Affaire BNP-Paribas : mais que fiche l’Union européenne ?

L’Europe agit. L’Europe protège. L’Europe permet l’union et donc la force. Ces slogans ont été répétés en boucle durant toute la campagne des élections européennes. Pourtant l’UE vient de se prendre une claque avec le résultat du 25 mai, marqué par une montée des partis euro-critiques et une très forte abstention. Et tandis que l’affaire BNP Paribas lui offre la possibilité de se racheter quelque peu une conduite, elle reste muette.

La justice américaine accuse la première banque française d’avoir réalisé des paiements en dollars avec l’Iran, le Soudan ainsi que Cuba et d’avoir par conséquent enfreint l’embargo sur ces trois pays. Si un tel agissement constitue bien une infraction au regard du droit américain, il demeure licite au regard du droit international. Mais passons cette problématique juridique.

Car les attaques portées contre BNP Paribas sont avant tout politiques. En menaçant cet établissement bancaire d’une amende record de 10 milliards de dollars mais surtout d’une suspension de ses activités de compensation – c’est-à-dire la perte d’un accès au dollar et l’impossibilité de réaliser des transferts de fonds pour ses clients – voire d’un retrait pur et simple de licence (interdiction d’exercer sur le sol américain), les services du ministère de la Justice dirigé par Eric Holder (Procureur général des États-Unis et membre du cabinet du Président) frappent très fort. De telles sanctions permettraient en effet à Obama de réaliser une belle opération à deux coups.

“Sachant qu’ils sont tellement importants et que leur éventuelle faillite ferait basculer tout le système financier dans le chaos, les établissements bancaires américains se savent couverts en permanence par le contribuable. Ils peuvent poursuivre leur stratégie de prise de risques sans trop se soucier de l’avenir.”

Premier coup, Obama s’était présenté comme le pourfendeur des loups de Wall Street durant sa première campagne en 2008. Son bilan est maigre. Avec la loi Dodd-Franck de 2010, il a certes mis en place une régulation des dérivés et créé un Bureau de protection financière du consommateur, mais la problématique du « too big to fail » (« trop gros pour faire faillite ») demeure entière. Autrement dit, sachant qu’ils sont tellement importants et que leur éventuelle faillite ferait basculer tout le système financier dans le chaos, les établissements bancaires américains se savent couverts en permanence par le contribuable. Ils peuvent poursuivre leur stratégie de prise de risques sans trop se soucier de l’avenir.

Surtout, Obama doit essuyer la colère d’une majorité d’Américains qui constatent que près de six ans après le début de la crise, aucun dirigeant des grandes banques en poste à l’époque n’a été inquiété. Alors, BNP Paribas tombe à pic. Il s’agit pour le Président américain de redorer son blason et de démontrer qu’il met au pas la finance. Cela sans toucher aux intérêts américains, voire en les servants, une fois encore…

Car ici se situe le deuxième coup de cette opération. L’embargo qui touche l’Iran prendra fin tôt ou tard et les banques américaines aiguisent déjà leurs couteaux pour se tailler la plus grosse part des juteux contrats en jeu. Or, par un heureux hasard, BNP Paribas est l’une de leur concurrente les plus sérieuses dans la région. L’affaiblir significativement est donc une aubaine ! Obama reste une fois encore le plus fidèle allié de Wall Street.

“Les Américains ont beau jeu de faire la morale. Faut-il leur rappeler qui est à l’origine de la crise de 1929 puis de 2008 ? Faut-il leur préciser quelle banque centrale joue avec les monnaies depuis maintenant 40 ans au gré de ses intérêts ?”

Alors, les Américains ont beau jeu de faire la morale. Faut-il leur rappeler qui est à l’origine de la crise de 1929 puis de 2008 ? Faut-il leur préciser quelle banque centrale joue avec les monnaies depuis maintenant 40 ans au gré de ses intérêts ? Faut-il leur remémorer quel gouvernement détruit des pays entiers – Afghanistan, Irak, Libye – ou en déstabilise d’autres – Syrie et Ukraine – en fonction de ses intérêts stratégiques ? Il serait plus que temps que l’Europe face preuve d’un minimum de courage pour remettre un tant soit peu à leur place les États-Unis ! Que l’UE rappelle la crise des subprimes au bon souvenir des banques américaines. Que l’UE menace de faire capoter le rapprochement Alstom / GE. Que l’UE utilise les négociations du traité transatlantique comme moyen de pression.

Surtout, les europhiles de tout bord doivent être conscients que le « too big to fail » s’applique aussi en Europe. À quelques mois de l’unification du système bancaire européen sous la houlette de la BCE, un éventuel plongeon de BNP Paribas dans de lourdes difficultés constituerait un risque significatif pour la stabilité financière de la zone euro… Pas sûr qu’un tel scénario contribue au retour en grâce de l’Union européenne aux yeux de ses citoyens !

> Henri Dubreuil est diplômé en économie et en finance.

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20 Comments

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  • V_Parlier , 5 juin 2014 @ 11 h 27 min

    Et oui, j’espère que ces derniers événements vont ouvrir les yeux des irréductibles suiveurs confiants et béats des USA, si ce n’est de l’UE (inconsciemment la même chose). En effet, la situation d’aujourd’hui avec les USA n’est plus une simple histoire drôle de condescendance et de conflit de mentalités. Aujourd’hui le rapport de domination n’est plus simplement d’ordre “culturel” et technologique. C’est une domination physique, explicite et déclarée. Bref, une domination totale sans négociation possible. Nous sommes à leurs ordres.

  • Cap2006 , 5 juin 2014 @ 13 h 36 min

    Je ne comprends l’extrême mansuétude vis à vis de ces banksters.

    La banque est responsable d’avoir enfreint la loi, dont elle n’ignorait rien.

    Elle est coupable et doit donc en assumer les conséquences.

    Le libéralisme, c’est la responsabilité de ses actes
    et le liberal conservatisme c’est un pouvoir judiciaire qui punit séverement au moindre delit…

  • Charles , 5 juin 2014 @ 14 h 08 min

    Pour prendre la juste mesure de ce montant de 10 Milliards$,
    il faut le convertir en 500.000 prêts de 20.000$ auprès de 500.000 TPE
    sous forme de report de charges sociales salariales sur 2 salariés smicards (ex chômeurs)
    et ceci sur 12 mois,le temps de se former sur place
    et générer la valeur ajouté qui permettra ensuite de repayer des charges en année 2.
    un smicard a 1.000 net cotise globalement plus de 1.000 au système public.
    Soit 12.000 e par an et 24.000 en 2 ans (A2 et A3),soit 24 MM pour 1 Million de personnes

    Soit 1 million d’emplois de proximité offerts a 1 million de chômeurs,
    ce qui représenterait une baisse de charge en chômage de 10 Milliards sur 1 an.

    Un chômeur coûte en indemnités pole emploi et en substitut de cotisations sociales.
    Soit en moyenne 1.000€/mois ou 12.000/an donc 12 Milliards /an pour 1 Million personnes
    plus une absence de valeur ajouté taxable à la TVA (5.000€/an de recettes TVA en TPE).
    Soit 5 Milliards par an sur 3 ans pris en référence (horizon visible)
    Soit encore 5 milliards€ en absence de recettes TVA annuelles sur 3 ans.

    Pour nous résumer sur 1 million de chômeurs revenant au travail dans une TPE sur 3 ans:
    1.Baisse de charges indemnités par l’état/pole emploi:10 milliards x 3= 30 MM
    2.Retour de TVA sur nouvelle valeur ajoutée taxable: 5 Milliards x 3= 15 MM
    3.Retour de cotisations de charges sociales en années 2 et 3 = 24 Milliards
    Impact total cumulé de 69 Milliards à partir d’une injection initial de 10 Milliards..

    Au même moment nous avons injecté 70 Milliard€ pour sauver les banques débiles
    qui se sont amusées en Grèce avec l’argent des déposants français
    tout en refusant de prêter aux TPE qui sont les seuls à créer des emplois…
    j’ai bon ????

  • Charles , 5 juin 2014 @ 14 h 10 min

    NB;j’ai fusionné à tort les $ et les €.
    Il faut tout mettre en $ ou en €.
    mais cela ne change rien sur le fond

  • V_Parlier , 5 juin 2014 @ 16 h 36 min

    “La banque est responsable d’avoir enfreint la loi, dont elle n’ignorait rien”

    On s’en fout des embargos des USA. Encore une soumission qu’on appelle une “loi”! Moi j’aimerais bien qu’on parle des amendes ridicules qu’a payé HSBC pour le blanchiment de l’argent des cartels de la drogue mexicains! Or, non seulement c’est illégal, mais c’est assimilable à du crime de haut vol du meurtre de masse. Mais comme çà ne lèse pas les intérêts des USA, ce n’était pas grave, non non.

    ” le liberal conservatisme c’est un pouvoir judiciaire qui punit séverement au moindre delit…”

    Un pouvoir venu d’ailleurs? Je n’en veux pas. Et je m’en fous si ce n’est pas libéral. Encore un discours de vendu à l’occupant, le vrai, pas celui que nous montre son doigt. Inscrivez vous à la FAF si vous n’y êtes pas encore.

    Les vrais banksters sont ceux qui tirent les ficelles du “prix Nobel de la Paix” Obama. Les gros banksters mangent les petits banksters, en envoyant en mission “une autorité judiciaire”. Et le gogos de contribuables français vont payer (par l’intermédiaire de l’Etat français) la remise à flot de la BNP. Allez-y, ouvrez grand votre porte monnaie pour joindre le geste à la parole!

    Cette manoeuvre sous couvert de régulation (les USA qui régulent, trop drôle) n’est qu’un moyen de faire pression sur la France pour qu’elle continue sa soumission déjà bien engagée. Ca crève les yeux. C’est du chantage façon mafieux, ni plus ni moins.

  • Charles , 5 juin 2014 @ 16 h 55 min

    NDF premier blog à signaler la variation des taux directeurs de la BCE.
    Pour amorcer une relance,la BCE baisse ses 3 taux;
    1.Taux de refinancement des banques passe de 0.25% à 0.15%.
    2.Taux des autres refinancements passe de 0.75% à 0.40%
    3.Taux des dépôts reçus par la BCE passent de zéro à -0.10%.

    Ces baisses expriment un souci à la BCE sur le ralentissement en Europe.
    La BCE veut éviter un euro qui passerait de $1.38 a $1.40 puis $1.44.
    L’index DAX de la bourse allemande file vers les 10.000 points (venant de 9.980 approx)

    Mesure prise tardivement et devenue trop timide face à l’ampleur de la crise.
    Décision teintée de politique face a la croissance FN/UKIP.
    Cela ne va rien changer pour l’économie française.
    La banque fédérale risque de riposter en baissant à son tour sous zéro.

    http://www.bild.de/geld/wirtschaft/ezb-leitzins/achtung-sparer-ezb-holt-zum-naechsten-zins-hammer-aus-36243994.bild.html

  • Catoneo , 5 juin 2014 @ 18 h 03 min

    Sans prendre parti à défaut de connaître le détail des transactions en dollars, l’affaire est plus technique que ne semble l’avoir compris monsieur Dubreuil.
    Les dollars sont passés par le système de compensation aux Etats-Unis dont la caution a été mouillée. La presse spécialisée américaine signale aussi que les pièces transactionnelles de la banque ont été altérées par ses acteurs ; et de rappeler qu’une banque en soi est une baleine morte, ce sont les humains qui y travaillent qui la font vivre.
    La preuve est faite que les “techniciens” de la BNP ont cherché à rester en immersion périscopique, ce qui démontrerait qu’ils savaient dans quelles eaux ils nageaient.

    La banque a intérêt à saquer les mecs qui ont signé les ordres douteux, pour prouver que la haute direction à Paris et à New York était hors-jeu. Mais ce sont de grands garçons qui n’ont pas besoin du renfort d’un paltoquet comme François Normal.

    Pour le reste… remonter au krach boursier de 1929 est un peu ridicule.

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