Qui a signé le contrat social ?

Je suis comme Voltaire, je n’aime pas Rousseau. Je n’aime pas Rousseau parce que je ne lui trouve ni qualités morales – un type qui abandonne ses cinq enfants à l’assistance publique pour continuer à mener sa vie de parasite ne mérite que mon mépris –, ni qualités intellectuelles – son Contrat social ne mérite même pas le titre flatteur de théorie ; c’est, au mieux, de la démagogie ; un vœu pieux ; un vague « on n’a qu’à faire comme si… » Mais laissons là M. Rousseau et sa vie misérable, et parlons plutôt de ce contrat social.

Pour qu’un tel contrat existe, il faudrait, quant au fond, que nous en connaissions les clauses et, pour la forme, que nous l’ayons signé ; au moins implicitement.

Le fond de la chose.

Commençons par le fond. Si j’en crois Élisabeth Lévy, qui semble, une fois n’est pas coutume, être d’accord avec M. Hollande, ce contrat serait matérialisé par l’impôt en tant qu’« instrument de la redistribution ». Fort bien. Ainsi donc, pour Élisabeth, notre contrat social se caractériserait par un impôt (fortement) progressif destiné à pourvoir à cette « passion française » (comme nous le rappelle Daoud Boughezala) pour l’égalité des conditions matérielles. C’est-à-dire que notre contrat social serait le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels. Après tout, là où nous en sommes, pourquoi pas ? Il est bien possible qu’Élisabeth ait raison ; il semble en tout cas que son interprétation de la chose soit parfaitement en phase avec celle de notre personnel politique, d’un extrême à l’autre de l’hémicycle, et avec celle de l’opinion publiée (1).

Ce qui me pose problème ici, c’est que si notre contrat social est le manifeste de MM. Marx et Engels, alors, pardon, mais je refuse obstinément et avec la dernière vigueur d’être engagé par ce texte. Pas un mot, pas même une virgule. Pour moi, le contrat social de la nation française, c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; ce texte manifestement tombé en désuétude qui consacre l’égalité en droits – c’est-à-dire devant la loi – et le principe d’un impôt « également réparti entre tous les citoyens en raison de leurs facultés » (i.e. cette idée dangereusement extrémiste d’une flat tax) dont l’objet est de financer l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration (et pas un simulacre de solidarité).

Et donc voilà : manifestement, Élisabeth et moi n’avons signé le même contrat et je suspecte qu’il existe à cet instant précis autant d’interprétations de la chose en question que de lecteurs de cette phrase. Naturellement, c’est un problème ; cela signifie que nous avons tous une interprétation différente de ce pacte qui est supposé définir nos droits et nos devoirs ; les règles fondamentales de notre vie commune. Ainsi, je pose la question : quelle consistance peut bien avoir un contrat qui lie des signataires qui ont tous des interprétations différentes de ses clauses ?

Encore faudrait-il que nous l’ayons signé.

Ce qui m’amène tous naturellement à mon deuxième point ; la condition de forme : j’espère ne choquer personne en affirmant qu’un contrat n’est valide que s’il a été librement signé par les parties qu’il engage. C’est le b.a.-ba. Un contrat qui définit nos droits et nos devoirs sans que nous ayons eu, à aucun moment, l’occasion de le signer ou de n’en rien faire ; un contrat qui s’impose à nous du simple fait de notre naissance ; un contrat dont on nous impose l’exécution avec pour seules alternatives l’exil ou le trépas ; c’est un contrat de servage, d’esclavage ou, plutôt et pour parler justement, ce n’est pas un contrat du tout.

Or voilà, je ne sais pas pour vous, mais il se trouve qu’en ce qui me concerne, c’est tout à fait le cas : je n’ai pas signé ce contrat, il ne s’impose à moi que parce que je suis né français et les seuls moyens dont je dispose pour y mettre fin sont la fuite ou la mort. Permettez-moi d’insister sur ce dernier point : si vous êtes partisan du contrat social de MM. Marx et Engels – taux d’imposition prohibitif, règlementation invasive, interventionnisme et redistribution à tous les étages – sachez que moi, je ne le suis pas. Je n’y consens pas et la seule raison qui fait que j’obtempère, c’est que vous m’y forcez ; c’est le prix que vous exigez pour me laisser vivre dans le pays de mes ancêtres.

Élisabeth écrit qu’« il en va de l’impôt comme du contrat social : ils n’existent pas sans coercition, et pas non plus sans consentement. » Je répondrais sur le contrat social comme Murray Rothbard répondait sur l’impôt : il suffirait de laisser chacun décider librement s’il souhaite ou non payer l’impôt qu’on lui réclame pour démontrer qu’au regard du taux et des contreparties, il y a là beaucoup de coercition et bien peu de consentement.

Le refonder ou cesser d’en parler.

Alors voilà, au risque de choquer les bonnes âmes : un contrat que personne n’a signé et dont personne ne connait les clauses, n’existe tout simplement pas. Laissez-moi dire les choses bien nettement : nous n’avons pas de contrat social. Voilà bien longtemps que la DDHC de 1789 a cessé d’être notre Bill of Rights (2), que nos gouvernants s’assoient dessus et que nos concitoyens s’en moquent comme d’une guigne. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer les motifs qui ont amené notre Conseil constitutionnel à invalider la taxe « lutte des classes » de M. Hollande : dans ce texte en contradiction totale avec et l’esprit et la lettre de la DDHC, ils n’ont trouvé qu’un obscur point de détail à ronger.

Et pourtant, Dieu sait que nous aurions besoin d’un contrat social. Si ceux qui nous ont précédés ont prit tant de soins à rédiger notre DDHC, le Bill of Rights américain, la Pétition des droits anglaises ou la Grundgesetz allemande (3), ce n’est pas pour tuer le temps mais bel et bien que ces hommes qui avaient connu l’arbitraire étaient bien placés pour mesurer à quel point tout pouvoir, fût-il démocratique, doit avoir des limites.

Voilà la véritable nature du contrat social : c’est un ensemble de principes qui définit les droits du citoyen en tant qu’individu et, par là même, les limites du pouvoir ; c’est la loi fondamentale qui s’impose au pouvoir lui-même. C’est de ces textes que naissent les nations de citoyens par opposition aux peuples de sujets ; c’est pour les défendre que des générations d’hommes ont risqué leur vie et l’on si souvent perdue ; c’est un de ces textes, la DDHC de 1789, qui formait le socle de notre patrie jusqu’à ce que nous l’abandonnions pour poursuivre les fantasmes de M. Rousseau.

« Les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole. Or l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. (4) » Peut être un jour ferons-nous enfin mentir Chateaubriand. Peut-être un jour cesserons-nous de vouloir faire de notre République un république sociale ; ce « mot ambigu, notait Hayek, qui a acquis le pouvoir de vider les noms qu’il qualifie de leur signification. » Peut-être un jour arrêterons-nous de poursuivre la chimère égalitariste (5) et reprendrons-nous possession de notre liberté. Mais d’ici là, de grâce, cessez d’invoquer le contrat social.

1. Point Winston Churchill : « il n’existe rien de tel qu’une opinion publique ; il n’existe qu’une opinion publiée. »
2. Les dix premiers amendements de la Constitution des États-Unis ; probablement le meilleur texte constitutionnel, le meilleur contrat social jamais écrit à ce jour.
3. Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, la loi fondamentale allemande adoptée en 1949.
4. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.
5. « En général, en France, on abandonne trop volontiers la liberté, qui est la réalité, pour courir après l’égalité, qui est la chimère. C’est assez la manie française de lâcher le corps pour l’ombre. » Victor Hugo à sa femme, le 6 juillet 1836.

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10 Comments

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  • 0 / 10
  • Giraud , 6 février 2013 @ 1 h 26 min

    Monsieur,

    Vous n’avez rien compris à Rousseau, révisez votre copie. Regardez les conférences dHenri Guillemin à ce sujet. Non non non vous faites fausse route !
    Voltaire : “Un pays bien organisé est celui ou le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne”
    Rousseau : recherche de lintérêt générale dans une société.

    Vous avez fait votre choix, mais pour un site “dissident” vous “devez” être en faveur de ce pauvre Rousseau, homme détraqué (quitte à laisser ses cinq enfants, je lavoue) car il était traqué (par les encyclopédistes), H. Guillemin.

    Amicalement,

    Brice.

  • ranguin , 6 février 2013 @ 7 h 09 min

    Dieu, que ces mots sont doux à lire !

  • Philippe Lemaire , 6 février 2013 @ 9 h 51 min

    Reprendre les calomnies (parues en plus de manière anonyme) de Voltaire sur Rousseau n’est pas très malin. Voltaire d ailleurs payait des gamins pour aller jeter des pierres sur les fenêtres de la maison de Rousseau. Belle méthode…

  • jejomau , 6 février 2013 @ 10 h 19 min

    Attention sur le Droit de vote aux étrangers. Si jamais J.M Ayrault annonce qu il va réunir le Parlement et le Sénat pour examiner s il y a une majorité des 3/5° pour une révision de la Constitution, cela veut dire qu en réalité : il a DEJA la majorité nécessaire.

    En effet il a entamé des discussions à ce sujet avec les partis

    Il nous faut sauver le contrat social qui nous lie à la Nation MAINTENANT, avant qu il ne soit trop tard….ici par exemple : http://www.u-m-p.org/sites/default/files/media/documents/2012-09-20_tract_vote_etranger.pdf

    Dites clairement à vos élus ce que vous en pensez AVANT !

  • scaletrans , 6 février 2013 @ 12 h 14 min

    Rousseau était une pauvre larve… et un grand criminel par procuration, comme tous les idéologues de son genre. C est le seul point de convergence avec Voltaire, un bien infâme personnage par ailleurs.
    Imaginez un peu les conséquences d’une telle phrase: “écartons les faits, car ils ne font rien à l affaire” !!!! Et tout est du même tonneau dans ses délires excrémentiels.

  • passim , 6 février 2013 @ 14 h 50 min

    Chaque Français devrait se sentir délié de ce fumeux “contrat social”. Les preuves ne manquent pas, ce que le Pouvoir n’est aujourd’hui qu’une machine sophistiquée ayant pour finalité que de soutirer un maximum d’argent de ses administrés, tout en ne remplissant que fort mal ses obligations (sécurité intérieure et extérieure, justice).
    Sous prétexte de redistribution, le droit à la propriété (tant la propriété de ses biens que celle du fruit de son travail) est bafoué, au-delà de ce qu’on peut imaginer. Il en est de même du droit aux libertés élémentaires (comme par exemple de se déplacer librement), par le biais de taxes spécifiques, qui pénalisent certains choix et en encouragent d’autres.
    La grande question reste celle-ci : comment se fait-il que devant une accumulation de preuves aussi flagrantes, le “système” se perpétue ? Pourquoi le mouton continue-t-il d’offrir docilement sa laine ?
    La réponse est évidente. Dans un système démocratique, il suffit d’une majorité de votants, majorité éventuellement infime, pour que la classe dirigeante -avec tout ce qui gravite autour d’elle- reste en place (qu’importe l’étiquette politique qu’elle affiche). Cette oligarchie dispose de deux méthodes.
    L’une d’elles consiste à s’assurer d’un nombre de votes suffisants, grâce à l’offre de certains avantages matériels et immatériels. Ce marketing politique (autrement dit, ce clientélisme) opère en faveur de citoyens auxquels sont octroyés divers subsides, ou des exemptions (illusoires) d’impôts (la moitié des ménages ne paient pas d’impôt sur le revenu, par exemple). Ce clientélisme opère également dans l’octroi de privilèges injustifiés et injustifiables aux citoyens travaillant dans le secteur public, para-public, et au-delà : tout ceux, en fait, qui reçoivent plus de l’Etat qu’ils ne lui apportent : on peut donc mettre dans le même paquet tout ce qui est subventionné, d’une manière ou d’une autre, de l’artiste-sic à la multinationale.
    Ce marketing politique fonctionne de pair avec la persuasion et la coercition. La persuasion, avec un quatrième pouvoir complice ; la coercition, par l’emploi de la « force légitime » de l’Etat. Le mauvais payeur, le “tricheur”, le récalcitrant, est sous la menace de lourdes sanctions, et ne peut s’opposer à la loi… des lois écrites par les gangsters en col blanc qui nous gouvernent.
    Il ne reste qu’une solution au citoyen conscient qu’il vit sous un doux totalitarisme, une tyrannie légitimée par les urnes : on devine laquelle (à moins d’avoir une âme de martyr, ou de tyrannicide).

  • Gérard(l'autre) , 6 février 2013 @ 14 h 56 min

    Rousseau ou pas … Voltaire ou pas … il est évident que nous sommes en dictature !

    Ce Régime est contre le peuple … il est temps d’en changer !

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