La révolte des intellectuels contre le Système

La dissidence des intellectuels a précédé la chute de l’Union soviétique. La révolte des intellectuels contemporains pourrait bien annoncer la chute de l’empire cosmopolite. Certes les oligarques du Système sont puissants : ils possèdent l’argent et contrôlent les médias classiques. Mais le pouvoir de ces oligarques est triplement menacé : par la révolte populiste, par la révolte numérique mais aussi par la révolte des intellectuels. Philosophes, anthropologues, économistes, géopoliticiens, géographes et sociologues sont de plus en plus nombreux à contester le désordre établi. A l’écart d’une actualité hollywoodienne, Andrea Massari nous propose de prendre un peu de hauteur… Explications.

Les philosophes à la quête du sens

Dans les années 1950, la majorité des philosophes étaient marxistes ; ils sont devenus droits de l’hommiste dans les années 1970/1980. Aujourd’hui beaucoup de philosophes sont des critiques acerbes de la modernité et portent souvent la parole d’un retour à la tradition. C’est le cas de Jean-François Mattéi, auteur de « La Barbarie intérieure » et du « Procès de l’Europe ». C’est le cas de Philippe Nemo, auteur de « La régression intellectuelle de la France ». Chantal Delsol dénonce, elle, « L’âge du renoncement ». Et avec une grande rage littéraire l’écrivain Richard Millet critique « La fatigue du sens » et l’horizontalité du monde. Un pamphlet philosophique éloigné de toute bien-pensance et frappé du sceau de la radicalité.

Le grand retour des frontières

Dans la Novlangue contemporaine le mot frontière était devenu tabou : on n’en parlait pas, si ce n’est pour les… supprimer. Régis Debray a brisé le tabou en publiant un « Eloge des frontières ». L’éloge des frontières, c’est aussi le fil rouge du livre fulgurant d’Hervé Juvin : « Le renversement du monde ». L’économiste et anthropologue rejoint ainsi le philosophe. L’un et l’autre chez Gallimard.

La réhabilitation du protectionnisme

Face à la grande menace industrielle, le vieux gaulliste Jean-Noël Jeanneney avait publié, en 1978, « Pour un nouveau protectionnisme ». En forme de chant de cygne car depuis la fin des années 1970, c’est le libre échange qui donne le tempo. Parvenant même à faire censurer le Prix Nobel Maurice Allais. Cette époque de censure est révolue : des économistes osent aujourd’hui s’afficher protectionnistes. Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau ont rejoint Gérard Dussouy, théoricien de la mondialité, et Alain Chauvet (« Protectionnisme contre prédation »).

Sociologue et géographes portent un regard critique sur l’immigration

Le géographe Christophe Guilly a jeté un pavé dans la mare avec ses « Fractures françaises ». Il y montre l’ampleur des fractures ethniques. Fractures ethniques qui ne sont pas forcément sociales : car on est plus riche (monétairement parlant en tout cas) en Seine-Saint–Denis que dans la Creuse. De son côte Malika Sorel tient « Le langage de vérité (sur) Immigration /intégration ». Dans les mêmes perspectives que Michèle Tribalat (de l’INED) dans « Immigration : les yeux grands fermés » ou Hugues Lagrange dans « Le déni des cultures ».

Le grand retour de la géopolitique

Chaque année le festival de géopolitique de Grenoble, organisé par Pascal Gauchon et Jean-Marc Huissoud, marque le retour des intellectuels vers les préoccupations de puissance : Aymeric Chauprade, auteur de « La chronique du choc des civilisations », peut y croiser Pascal Boniface, auteur de « l’Atlas du monde global », et pourfendeur des « Intellectuels faussaires ». Hors champ, on ne saurait oublier le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’école de guerre, et critique des guerres américaines. Ni Alain Soral qui ne veut pas seulement « Comprendre l’empire » mais le combattre. Ni Christian Harbulot, théoricien de la guerre économique. Ni François-Bernard Huyghe, lumineux médiologue.

Le dévoilement de l’« art contemporain »

L’« art contemporain » a plus… d’un siècle. Il est plus que… centenaire ! Il est né dans les années 1890 et trône dans les musées depuis l’Urinoir de Duchamp en 1917 ! Mais les critiques de l’« art contemporain » sont de plus en plus nombreuses et acerbes. Jean-Philippe Domecq annonce que « L’art du contemporain est terminé ». Ces « Artistes sans art » sont aussi critiqués par Jean Clair, académicien et ancien directeur du musée Picasso, dans « L’hiver de la culture » et « Dialogue avec les morts ». Sans oublier les charges argumentées d’Aude de Kerros (« L’art caché »), de Christine Sourgins (« Les mirages de l’art contemporain »), de Jean-Louis Harouel (« La grande falsification de l’art contemporain ») ou d’Alain Paucard (« Manuel de résistance à l’art contemporain »).

La dénonciation des oligarchies

Il y a dix ans les « oligarques » désignaient des dirigeants russes plus ou moins maffieux qui s’enrichissaient sur les ruines de l’ex Union soviétique. Aujourd’hui la critique des oligarchies a franchi le mur de l’ex « rideau de fer ». Apôtre de la démocratie directe, Yvan Blot publie « L’oligarchie au pouvoir ». Il se trouve en compagnie d’Alain Cotta dénonçant « Le règne des oligarchies » et d’Hervé Kempf qui publie, au Seuil, « L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie ». Et le libéral Vincent Bénard, directeur de l’Institut Hayek, dénonce les « oligarchismes ». Un point de vue que reprend d’une autre manière, l’anthropologue Paul Jorion dans « L’agonie du capitalisme ». Ainsi cinq auteurs, partant de cinq points de vue différents convergent dans la même critique. A la place des oligarques on s’inquiéterait !

Les neurosciences contre la télévision et les pédagogies nouvelles

Des milliers d’études scientifiques ont établi la malfaisance de la télévision sur la santé (obésité, maladies cardio vasculaires) et le développement intellectuel en particulier des jeunes enfants. Avec « TV lobotomie », Michel Desmurget en fait un point sans concession. Frappant au cœur l’instrument central de contrôle des esprits.

Les neurosciences offrent aussi des arguments décisifs contre les pédagogies dites « nouvelles » et dont les ravages dans l’éducation sont constamment dénoncés notamment par Laurent Lafforgue, médaille Fields.

Un bouillonnement fécond

Ce qui est frappant dans ce nouveau paysage intellectuel, c’est la diversité de ceux qui le composent. Il y a les établis et les marginaux : ceux qui ont pignon sur rue chez Gallimard et au Seuil, et ceux qui publient leurs livres à la limite de l’autoédition. Qu’importe les uns et les autres rencontrent le succès grâce à Amazon notamment.

Il y a ceux qui viennent des rives de la gauche et du marxisme et ceux qui s’assument réactionnaires. Il y a des libéraux lucides et des lecteurs de KRISIS. Il y a des catholiques, des laïcs et des panthéistes. Il y a ceux qui sortent de trente ans de bien-pensance et ceux qui luttent depuis trente ans contre la bien-pensance. Il y a aussi tous ceux qui viennent de nulle part mais qui respectent les faits.

Le pouvoir des oligarques et l’ordre politiquement correct (mondialiste, « anti-raciste »,  libre-échangiste, en rupture avec les traditions) sont placés sous un triple feu : les mouvements populistes, la blogosphère dissidente et les intellectuels en rupture. Gageons que les événements qui viennent les feront converger !

Andrea Massari, chercheur à la Fondation Polémia

Beaucoup de ces livres ont fait ou feront l’objet de recension sur Polémia. Nos lecteurs peuvent s’y reporter. Ils peuvent aussi trouver certaines recensions sur l’excellent blog metapoinfos.hautetfort.com.

Cette page est produite par la Fondation Polémia

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2 Comments

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  • 0 / 10
  • Carpy , 9 juillet 2011 @ 9 h 42 min

    Oui la révolte ne fait que commencer et ressemble à la chute de l’empire soviétique mais aussi à la période pré-révolutionnaire de 1789. Tous les ingrédients sont là : pourrissement des valeurs, dictature d’oligarques prétentieux, malaise social et économique et j’en passe…
    Les intellectuels se réveillent mais il faudra encore un peu de temps pour que la majorité des Français se révoltent ou alors que la situation se détériore encore plus rapidement ; ce qui est malheureusement prévisible (pas besoin d’être devin, il suffit d’être un observateur attentif)

  • Dylan , 11 juillet 2011 @ 10 h 49 min

    Peut être, les gens lutteront contre le système dès qu’ils n’auront pu les moyens de payer leurs impots.

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