Cette réforme territoriale qui n’a pas eu lieu

Bien malheureusement, tout se déroule comme prévu : annoncée en fanfare par un Président qui cherche désespérément un point d’accroche dans sa dérive politique de plus en plus violente, la réforme territoriale prend forme. Et comme prévu, c’est la forme d’une vessie vide : à peine ébauchée, elle engendre déjà le bruit mou d’un dégonflement ridicule.

Et là où on imaginait facilement des compromis douteux, l’exécutif a correctement dépassé les prévisions en alignant les maladresses coûteuses, tant sur le plan économique que politique. Entre le rattachement du Poitou-Charente au Centre alors que tout le monde s’attendait à le voir rejoindre l’Aquitaine, les contours bretons qui ne changent pas (tout comme les Pays de Loire) alors qu’il y avait une occasion rêvée de rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne, et la région Nord-Pas de Calais qui reste inchangée alors qu’une partie au moins de la Picardie l’aurait avantageusement rejointe, on voit que le bricolage territorial a été fait a minima, sans aucun redécoupage profond et parfois nécessaire pour coller aux réalités de terrain. Tout cela ressemble plus à une manœuvre de calendrier électoral qu’à une réelle refonte administrative et sent bon la précipitation (d’ailleurs confirmée par les grognements de certains élus, tant de droite, prévisibles, que de gauche, qui n’arrivent pas à trouver le découpage proposé à leur goût).

Bref, pour une réforme qui devait sauver le quinquennat, la montagne a accouché de la proverbiale souris, et tout indique que, dans un faux mouvement, elle l’a écrasée. Parce que pour le moment, en termes d’économie, ce bricolage précipité ressemble à l’ajout d’une nouvelle couche subtile, la super-région, dont on voit mal quelle forme physique elle va pouvoir prendre tant le paysage français est déjà largement encombré de structures locales dispendieuses et de corps administratifs pléthoriques langoureusement étalés sur le territoire aux frais du contribuable.

Bien sûr, avec un peu de chance et de courage, cette super-région signera la fin de la couche inférieure (régionale), mais comme je l’ai mentionné dans une précédente tribune, cela ne se traduira vraisemblablement par aucune perte de poids des collectivités territoriales correspondantes : non seulement, on voit mal des milliers de postes doublonnant disparaître ainsi et venir gonfler les chiffres du chômage, déjà monstrueux, mais en plus, pendant que la super-région va s’organiser, d’inévitables frictions vont avoir lieu (Où installer les bureaux ? Où déplacer les équipes ?), frictions qui vont à l’évidence coûter un pognon certain. Rassurez-vous, ce sont toujours les mêmes qui vont payer : vous. Et tout ceci nécessitera un cran qu’on a du mal à déceler, même après un examen minutieux, dans les gesticulations hollandistes.

Sur le plan politique, j’attends de voir les batailles picrocholines qui vont s’engager lors du débat parlementaire qui doit s’ouvrir à la suite de la présentation de cette nouvelle carte. Certes, en balançant ainsi cette réforme au moment où l’UMP est au plus mal, Hollande espère raisonnablement mettre l’opposition dans l’embarras, qui devra choisir entre un antagonisme qui passera facilement pour stérile et des dissensions internes pour osciller entre l’abstention agacée et l’acceptation gênée. De ce point de vue, c’est à peu près gagné. On pourra cependant regretter que le« président de tous les Français » (lesquels ?) soit ainsi versé dans les petites bisbilles politiques plutôt que dans l’art délicat de la direction de tout un pays. Les chroniques y gagneront ce que le pays y perdra en temps et en moyens. Comme d’habitude.

D’autre part, il semble évident qu’il va y avoir pas mal de remous lorsqu’on va devoir diminuer effectivement le nombre d’élus histoire de coller à la structure administrative nouvellement mise en place. Je vois mal comment le brave Hollande va pouvoir ménager sa majorité alors que, quoi qu’il arrive, un paquet d’élus qui y grenouille actuellement va se retrouver sur la sellette, au moins à moyen terme. Inutile de dire que la fragile majorité parlementaire dont il dispose actuellement risque bel et bien de s’évaporer à mesure que les choix déchirants vont s’opérer. Et en terme de finances, je ne prends pas un gros risque en pariant sur le fait que le nombre d’élus ne diminuera pas tant que ça, attendra la fin des mandats courants, et se fera quasiment à budgets constants. Là encore, aucune économie à attendre de ce côté là.

Quant à la suppression des départements, Hollande a finement choisi la solution de facilité qui consiste à reporter tout ceci aux calendes grecques, autour de 2020, date à laquelle tout peut être arrivé, le meilleur comme le pire. Et avec Hollande aux manettes, on imagine mal le meilleur, qui arriverait plus sûrement sur un malentendu ou un gros coup de chance que sur une réelle décision courageuse du chef de l’exécutif.

Cette suppression étant assortie, de surcroît, d’une révision constitutionnelle qui semble impossible à obtenir tant sa majorité est légère, il s’assure tranquillement que les départements sont là pour encore un bon moment (et les économies afférentes disparaissent comme une promesse de plus à mettre au débit du Roi Solex). En revanche et comme prévu, la petite manipulation politique qui visait à repousser gentiment les prochaines élections régionales en 2015 a parfaitement fonctionné puisqu’il faudra attendre l’automne de cette année pour qu’elles se déroulent. D’ici là, le chef de l’État espère probablement, afin de limiter la casse politique, avoir retrouvé une croissance, ou, alternativement, avoir su pipeauter les chiffres du chômage de façon plus crédible que jusqu’à présent.

Au bilan, je maintiens ce que je disais il y a deux semaines : la réforme territoriale va s’avérer extrêmement pénible et compliquée à mettre en place et se traduira concrètement par du vent politique, des dépenses supplémentaires et aucune espèce d’amélioration sensible du mille-feuille administratif. Ce qui devait aller vite s’étalera au moins jusqu’en 2020 (six longues années), et pour un observateur lambda avec deux onces d’honnêteté cela veut essentiellement dire que, pendant six ans, les factures ne diminueront pas, que du contraire même.

Pour une France qui avait un besoin urgent d’économies et de simplification administrative, le bilan est plus que mitigé : les anciennes régions n’ont pas disparu, les départements sont encore là pour un moment dans le meilleur des cas, les économies annoncées peinent à se concrétiser. Seules sont bien visibles les petites manœuvres politiciennes de bas étage.

La réforme, la vraie, attendra encore.

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7 Comments

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  • pas dupe , 4 juin 2014 @ 17 h 40 min

    Libération publie la carte des nouvelles régions et du chômage !
    http://www.liberation.fr/politiques/2014/06/04/la-nouvelle-france-en-six-cartes-regionales_1032908

  • V_Parlier , 4 juin 2014 @ 17 h 46 min

    De toute façon, même si je ne connais rien au sujet, quand les hollandistes prévoient des réformes sous prétexte d’économies et de simplification, le plus grand scepticisme est de mise. Il y a d’ailleurs tellement de choses qui m’inquiètent en ce moment que j’avoue que ces histoires de régions me laissent… comment dire… enfin je m’en fous un peu, quoi. Ils vont encore claquer un peu plus de blé et embaucher un peu plus de fonctionnaires pour diminuer artificiellement le taux de chômage. Si çà n’avait pas été de cette manière, ils auraient trouvé autre chose.

    De toute façon, il faut aller au crash pour pouvoir sortir de l’UE…

  • patrick Canonges , 4 juin 2014 @ 19 h 30 min

    Une réforme de cette ampleur nécessite un consensus politique. Comme toutes les autres réformes d’ampleur, elle est donc mort-née.
    Bien sûr, il y aura un petit bricolage, comme il y en a eu pour les retraites, pour les innombrables réformes judiciaires ou éducatives…

  • Catoneo , 4 juin 2014 @ 19 h 33 min

    La départementalisation du territoire métropolitain a pris des années de préparation. Elle fut commencée dans les cabinets ministériels de la monarchie avant 89 sur la base des bailliages.

    Dans la mesure où ces départements sont déclarés obsolètes, la réorganisation aurait dû partir des arrondissements actuels et tout refaire à neuf.

    Mais le “Roi solex” (excellent !) n’a pas de temps à consacrer à ce travail de fonds. Il lui faut afficher quelque chose, n’importe quoi, mais tout de suite !
    Et c’est bien du grand n’importe quoi !

    On peut aussi s’interroger sur la recréation de grands fiefs politiques !

  • synok , 4 juin 2014 @ 21 h 00 min

    Les bailliages et les sénéchaussées dans le sud ..ah je me disais bien aussi ..LouisXI ..mais il y a loin très loin du nouveau découpage aux réalités vivantes du terrain …

  • Psyché , 4 juin 2014 @ 22 h 48 min

    Extrait du “Contrarien Matin” :

    On fusionne quelques régions et notre pingouin élyséen prend son air de fier à bras comme s’il se prenait pour un Napoléon des temps modernes. Avec la réforme des régions, nous allons voir ce que nous allons voir !

    La France ne sera plus en déficit.
    La France n’aura plus de chômage.
    La France aura un budget en excédent.
    La France va se réindustrialiser.
    La France n’aura plus aucun souci de délinquance.
    La France va retrouver la croissance.
    Les salaires vont pouvoir augmenter.
    L’euro va devenir une excellente monnaie pour notre pays.
    La Grèce va être sauvée définitivement.
    Bruxelles va nous féliciter.
    Les agences de notation vont augmenter nos notations.
    Les investisseurs étrangers vont se précipiter chez nous.
    Les touristes vont nous envahir avec des mallettes entières de billets qui seront déversés lors de leur séjour.
    Les impôts vont chuter de façon géniale.
    Les prestations sociales vont pouvoir être améliorées.

    Alors nous aurons un traité transatlantique signé en douce par un Parlement européen et des gouvernements à la solde de pouvoirs extérieurs, nous aurons le chômage et les licenciements en hausse, nous aurons la désindustrialisation de la France et une « croissance » sans emploi portée par l’intégration dans notre PIB du trafic de drogue et l’argent de la prostitution (dernière grande trouvaille de nos zélites débiles pour truquer les chiffres), nous aurons tout cela mais François, l’abruti de l’Élysée, nous a trouvé l’un des plus beaux sujets pour faire diversion et enfumer le peuple qui, je dois vous l’avouer je n’en doute pas, ne sera cette fois pas dupe !

  • zézé , 5 juin 2014 @ 14 h 07 min

    De toute façon il ne faut pas, mais SURTOUT pas rêver !!! on ne reviendra pas aux Provinces : trop “ancien régime” et il faut bien détourner l’esprit du peuple par des magouilles ; après avoir eu la déculottée aux municipales et reçu le reste aux européennes, il faut bien “amuser” le petit peuple, en attendant le 14 juillet, donc on parle de ceci pour ne pas aborder CELA, on salit le FN , c’est tellement commode, on traîne le reste des catholiques dans la boue en ne punissant pas ceux qui font ou ont des actes plus qu’offensant envers eux ; sans parler des blasphèmes et sacrilèges envers Celui que ces mêmes catholiques adorent ; bref la chienlie est là et l’on en profite pour éloigner les militaires qui pourraient et auraient plein de choses à dire et à faire….

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