Si je votais pour un discours (deuxième tour)

Tribune libre de l’abbé Guillaume de Tanoüarn*

En ce 1er mai, j’ai fait l’effort d’écouter Nicolas Sarkozy jusqu’au bout (son talent m’a rendu la chose aisée). J’ai essayé de faire la même chose pour Marine Le Pen, je vous avoue que je ne suis pas parvenu à la fin de son propos. Je n’ai pas pu… Dans les deux cas, je ne parlerai ici que du discours, je ne discuterai que des textes entendus, ainsi qu’on m’a appris à le faire pour les grands auteurs. Je sais bien : la différence entre un auteur et un politique, c’est que l’auteur est tout entier dans son texte, le politique non. Aussi bien, je ne fais pas de politique, je ne chercherais pas ici à sonder les intentions, à spéculer sur les applications futures, à prendre la main dans le sac ces prestidigitateurs du verbe que sont les politiques en démocratie. Ce n’est pas mon problème, ce n’est pas mon métier. Mais je vais essayer de dire ce qui m’a frappé dans ces deux discours bleu blanc rouge.

Le premier, celui de Marine Le Pen était, autant que je l’ai entendu, un discours de gauche, avec référence dès les premières minutes à Jean-Jacques Rousseau. Citation : “Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe”. Le “peuple trompé”, c’est un vieux classique de la Parole droitière : “Ah bas les voleurs !” criait-on en février 34. Mais le peuple qui n’est pas corrompu, le peuple incorruptible, c’est nouveau, ça vient de sortir, je veux dire : ça vient de sortir à droite.

Est-ce Marine Le Pen qui évoque le peuple en le qualifiant d’incorruptible, ou bien est-ce moi qui tire cette expression du mot de Jean-Jacques qu’elle ne fait, elle, que citer ? Certes, elle ne parle pas en propres termes du peuple “incorruptible”, mais elle emploie une autre expression, qui y fait fâcheusement penser. A deux reprises, à deux moments différents de son discours (deux moments au moins), elle a évoqué “la grande mission d’émancipation du peuple” que remplirait son Parti. Le peuple trompé par l’UMPS, mais non corrompu, n’attend que Marine (elle n’emploie pas l’expression “Front national”) pour s’émanciper et régner de nouveau.

Le populisme de Marine Le Pen, comme l’expliquait Frédéric Rouvillois dans Causeur, est ici un démocratisme de gauche. Quand elle tonne contre les communautarismes (islamiques en particulier), elle a raison. Mais c’est pour y substituer quoi ? Un communautarisme national, un populisme de contrat social. Il ne s’agit pas seulement, dans la vague Marine, de permettre aux institutions juridiques de recevoir et d’exprimer la protestation et la colère du peuple, comme on l’a toujours imaginé à droite. Non ! Il s’agit de constituer le peuple, de lui rappeler son incorruptibilité native, de “l’émanciper” et de lui rendre le pouvoir.

Nous fêtons le troisième centenaire de la naissance de Rousseau (1712), mais ce n’est pas une raison pour le réhabiliter dans un populisme mythologique, qui, mis en pratique, ferait courir à la France des risques insensés. J’ai écouté volontiers le discours de Marine Le Pen à Ajaccio, j’ai écouté volontiers sa prestation au Forum Elle de Sciences Po, et je me disais : quel talent ! (avec quelques bémols sur le fond quand elle parlait de l’avortement mais aussi un coup de chapeau pour avoir obligé tous les candidats à revenir sur “les avortements de confort”). Mais là je me dis que les hommes (et les femmes) les mieux intentionnées peuvent devenir des victimes de l’idéologie qu’ils développent. Marine Le Pen veut le pouvoir, elle le dit et le redit. Mais quel prix est-elle prête à payer pour cela ?

Quel contraste avec le discours républicain de Nicolas Sarkozy. Je sais, c’est un discours, et un discours de campagne, qui plus est. Mais ce qui est dit est dit : aux cathos d’en faire leur miel, pour peu qu’ils commencent à se bouger.

Le président candidat avait déjà parlé des racines chrétiennes de la France. C’était dans les murs de Saint Jean de Latran, à Rome, lors d’une cérémonie honorifique au cours de laquelle il recevait son titre de “chanoine du Latran” (titre attaché traditionnellement à la fonction royale, puis à la fonction présidentielle). Cette fois, les mêmes paroles ont retenti en plein vent devant des dizaines de milliers de personnes, qui ont applaudi à tout rompre. Les voici, en français dans le texte : “Nous avons reçu de nos parents comme un trésor des territoires où se dressent partout des cathédrales et des églises. Personne ne nous interdira de revendiquer nos racines chrétiennes”.

Je n’en cite pas davantage, voulant m’en tenir à ce qui me concerne directement. Les chrétiens se laisseront-ils impressionner plus longtemps par le black out révisionniste sur l’histoire chrétienne de la France ? Un (petit) exemple récent : le sixième centenaire de la naissance de Jeanne d’Arc a été retiré de la liste des commémorations nationales, au motif que le sujet était… confessionnel. Il a fallu (déjà) la visite d’un certain Nicolas Sarkozy à Domrémy pour sortir Jeanne de son placard de sacristie.

Entre le boniment dont certains accents sont contre-révolutionnaires et l’imposture d’un populisme révolutionnaire… mon choix d’électeur est fait pour dimanche. Le vôtre ? Pour vous laïcs, un espace est à prendre.

Si j’avais, dans 20 ans, à faire entendre à des jeunes un discours authentiquement français, je crois que le discours de Nicolas Sarkozy conserverait des valeurs pédagogiques indéniables sur cette France qui nous unit, que nous avons tous en commun. Le discours de Marine le Pen apparaîtra toujours plus comme marqué au fer rouge de l’idéologie, son populisme étant une des formes de la révolution rousseauiste, de l’insurrection rousseauiste contre le réel. Encore une fois, je ne parle pas ici des personnes, mais des discours, dans leur objectivité dérangeante.

*L’abbé Guillaume de Tanoüarn est prêtre à l’Institut du Bon Pasteur. Il anime un blog.

Lire aussi :
> Si je votais pour un discours… par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

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3 Comments

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  • Steph , 4 mai 2012 @ 14 h 15 min

    Au delà du fait que je ne goûte guère l’élégance de ceux qui crachent dans la soupe, j’aimerais que le bon père nous commente deux passages non pas des lectures du jour, mais des pensées de son champion.

    Le premier est une citation :

    « Si la France a des racines chrétiennes, elle a aussi des racines juives. La présence du judaïsme est attestée en France avant même que la France ne soit la France, avant même qu’elle ne soit christianisée. […] Oui le judaïsme fait partie des racines de la France et chaque Français, quelle que soit sa confession ou son origine, peut en être fier. »
    9 février 2011 – 26° dîner annuel du CRIF.

    (Désolé, je n’ai rien trouvé sur les racines bouddhistes de la France).

    Le second est un extrait de livre, et comme le dit le bon père, “la différence entre un auteur et un politique, c’est que l’auteur est tout entier dans son texte, le politique non”. Donc ici, son champion est tout entier dans cette phrase :

    « Je pense que les Français attendent une France d’après. (…) C’est une France où l’expression “Français de souche” aura disparu . »
    (Conclusion du livre de Nicolas Sarkozy « Témoignage » publié en juillet 2006, p. 280).

  • Frédérique , 5 mai 2012 @ 23 h 21 min

    On sent que vous n’aimez pas beaucoup le bon peuple, vous!
    Les discours de Marine parle du peuple, au peuple. La démocratie, c’est le pouvoir au peuple, ce que semble avoir oublié ce petit tyran de Sarkozy qui se fiche même des référendums, pas mal pour un républicain rassembleur! Et ça veut passer pour un gaulliste. de Gaulle tirait sa légitimité d’un référendum du peuple et est parti quand ce dernier l’en a prié, allez vous dire qu’il était gauchiste lui aussi?
    Et puis quels sont ces risques insensés que nous ferait courir son programme? Des mois, qu’on nous bassine avec les risques insensés de sa politique, mais jamais d’arguments, jamais de chiffres, jamais de sources. Ah oui, c’est vrai, nous le peuple on n’a pas besoin de savoir, du moment que nos intellectuels pensent pour nous, c’est largement suffisant.
    Bien sûr, il est un peu teinté de rouge le discours fait pour le peuple, mais le bleu se noie dans la mondialisation de la haute finance, alors on voit rouge, c’est normal!
    .

  • Steph , 6 mai 2012 @ 0 h 48 min

    D’autres jolies citations de M Sarközy ?

    Nicolas Sarkozy , dans son intervention télévisée du jeudi 20 septembre 2007 :

    “Je crois à une politique fondée sur l’effort, sur la libéralisation des possibilités de travail pour nos compatriotes. Pourquoi je demande qu’on puisse, si on le veut, travailler le dimanche ? Parce que c’est des journées de travail, c’est des possibilités de vendre plus, c’est des possibilités de créer des richesses.”

    Nicolas Sarkozy, Face aux Chrétiens, Radio Notre Dame 26 avril 2007:

    “J’essaie d’être un homme de sincérité, ou d’authenticité. Je préfère ça au mot vérité parce que le vérité … Forcément, chacun a sa vérité. J’essaie d’être authentique.”

    Nicolas Sarkozy, 24 juin 2003, devant les représentants de la franc-maçonnerie:

    “La franc-maçonnerie est chez elle au ministère de l’Intérieur, parce qu’il y a peu de familles de pensée qui s’identifient aussi bien à la République ”

    Nicolas Sarkozy ,Le Figaro 31 janvier 2007:

    “Le député UMP Christian Vanneste, condamné pour des propos homophobes, ne sera pas réinvesti aux législatives. Je condamne fermement ce qu’il a dit.Je ne veux ni de près ni de loin être associé à des propos homophobes”

    Nicolas Sarkozy ,France Inter 2 mai 2007 :

    ” Dans mon discours du 14 janvier, porte de Versailles, j’ai rendu hommage à Simone Veil qui me soutient avec beaucoup de force. Naturellement la loi de 1974 sur l’interruption volontaire de grossesse est un progrès.”

    Nicolas Sarkozy dans un entretien au Figaro je du jeudi 11 oct 2009 défend le touriste sexuel en pays pauvre qu’est son ministre de la culture :

    « – A vos yeux, l’affaire Frédéric Mitterrand est-elle désormais close ?

    – Je suis président de la République. Je dois défendre certaines valeurs. Je ne laisserai donc personne assimiler homosexualité et pédophilie. C’est un retour au Moyen-Age qui fait honte à ceux qui ont employé cet argument. Quand je vois le porte-parole du PS, emboîter le pas à Marine Le Pen et avec quel enthousiasme ! Je me demande où sont passées les valeurs humanistes de ce grand parti républicain. »

    Nicolas Sarkozy ,le 27 mai 2010 , à l’Institut Protestant de théologie de Paris:

    « Le protestantisme fait partie de notre histoire , (…).Comment ne pas penser à ce que disait ici-même Jules Ferry lorsqu’il inaugura en 1877 les locaux que l’Etat venait d’offrir à la nouvelle faculté de théologie protestante de Paris ? « Le protestantisme a été , dans l’histoire moderne , la première forme de la liberté (…) La Révolution de 1789 (…) a été faite en partie pour vous : elle est pour vous la date de l’affranchissement définitif »

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