les gens de droite ? Et préparé la défaite qui ne fut évité en 1917 que grâce aux USA protestants et fossoyeurs ensuite de l’Empire austro hongrois ?
    Et bien chaque fois les victimes ont couru au secours du bourreau. Parce que comme on leur disait qu’il s’agissait de tuer d’autres chrétiens au nom de la civilisation, ils ne virent pas l’erreur.
    Ce courant issu du SYLLABUS fait du manège catholique et pense que quand cela tourne plus vite, c’est que cela avance.
    Je suis catholique traditionaliste et espère voir le retour une conception traditionnelle de la vie de l’Eglise : mais sur le plan politique, je souhaite que ce courant demeure minoritaire, car il est caricatural de ce qu’est une Tradition vivante.

  • Pierre Jovanovic , 4 avril 2012 @ 14 h 36 min

    Côme de Prévigny justifie l’action de Civitas comme ayant été un témoignage de foi. Pour les fidèles de la FSSPX, c’en fut certainement un. Mais qu’en est-il du témoignage envers ceux qu’il faut précisément évangéliser ? Les non-croyants, le monde de la culture, les médias ? Ces milieux se sont rengorgés de satisfaction en voyant ces manifestations, qui correspondent tellement au cliché qu’ils affectionnent.

    La société médiatique d’aujourd’hui ne retient que les clichés. Aller manifester en demandant réparation de blasphème, c’était susciter une diffusion immédiate, amplifiée et répétée de l’équation “catholique=extrémiste”, qui a effectivement fleurie partout. Or, il n’y a rien de plus mauvais pour l’annonce de l’Evangile que les caricatures, surtout quand nous les dessinons nous-mêmes.

    La dernière partie de l’argumentation ci-dessus affirme, pour achever de se justifier, que “le Siège apostolique à encouragé la réaction des catholiques !” Comme si le Saint-Père, qui assistait au même moment aux rencontres d’Assise (que Civitas et ses associés vomissent), était dans la rue avec les manifestants… En réalité, la secrétairerie d’Etat, a préconisé une “réponse ferme (nous le souhaitons tous, personne n’a dit le contraire, sauf les authentiques planqués) adéquate (exit donc, les initiatives qui chatouillent l’ego d’une minorité et font fuir les âmes à convertir), éclairée et guidée par ses pasteurs…”

    A ces mots, et en sachant tout le respect filial que l’entourage de Civitas porte à l’archevêque de Paris, et aux pasteurs de l’Eglise “conciliaire”, il convient de se demander si ceux qui se réclament de cette réponse l’ont bien lue.

    Ces chrétiens ont tenté d’incarner un catholicisme “de Tradition”, qu’ils estiment plus réactif et intransigeant que celui qui propose une humble veillée de prière plutôt que des exorcismes spectaculaires sur fond de bannières.

  • Jean-Pierre , 4 avril 2012 @ 15 h 03 min

    Excellente et intelligente réponse.

    La réaction publique des catholiques, encouragée par les évêques et par Rome, est quelque chose de nouveau qui surprend les vieux (quel que soit leur âge, on peut être vieux à 30 ans comme Guillebon) démocrates-chrétiens habitués à se taire et à composer depuis des décennies avec le Système.

    S’il y a un courant issu du Syllabus, traditionnel, c’est-à-dire issu du Magistère continu de l’Eglise, il existe un autre courant, en totale perte de vitesse, disons “libéral”, qui a intégré les fondamentaux révolutionnaires et démocratiques (droits de l’homme, laïcité, parité, avortement, liberté de pensée, etc), qui ne comprend pas l’authenticité et la vitalité du catholicisme traditionnel, et qui a perdu l’esprit catholique, le “sentire cum Ecclesia”.

    Un exemple extrait d’un commentaire : “On ne répare pas un blasphème par une manifestation, mais par des prières”… C’est faux. D’abord, la manifestation n’exclut pas la prière : on l’a vu, les manifestations en semaine étaient très militantes et très ferventes.

    Ensuite le propos est révélateur de la frilosité des cathos-libéraux : ce sont des catholiques le dimanche et des républicains le reste la semaine, qui cantonnent la religion à la sphère privée, vision typiquement laïciste désavouée par Pie XI dans l’encyclique Quas primas (1921). Le Christ est le Roi des nations.

    Enfin, cette affirmation est contraire à l’enseignement constant de l’Eglise et n’est donc pas catholique. Prier est nécessaire pour réparer une profanation, c’est vrai, mais agir est également impératif car le blasphème est pire qu’un meurtre selon saint Thomas d’Aquin : « Puisque le blasphémateur porte atteinte à l’honneur divin, il pèche plus gravement que l’homicide » (Somme théologique, IIa -IIae). Les catholiques, par devoir de justice, doivent s’opposer aux profanations publiques par une réprobation publique proportionnée. En 1905, quand la République maçonnique profanait les églises, les évêques, les prêtres, les fidèles, les politiques, les écrivains, etc. protestaient publiquement contre ces violations, avec fermeté et détermination, en défilant dans les rues (j’ai en souvenir une photographie d’époque publiée dans un livre montrant l’évêque d’Angers, suivis de tous les séminaristes du diocèse, une grosse centaine, marchant contre un détachement militaire). Les catholiques qui ont défendu l’honneur du Christ il y a quelques mois ont continué cette résistance à l’oppression antichrétienne.

  • Bernard du Peyroux² , 6 avril 2012 @ 20 h 54 min

    Merci à Côme de Prévigny de sa mise au point. Si Jacques de Guillebon a bel et bien le ”droit intellectuel de penser que le cri et la mobilisation uniquement contre ne construisent rien de durable”, il peut d’abord le faire courtoisement (cela à un nom : la charité), et il peut aussi admettre que d’autres aient le ”droit” de penser le contraire. En outre le ”uniquement contre” mériterait par le même, d’être développé et argumenté ;. pour moi, je ne l’ai pas constaté.
    Sur le fond, sa position, au vu de l’histoire de l’Église, me paraît bien fragile en ce que le ”témoignage” donné de son appartenance au Christ devient invisible et inaudible. Dans le cas qui nous occupe, le ”témoignage’ était publique et fut bel et bien repris par la médiasphère … pour s’en moquer et le vilipender ? oui, bien sûr ! mais qui dira jamais ce que ces jeunes priant à genoux dans la rue devant ces théâtres ont pu remuer dans le coeur de tous ceux qui, par la télévision, les ont vus et entendus ?
    Ne nous a-t-Il pas dit “Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront ! ” (Lc 19. 40) ?

  • Isabelle B , 10 avril 2012 @ 10 h 48 min

    Bravo pour ce message mesuré, calme et plein de bon sens, qui rappelle la beauté du printemps catholique qui, je l’espère sera suivi de l’été. Je pense au contraire de ce que dit Pierre Jovanovic (qui semble se positionner ici en représentant de l’Eglise alors même que ces écrits sentent plutôt ésotérisme sur des sujets vendeurs) un bon nombre de “spectateurs” de ces manifestations ont été agréablement impressionnés par le calme et le prière toute simple et sans agressivité des manifestants; et ce malgré la vision caricaturale des médias. Je le sais car j’ai moi même discuté avec pas mal de personnes, sur place et pendant la garde à vue, je n’ai rencontré personne de vraiment hostile à notre “combat”, plutôt des personnes curieuses ou intriguées par celui-ci.

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