Bisphénol A : l’imprudence du « principe de précaution »

Tribune libre de Valentin Petkantchin*

Au nom du « principe de précaution », l’utilisation du bisphénol A (BPA) dans les contenants alimentaires destinés aux enfants et aux femmes enceintes n’est plus autorisée en France depuis le début de l’année. Une interdiction de tous les contenants alimentaires est également prévue pour 2015. Pourtant, un tel « précautionnisme » s’avère paradoxalement fort imprudent. Pourquoi ?

Car, d’une part, l’interdiction du BPA a été adoptée dans la précipitation, suite à des travaux des autorités sanitaires en France (Anses) qui ne constituaient pourtant qu’une première étape vers une évaluation rigoureuse des risques. Quand ce type d’évaluation est mené à son terme, la non-dangerosité du BPA dans les conditions d’utilisation réelle a, jusqu’à maintenant, été régulièrement confirmée.

De plus, si des études ont bien associé la présence du BPA à de nombreuses maladies, plusieurs recherches scientifiques récentes, suggèrent que cette corrélation serait, en réalité, trompeuse. Dans l’une d’elles, le Professeur Richard Sharpe, expert en médecine reproductive de l’Université d’Edinbourg ayant étudié les effets du BPA, constate par exemple que l’exposition au BPA en tant que cause des maladies qu’on lui incrimine n’est pas démontrée. La relation de cause à effet serait de surcroît peu logique parce que « cela signifierait que le bisphénol A est incroyablement puissant et toxique, ce qui n’est pas conforme aux études publiées ».

Une autre étude – fondée sur l’analyse de 150 études portant sur le BPA et sur la concentration de la substance chez 30 000 personnes dans 19 pays – va aussi dans ce sens. Elle conclut que l’exposition réelle de la population en général serait plusieurs centaines, voire milliers de fois, inférieure à celle fondant la croyance en un lien entre BPA et diverses maladies.

Mais ce n’est pas tout. Interdire le BPA à ce stade est également imprudent parce que cela revient à ignorer ses nombreux bénéfices, à déstabiliser l’innovation visant à lui trouver des substituts et, in fine, à mettre en danger la santé des consommateurs.

En effet, le BPA est utilisé depuis plusieurs décennies dans des résines époxy qui protégent nos aliments et boissons sous la forme de vernis. Ceux-ci recouvrent les cannettes et autres contenants alimentaires en métal, mais aussi les couvercles des bocaux ou les capsules des bouteilles en verre. Ce sont eux qui nous protègent des intoxications alimentaires, liées à des bactéries comme l’E. Coli ou le botulisme, une maladie paralytique grave pouvant causer la mort.

Ce n’est pas un hasard si les résines à base de BPA se sont imposées comme la solution optimale et la norme dans l’industrie – d’un point de vue économique mais aussi technologique – par rapport aux autres types de résines. Contrairement à ces dernières, elles résistent bien à la corrosion, ce qui permet d’augmenter la durée de vie des aliments conservés. Elles ont une forte capacité d’adhésion au métal, peuvent servir pour tous les types d’aliments et elles n’altèrent pas le goût des aliments.

Interdire le BPA et obliger les entreprises à utiliser, dans la précipitation, des substituts moins performants n’est donc pas sans risque. L’impact sanitaire et les effets sur la santé de tels substituts potentiels sont, contrairement au BPA, inconnus lors d’une utilisation à grande échelle et pendant une période prolongée.

Comme le souligne une spécialiste, il faudrait au total entre 5 et 8 ans pour trouver un vernis qui puisse éventuellement se substituer aux résines époxy dans les conditions de sécurité actuelles. Vouloir à tout prix aller plus vite, risque de se faire au détriment de la qualité et de la durée des tests, et donc au détriment de la sécurité alimentaire des consommateurs.

Plusieurs exemples montrent déjà, d’ailleurs, que forcer le remplacement du BPA en l’état actuel des connaissances ne débouche pas forcément sur une situation sanitaire plus favorable. Ainsi, les oléorésines, utilisées jusque dans les années 60 et qui pourraient faire leur réapparition, adhèrent moins bien au métal, sont moins résistantes à la corrosion et réduisent la durée de vie des produits conservés.

Le cas du Japon offre aussi un bon exemple. En effet, les fabricants ont décidé de leur propre chef d’utiliser des vernis à base de polyéthylène téréphtalate (PET) au contact des boissons dans les canettes. Or, des doutes concernant les matériaux en PET ont également été mis en avant (même si, comme dans le cas du BPA, des rapports officiels soulignent leur innocuité).

Enfin, l’alarmisme autour du BPA a poussé des fabricants à le supprimer du papier thermique (tickets de caisse, étiquettes de produits, reçus bancaires, etc.) et à le remplacer par du Bisphénol S. Là aussi, des interrogations quant aux effets néfastes sur la santé de ce dernier – le BPS étant notamment plus persistant que le BPA dans l’environnement – ont déjà été soulevées, mettant ainsi en doute le bien-fondé d’une telle substitution.

Paradoxalement, la politique actuelle du « précautionnisme » et du « risque zéro » – ayant justifié l’interdiction sans évaluation scientifique rigoureuse – pourra demain être retournée contre tout substitut éventuel du BPA. Cela crée un climat hostile à la R&D et a des effets délétères sur l’innovation à plus long terme. Comment en effet être incité à investir afin de tester et de mettre au point de nouveaux produits fiables dans de telles conditions, si le fruit de cette innovation peut se retrouver anéanti en l’absence de données scientifiquement prouvées ?

Une telle application du « principe de précaution » conduit paradoxalement à des situations non seulement plus coûteuses économiquement, mais tout aussi, voire plus dangereuses sur le plan sanitaire. Il devrait donc être pratiqué par les gouvernements avec beaucoup plus de prudence.

*Valentin Petkantchin détient un doctorat ès sciences économiques et est diplômé du Magistère média et formation économique de l’Université d’Aix-Marseille III. Il a été chercheur au Centre d’analyse économique et enseignant d’économie au sein de cette même université. Il est aujourd’hui chercheur à l’Institut économique Molinari (site).

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15 Comments

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  • Tavard , 30 mars 2013 @ 9 h 56 min

    Bonjour
    Complètement d’accord avec l’auteur. A l’évidence les gouvernements sont extrêmement frileux et l’inhibition est un dénominateur commun. Néanmoins, la perversité du système fait que ceux qui interdisent le BPA aujourd’hui ont géré par exemple les mises sur le marché de médicaments dangereux pour la santé. Je pense à M. Cahuzac, qui, avec M. Evin au début des années 90 montait et démontait la politique du médicament puis travailla ensuite pour Pfizer… Cet étrange paradoxe s’appelle le conflit d’intérêts. Par ailleurs, je souligne que nous avons aussi abordé le sujet dans un article paru sur le site le Cercle les Echos : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/societe/droit/221167916/sante-publique-crises-multiples-et-4-grands-principes

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