1934-2014 : d’une manifestation à l’autre…

Il y a 80 ans, la corruption, les scandales et la médiocrité des politiciens qui encombraient la vie politique française provoquaient une des manifestations les plus impressionnantes qu’ait connues la France. Elle a parfois été évoquée par des socialistes obsédés par les heures sombres de notre histoire à propos des défilés organisés les 26 janvier et 2 février. Il faut souligner l’absurdité de cette comparaison, sauf peut-être sur un point.

Le cadre institutionnel est totalement différent. Le 6 février, la manifestation vise le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée Nationale, alors Chambre des Députés. C’est là que se situe le pouvoir d’une république parlementaire dont le Président est un ornement décoratif. Qui se souvient de celui de l’époque, Albert Lebrun, qui le restera jusqu’en 1940, et prétendra même l’être toujours en 1944 ? La manifestation est donc une marque de défiance envers les parlementaires, et pour beaucoup de manifestants l’expression d’une volonté de remettre en cause le régime. Les manifestations actuelles visent davantage le Président. La Cinquième République a attribué l’essentiel des pouvoirs à l’Exécutif, et hors cohabitation, au Président de la République. Ce sont les parlementaires qui sont devenus les éléments décoratifs. Élu une première fois député lors d’une cohabitation, j’ai pu m’illusionner durant deux ans sur ce point. Les gouvernements composites de la Troisième République étaient de courte durée, soumis à l’évolution de majorités branlantes. La majorité de gauche élue en 1932 avait donc abandonné le radical-socialiste Chautemps, Président du Conseil depuis Novembre 1933 seulement, compromis dans l’affaire Stavisky, pour investir le radical Daladier. Ils reviendront l’un et l’autre après le succès électoral du Front Populaire. Daladier laissera donc la place, le 7 Février, à un gouvernement d’Union Nationale, présidé par l’ancien Président de la République, Doumergue. L’Exécutif d’aujourd’hui, fortement affaibli, ne démissionne pas, mais renonce, au moins provisoirement à une loi. Les députés servent de fusible. Ils se rendent compte qu’ils ne sont que des instruments priés d’être dociles. Les députés élus par circonscription sous la Troisième avaient de fortes implantations locales qui les rendaient indépendants de leur parti. La Cinquième connaît un bipartisme qui, à l’heure d’une communication plus nationale que locale, donne tout pouvoir au parti sur ses élus. C’est l’heure des godillots. Les chevau-légers sont des gêneurs.

“Il reste évident que la faiblesse de la gouvernance française est le produit d’un système qui amène les élus à préférer les intérêts de leur carrière à ceux de la France.”

Le contexte international n’a aucun rapport. Hitler est au pouvoir depuis un an. Mussolini depuis douze ans. Staline est à Moscou. Dans un monde largement colonisé, les démocraties sont peu nombreuses et les régimes autoritaires gagnent du terrain. Il y a une montée des idéologies totalitaires, absente actuellement. C’est pourquoi il sera parfois dit que le 6 février était la mise en œuvre d’un complot fasciste. La fragmentation de la manifestation, les divisions de fond entre les mouvements qui y participent, excluent cette hypothèse. L’Action Française veut restaurer la Monarchie. Les Jeunes Patriotes ou la Solidarité Française souhaitent un régime nationaliste et autoritaire. Les Croix-de Feu du Colonel de La Rocque sont républicains malgré l’injuste image qui leur est souvent faite. Ils se disperseront avant les affrontements qui feront 16 morts et 700 blessés chez les manifestants. Le colonel mourra à son retour de déportation. Les anciens combattants de l’UNC, plutôt de droite, et ceux de l’ARAC, communistes étaient présents en nombre. La Ligue des Contribuables participe au mouvement. Chacune de ces organisations se regroupe à un endroit différent et obéit plus ou moins à ses propres mots d’ordre et consignes. Une manifestation bien gauloise, donc, réunie contre « les saligauds qui déshonorent la République » comme le dira Marcel Déat, futur collaborationniste de premier rang, mais député socialiste à l’époque… Rien de commun ni avec une tentative de coup d’État ni avec nos manifestations actuelles, beaucoup moins violentes, malgré les provocations de M. Valls, qui, soit sous une multiplicité de thèmes, soit sous un slogan unique ont rassemblé des citoyens, et non des militants encadrés de façon militaire, comme c’était l’habitude après la guerre 14-18.

Il reste le climat politique. Certes les « affaires » sont nombreuses mais n’apparaissent pas sous un jour aussi criminel qu’en 1934. Certes les atteintes aux libertés et au bon fonctionnement des institutions suscitent des craintes, mais la tentative avortée de remplacement d’un Procureur ne produit pas le même effet que le limogeage du Préfet Chiappe. Certes, les dirigeants politiques ont fait la preuve de leur incapacité à répondre à la crise économique après 2008 comme après 1929, mais avec un régime de protection sociale qui amortit le choc. Mais, il subsiste un élément commun : en 1934, comme aujourd’hui, avant et après la parenthèse gaulliste issue de la Résistance, la profession politique, accrochée au pouvoir plus qu’à des idées ou à la recherche de l’intérêt national, ne répond nullement aux problèmes de la Nation. Le socialiste pacifiste Laval, Président du Conseil avant et après 1934, fusillé pour collaboration en 1945, était toujours en 1944, maire de la ville socialiste d’Aubervilliers, même si durant sa carrière et avec l’évolution de son compte en banque, il était devenu sénateur et châtelain du Puy-de-Dôme, et plutôt de centre-droit. L’absence de guerre perdue nous préserve des excès de ce professionnalisme. Mais il reste évident que la faiblesse de la gouvernance française est le produit d’un système qui amène les élus à préférer les intérêts de leur carrière à ceux de la France. En 1934, le Général de Gaulle publiait Vers l’Armée de métier. Il y définissait une stratégie que les nazis employèrent contre nous. Les politiciens n’avaient pas le temps de s’y intéresser.

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11 Comments

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  • 0 / 10
  • Delenne Sylvain , 6 février 2014 @ 13 h 23 min

    Juste bien.

  • SD-Vintage , 6 février 2014 @ 13 h 25 min

    Excellent article

  • HuGo , 6 février 2014 @ 19 h 11 min

    La lecture de votre témoignage est édifiante! Inhumanité d’une police aux ordres politiques….alors qu’elle doit assurer la protection, la sécurité, l’ordre…quel devoyement…il y a parmi eux de vrais s…

  • Libre , 6 février 2014 @ 20 h 27 min

    Il y a partout la montée de nouveaux totalitarismes dans le monde que sont l’intégrisme religieux(notamment islamiste ) et le socialisme monétaire et fiscal…Donc la comparaison avec les années 30 n’est pas aussi infondée qu’on le pense…

  • Psyché , 6 février 2014 @ 22 h 42 min

    1934, c’est juste après la crise économique de 1929, en pleine dépression avant la 2ème guerre mondiale.

    Bien vu NDF pour ce parallèle 1934 – 2014

    Le nouvel Ordre Mondial Judéo-Maçonnique a besoin d’une nouvelle Guerre Mondiale pour encore étendre son pouvoir.
    Les éléments de la crise banquaire, financière, monétaire et économique sont là, les tensions internationales aussi, le parallèle est éloquent !

  • François DESVIGNES , 7 février 2014 @ 3 h 23 min

    La crise financière précède ou accompagne toujours l’insurrection et l’insurrection précède ou accompagne la guerre.

    L’emprunt russe de 1906 a accompagné l’insurrection de 1905 qui a balisé la guerre russo allemande de 14-17

    Mais aussi, la crise financière des etats généraux de mai 1789 a accouché de la révolution la même année qui a débouché sur les guerres républicano consulaires et impériales de la période 1795-1815.

    On peut risquer la même analyse sur les évènements pré insurrectionnels du 6 février 1934 dans une France effleurée par la crise de 1929 (grâce à son protectionisme d’empire) qui débouchera sur la dôle de guerre de 1939, celle sans coup de feu, avant la bonne : celle germano française de 40.

    Mais l’article a raison, ce dernier exemple est un mauvais exemple :

    – Nous sommes dans une vraie crise sans protection aucune ni de la tarification douanière (interdite) ni de l’empire (révolu) à des niveaux et pour des montants jamais atteints jusqu’ici.

    – Nous sommes dans une vraie insurrection, non celle des anciens combattants ou de prétendument de petits blancs nostalgiques, mais d ela nation toute entière en rebellion contre ses élites: ce n’est pas la révolte des factieux ; c’est l’insurrection du Tiers-Etat contre ses Ordres privilégiés, jugés inutiles, incompétents, corrompus, criminels et traitres. Excusez du peu !

    – La guerre, la vraie, pas celle des pâquerettes au bout du fusil, est à nos portes. Elle pousse comme champignons après la pluie. Seuls les imbéciles peuvent imaginer qu’à force de semer la guerre sur tous les terrains d’opération, la guerre sera semé à l’extérieur mais pas chez nous. La résolution finale de nos interventions dans le monde, c’est la guerre civilo-étrangère sur notre territoire.Seul le ciel en connait les modalités mais tous nous en connaissons le résultat :

    la guerre de tous contre tous sur tous nos territoires.

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