Dette communale ? Parlons-en !

Les élections municipales sont un moment important de la vie politique française. Elles ont vocation à être le moment fort de la démocratie locale, l’instant d’appropriation par le citoyen du débat municipal, c’est-à-dire du premier échelon de notre organisation territoriale.

Hélas, force est de constater que la complexification des procédures, la création des intercommunalités à fiscalité propre et la multiplication des intervenants n’est pas de nature à favoriser un tel débat. La chose apparaît particulièrement criante lorsque l’on entend s’intéresser de près à l’administration financière des collectivités locales et, plus particulièrement, à la gestion de la dette publique par les municipalités sortantes. Ce sujet est particulièrement sensible en période de crise, alors que la dette des collectivités territoriales a augmenté “officiellement” de 50% en une décennie, et que toute augmentation des impôts locaux pèse de façon insoutenable sur le budget de nombre de ménages, la compréhension par le citoyen – voir par l’élu d’opposition – de la réalité de l’endettement d’une commune est aujourd’hui digne d’un des travaux d’Hercule. Or, rappelons-le à une époque qui tenterait de nous le faire oublier : la question de la dette, l’arbitrage entre accroissement de celle-ci, hausse des impôts et diminution des investissements revêt un caractère éminemment politique.

“Loin de diminuer les coûts, la création des intercommunalités a provoqué un accroissement important des dépenses et des coûts de fonctionnement, créant de fait une dynamique propre d’endettement.”

Depuis la loi du 12 juillet 1999 portant renforcement et simplification de la coopération intercommunale, une importante partie de la dette des communes s’est vue transférée – en même temps que les compétences – aux Établissements Publics de Coopération Intercommunale. Ainsi, si ces dettes n’apparaîtront plus dans le Débat d’Orientation Budgétaire, et seront comptabilisées dans le bilan de mandature au titre du désendettement… Pourtant la dette est toujours là, pire, celle-ci a souvent enflé comme le révèle le rapport du député Hervé Mariton de 2005 : loin de diminuer les coûts, la création des intercommunalités a provoqué un accroissement important des dépenses et des coûts de fonctionnement, créant de fait une dynamique propre d’endettement. Or, cet endettement est en fait un endettement “partagé” entre les différentes communes de la structures : même à fiscalité propre, le contribuable demeure le payeur final des décisions d’aménagement prises par les élus municipaux tant au sein du conseil municipal que de l’intercommunalité.

Ce phénomène de transfert de dette se retrouve, de façon différente mais tout aussi insidieuse dans ce qu’il convient d’appeler l’externalisation d’une partie des dettes : Sociétés d’Économie Mixte Locale et Sociétés Publiques locales sont ainsi passées maîtresses dans l’art de masquer la dette réelle que porte une municipalité, que font peser sur les épaules du citoyen les choix politiques arrêtés.

On pourrait encore rajouter, sans pour autant prétendre être exhaustif, trois systèmes qui risquent de peser lourd dans les années à venir et dont le principal intérêt est de permettre aux édiles municipaux de faire sortir une forme d’emprunt des statistiques de la dette : le partenariat public-privé (PPP) qui porte sur des opération très onéreuse et fait reposer l’investissement initial sur le dos d’un privé moyennant le paiement d’un loyer par la collectivité; le crédit bail passé avec un opérateur spécialisé en vue d’une acquisition; et, enfin, les garanties d’emprunt accordées dans le cadre de la “politique de la ville” aux bailleurs sociaux, garanties qui risquent de s’avérer de plus en plus risquées dans un contexte économique tendu, confrontées à des risques spécifiques difficilement évaluables pour un collectivité territoriale.

“Là où il y a opacité, il ne peut y avoir de contrôle efficace, et, là où il n’y a pas de contrôle efficace, les comportements les plus opportunistes ne trouvent aucun rempart.”

On pourrait encore citer l’utilisation abusive des lignes de trésoreries ou de tant d’autres stratagèmes, mais l’accumulation n’apporterait sans doute rien de plus à la démonstration. Si ce n’est peut-être rappeler que là où il y a opacité, il ne peut y avoir de contrôle efficace, et, là où il n’y a pas de contrôle efficace, les comportements les plus opportunistes ne trouvent aucun rempart. La meilleure preuve de ce phénomène est illustrée par les fameuses renégociations d’emprunt.

Celles-ci sont, pour cause, toujours présentées par l’exécutif qui en est à l’origine comme une bonne opération permettant à la commune de libérer des capacités d’investissement en étalant le capital remboursé annuellement. Or, même en arguant d’un contexte économique favorisant des taux d’intérêt particulièrement bas, la Cour des Comptes a, à plusieurs reprises (notamment dans son rapport annuel de 2009 dans lequel elle pointait les “risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux en matière d’emprunt”), rappelé que de telles opérations étaient le plus souvent néfastes à la collectivité principalement à cause des pénalités de renégociation. Pire, dans un contexte marqué au début des années 2000 par le développement des emprunts dits “structurés”, (emprunts à risque, car ayant un taux d’intérêt évolutif – d’où l’appellation de “toxique” pour les plus risqués), l’allongement des durées d’emprunt (parfois jusqu’à 50 ans) a eu pour principal conséquence d’augmenter considérablement le risque d’un accroissement des taux effectifs… Quel intérêt alors ? Au regard de l’intérêt général, aucun évidemment, puisque la collectivité se voit contrainte de débourser plus. Au regard du maquillage politique en revanche, l’avantage est immense : d’une part les coûts de renégociation n’apparaissent pas dans l’état de la dette, d’autre part les intérêts d’emprunt se trouvent, quant à eux, affectés au budget fonctionnement et ne viennent pas grever le budget des investissements allégés par l’étalement du remboursement du capital emprunté sur une plus grande durée.

Sans doute toutes les communes ne sont pas logées à la même enseigne. Loin de là même. Nombreux sont les élus qui gèrent de façon consciencieuse leur budget, nombreux sont ceux qui se trouvent aux prises avec leur intercommunalité pour obtenir “leur dû” et ne pas se laisser écraser par la “ville centre”… Nombreuses sont les collectivités à avoir du mal à assumer les transferts de compétences non-compensées par l’État, les missions tout bonnement plus assurées par celui-ci dans un contexte de crise financière, morale et sécuritaire grave. Mais c’est justement parce qu’il convient de ne pas jouer d’amalgame, qu’il faut être juste et pour cela permettre aux électeurs de distinguer entre ceux qui ont effectué un travail de bonne administration et ceux qui au contraire se sont fourvoyés dans des dépenses somptuaires et un endettement excessif qu’il y a urgence à réformer notre système, sans pour autant porter atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales (1).

“Cinq dispositions de bon sens pourraient, si ce n’est résoudre tous les problèmes techniques et les imperfections de notre législation, permettre de remettre le citoyen au cœur du jeu démocratique en lui donnant les moyens d’un votre rationnel, c’est à dire basé sur l’exercice de sa capacité à raisonner sur des faits et des chiffres clairs, réels et intelligibles.”

Il est grand temps de redonner à tous les moyens de comprendre ce qui se passe dans les comptes de la maison commune. Cinq dispositions de bon sens pourraient, si ce n’est résoudre tous les problèmes techniques et les imperfections de notre législation, permettre de remettre le citoyen au cœur du jeu démocratique en lui donnant les moyens d’un votre rationnel, c’est-à-dire basé sur l’exercice de sa capacité à raisonner sur des faits et des chiffres clairs, réels et intelligibles :

  • Il paraît nécessaire de mieux encadrer les délégations accordées au maire en terme d’emprunts et de garantir par les textes une information adéquate du conseil municipal quant à la réalité des engagements pris au cas par cas. Cette exigence d’information doit s’appliquer avec la même rigueur lorsqu’il s’agit de renégociations d’emprunts, lesquelles devraient faire apparaître de façon claire les coûts réels induits pour la collectivité.
  • Mettre en place un système de provisions pour risque, notamment lorsque la collectivité accorde des garanties d’emprunts aux bailleurs sociaux ou lorsqu’elle contracte des emprunts via des structures extérieures.
  • Rendre effective l’interdiction de comportements spéculatifs pour les collectivités territoriales: parce que la gestion consciencieuse du bien public local ne s’accorde aucunement avec une gestion hasardeuse et risquée des fonds publics, le contrôle de légalité doit être en mesure de rappeler les édiles locaux à leur devoir de saine administration.
  • Il convient, comme la Cour des Comptes l’a préconisé dans son rapport thématique de juillet 2012, que le débat d’orientation budgétaire soit doublé, au sein du conseil municipal d’un Débat d’Orientation de la Dette. Celui-ci, pour avoir un sens, doit naturellement porter sur l’ensemble des engagements impactant directement la collectivité : dette de la ville, dette des établissements extérieurs, garantie d’emprunt, renégociation d’emprunt… transferts de dette et dette de l’intercommunalité qui n’est (pas encore) une collectivité mais un établissement de coopération intercommunal engageant donc les communes qui y participent.
  • Enfin, dans un souci de sincérité électorale, et donc de défense de la démocratie, l’obligation faite de communiquer, dans les documents de campagnes électorales, sur la base des chiffres issus du Débat d’Orientations de la Dette, c’est à dire de la dette réelle.

Avant de sanctionner le mauvais élu, de dénoncer les politiques coupables, il faut pouvoir juger en toute connaissance de cause. Pour cela, il convient que le système soit vertueux, ou tout du moins qu’il ne laisse pas une ombre complice à ceux qui profitent de lois mauvaises pour œuvrer à l’abri des regards.

1. Article 72 de la Constitution de 1958 et article L. 1111-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).

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6 Comments

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  • Eric , 4 juillet 2013 @ 12 h 30 min

    Avant de parler de la dépense publique , parlons tout simplement de la façon dont ils récuperent leur financement :les impots locaux.
    Ces impots sont assis sur des bases que fixe le maire et qu’on ne peut discuter, c’est son pouvoir. alors il ne faut etre étonné que le clientélisme est roi, les copains en profitent et les autres paient salement pour toute la collectivité.

    pour etre équitable, cet impot devrait etre basé sur les revenus du ménages et non sur des bases farfelues.Et à revenu égal, contribution égale.

    Sur le fonctionnement des collectivités territoriales, montrons du doigt toutes ces collectivités de communes dont la création devrait etre une mutualisation des frais de fonctionnement, mais qui en réalité sont détournées de leur objectif et deviennent des moyens aux élus de récupérer des mandats supplémentaires et de s’engraisser légalement.

    Déjà le non cumul des mandats sera le garde fou de ces dérives. Espérons aussi, que sera mis en place une limitation du nombre de collectivité de commune.

    Sur leur dépenses, posons aussi la question de la nécessité d’associations financées par les collectivités territoriales, associations qui ne servent à rien, sinon à placer un copain.
    Une association devrait vivre de ses adhérents, pas du financement public .

  • Bernard , 4 juillet 2013 @ 14 h 07 min

    Je m’interroge, constatant la pertinence des critiques et des conseils formulés par les intervenants, aux différents sujets abordés : face à cette ” intelligence ” , aux nombreux intervenants je vous demande = POURQUOI la FRANCE est TOMBEE aussi bas depuis le départ du Gal de Gaulle ?
    Personne ne peut reprendre le flambeau laissé par celui-ci ? Allons nous trouver rapidement un ” HOMME d’ETAT “, un homme honnête et franc, qui AGIRA pour la FRANCE et son PEUPLE, et pas uniquement pour ses intérêts personnels ?? Le ” printemps Français ” va t il enfin voir le jour ???

  • Piou , 5 juillet 2013 @ 6 h 30 min

    çà marche l’auto-gestion anarchiste. toute cette idéologie n’est qu’une réplication à une échelle différente mais selon eux les lois économiques sont différentes.

  • moulin , 5 juillet 2013 @ 7 h 29 min

    A 30250 Sommières je constate la même chose et j’ai donc créer un blog pour en informer la population: http://lescontribuablesdesommieres.midiblogs.com qui reçoit à ce jour et dans le mois plus de visites qu’il n’y a d’électeurs. Cela montre que ceux-ci sont de plus en sensible à la réalité de la gestion communale.

  • Delaye , 5 juillet 2013 @ 9 h 33 min

    Je ne le pense pas, car dès qu’ils sont élus, leur tête enfle démesurément, et de toute façon, ile veulent le pouvoir pour avoir l’argent. C’est une constante.

  • J. Elsé , 5 juillet 2013 @ 15 h 58 min

    Je ne comprends pas pourquoi vous voulez “… cinq dispositions de bon sens …. remettre le citoyen au cœur du jeu démocratique …” : le citoyen y est déjà avec le titre de contribuable, désigné dans les nouvelles règles par “déclarant 1 ou 2” car c’est lui qui finance leur gabegie. Le jour où les vaches à lait (nous) auront le pis tari, ils (eux) ne pourront plus jouer et ce jour-là, je souhaite que de nouveaux politiques entrent en jeu pour exercer une démocratie qui sera autre chose que distribuer à tout va l’argent gagné par les autres (nous) !

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