En Turquie, le coup d’État et le contre coup

En Turquie, le coup d'État et le contre coup

Voici trois semaines qu’une tentative de coup d’État militaire a permis, par son échec, au président turc Erdogan de renforcer considérablement son emprise sur le pays. On croit savoir d’ailleurs que, s’il n’a probablement pas eu connaissance du projet de putsch suffisamment tôt pour l’empêcher, il en avait été averti, deux ou trois jours à l’avance par son homologue russe.

Plus de 200 morts ont payé cette tentative de leur vie, des milliers d’innocents sont en train de payer la victoire présidentielle de leur liberté ou de leur carrière. Un arbitraire total préside à ce contrecoup.

Cette démarche imprévue induit une manière de retournement total des alliances dans la région : en novembre 2015 Ankara et Moscou, ennemis héréditaires, semblaient au bord de la guerre ; mais moins d’un an plus tard ils convergent dans une même dénonciation, bien artificielle pourtant, des États-Unis et de l’Union européenne.

Au moins la situation dramatique faite à la partie pacifique de la population et de l’opinion turques, celle qui n’est ni putschiste laïque, ni contre-putschiste islamique, aura-t-elle ainsi pour l’Europe une conséquence bénéfique. Elle aura ouvert les yeux, sinon à nos dirigeants d’États dont les paupières demeurent, pour la plupart d’entre eux, très lourdes, du moins à de nouveaux segments de l’opinion.

“Je crois que la Turquie, dans l’état où elle se trouve, n’est pas en situation de pouvoir adhérer sous peu ni d’ailleurs sur une plus longue période”. Ce jugement va se révéler fugace. Il a pourtant été clairement formulé, sur France 2 dès le 15 juillet par Jean-Claude Juncker. A noter que le président de la Commission européenne semblait s’opposer, ce jour-là, par cette déclaration à la diplomatie des États et à celle des marchands d’armes.

L’intéressante précision qu’il apportait nous donne d’ailleurs la mesure du fossé : “Si la Turquie demain matin devait réintroduire la peine de mort, nous arrêterions immédiatement les négociations parce qu’un pays qui dispose dans son arsenal législatif de la peine de mort n’a pas sa place au sein de l’Union européenne”.

La loi abolissant le châtiment suprême dans le code pénal turc fut votée en 2002 et appliquée depuis 2004. Il s’agissait alors de se conformer aux principes européens, ou plutôt de faire semblant.

Aujourd’hui Erdogan laisse entendre qu’il va faire machine arrière.

Jusqu’à quand laissera-t-on cette fiction fonctionner imposant, en fait, à l’Union européenne de faire comme si un jour Ankara, au cœur de l’asiatique Anatolie, allait devenir la capitale d’un État-Membre alors même que l’insulaire Grande Bretagne, que pourtant tout rattache culturellement à notre continent s’en éloigne.

Depuis 1945, et le ralliement de l’État turc aux formes de la démocratie, l’Histoire des coups d’État militaires dans ce pays ne manque d’ailleurs ni de pittoresque couleur locale, ni de violence, ni de mystères.

Le plus ancien d’entre ces putsch, du temps de la guerre froide, remonte à 1960. Or, on a dû attendre un demi-siècle pour en comprendre les vrais ressorts, sachant, par exemple que le premier ministre renversé à l’époque, Adnan Menderes, allait être condamné à mort et exécuté sans avoir commis aucun crime. En Turquie comme ailleurs les morts ne parlent pas.

On doit se représenter aussi que les militaires turcs, supposés “kemalistes”, et largement laïcs, se considèrent comme “de gauche”. C’est un milieu où on aime beaucoup le grand-orient de France. N’est-ce pas le 14 juillet 1889, que s’est constitué sur le modèle des loges maçonniques, le mouvement plus connu sous le nom de Jeunes-Turcs ?

Ils sont toujours intervenus, et c’est certainement encore le cas dans la tentative ratée de juillet 2016, en se positionnant “contre la réaction”. Depuis les deux révolutions jeunes-turques de 1908 et 1909 c’est l’obsession séculaire que l’on retrouve chez Mustafa Kemal, chez le général Evren en 1980, comme dans les obscures intrigues recouvertes des étiquettes Ergenekon en 2007 ou Balyoz en 2010. La “réaction” c’est évidemment à la fois la nostalgie ottomane et la religion mahométane, et tout ce qui peut tirer le pays vers l’obscurantisme proche-oriental.

Les documents internes qui ont pu être publiés ces dernières années sur les complots antérieurs ne laissent aucun doute à ce sujet.

Sur la récente tentative, aucun élément probant n’a encore été diffusé. Et il restera de toute évidence beaucoup de zones à explorer sur cette récente séquence où, apparemment, l’ancien chef de l’armée de l’air, le général Akin Öztürk est soupçonné d’avoir cherché à sauver la démocratie et la liberté. Les photos de cet officier montrant son visage tuméfié expliquent peut-être qu’il aurait fini par avouer le récit accusatoire officiel où demeurent failles et invraisemblances. On doit retenir que 45 % des officiers généraux de l’armée turque ont été écartés comme contre coup : les listes de proscription étaient prêtes et elles ont abouti à affaiblir et transformer radicalement la deuxième armée de l’OTAN.

L’autre accusation qui désigne comme inspirateur Fethullah Gülen, fondateur du mouvement Hizmet, semble, elle, à ce jour, absolument dénuée de fondement. Réfugié aux États-Unis depuis 1999, sa désignation, sans aucune preuve, par Erdogan en personne comme chef du complot, ne relève pas seulement de la paranoïa de l’accusateur. “Ceux qui continuent de prêter oreille aux délires du charlatan en Pennsylvanie acceptent à l’avance ce qui leur arrivera” a déclaré Erdogan le 3 août tout en étant obligé de reconnaître que “malgré tout, j’ai le regret de ne pas avoir pu dévoiler leur vrai visage.”

Cette obstination, digne des procès staliniens des années 1930, permet d’amorcer ou d’annoncer un retournement contre l’occident et contre l’alliance atlantique, ce qui plairait bien à Vladimir Poutine. Celui-ci n’est probablement pas assez naïf pour s’y laisser prendre. Contre quel adversaire sa base de Crimée est-elle dirigée ? À quelle puissance Catherine II l’avait-elle arrachée ?

L’insistance des relais indirects, dans les médias occidentaux, à reprendre les éléments de langage qui leur sont servis, à employer pour désigner Gülen, des mots tels que “imam”, “terroriste”, etc. prouve que le conditionnement marche bien.

Méfions-nous cependant des analyses préfabriquées prévoyant une orientation qui se voudrait désormais “eurasiatique” de la politique et de l’armée turques. Cette dimension a toujours existé, la nation turque étant par excellence issue de l’Asie centrale et cousinant avec les anciennes républiques musulmanes de l’Union soviétique. Si l’on veut bien y réfléchir cependant on remarquera que l’action d’Ankara dans cette région entre en concurrence directe avec l’influence de Moscou. La Russie parle volontiers d’union eurasiatique comme d’une alternative géopolitique à l’union européenne. Mais ses partenaires fantasmés dans cet espace, la Chine comme la Turquie, sont essentiellement, séculairement, ses rivales, sinon ses ennemies. On ne doit pas confondre des convergences momentanées avec des perspectives d’alliance durable. De plus les États turcophones eux-mêmes s’opposent assez clairement aux pressions politiques du grand frère ottoman. Ainsi le Kirghizistan vient-il de répondre par la négative aux demandes de poursuites contre les écoles du mouvement de Gülen.

Héritier d’une vieille et habile diplomatie, l’État turc sait généralement très bien déplacer ses pions sur l’échiquier international et tromper ses adversaires.

En 20 jours d’intervalle et en dépit de son aveu du 15 juillet cité plus haut, Jean-Claude Juncker a ainsi déclaré, sans rougir, le 5 août sur la chaîne allemande ARD, que “fermer les portes de l’Union européenne à la Turquie serait une grave erreur de politique extérieure.”

Avec des interlocuteurs d’une telle nature, la Turquie d’Erdogan n’a pas grand-chose à craindre.

> Jean-Gilles Malliarakis anime le blog L’Insolent.

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6 Comments

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  • Wagner , 6 août 2016 @ 18 h 19 min

    Le plus commun des mortels sait que cet Erdogan est un dictateur de la pire espéce.
    En plus il fait du chantage à l’Union Européenne, et cet idiot ( excusez moi du terme)de Junker lui déroule encore le tapis rouge, sachant que ce dernier traine aussi des casseroles derrière lui. Ce Junker est un tordu , il vendrait femme et enfant pour arriver à ses fins. Une personne seine d’esprit ne laisserait pas rentrer la Turquie en Europe.

  • jmi , 7 août 2016 @ 0 h 40 min

    …. l’histoire prochaine dira ( nous avouera !) que le “coup d’état” n’était peut être pas aussi “naturel” que l’on veut bien le dire et que le pouvoir en place a suivi voire alimenté sa genèse pour mieux le manipuler et le dévoyer au bon moment pour le retourner contre leurs propres instigateurs…. essayez donc de savoir ce qui c’est exactement passé à l’hôtel de Marmaris où résidait le “Duche”.

  • Charles , 7 août 2016 @ 11 h 54 min

    Snowden vient de lacher un code de 156 caractères,
    vendredi 5 Aout vers 9h51 heure de Moscou.
    cela fait suite à un autre message en début de semaine disant “it ‘s time”.
    Il s’agirait d’un code permettant d’ouvrir des dossiers cryptés
    déjà confiés à des personnes de confiance en attente du code en cas d’urgence.

    Différents faits laissent croire qu’il s’agirait d’un message automatisé post-mortem.
    Technique classique des personnes menacées qui doivent régulièrement entrer un code
    sur leur PC pour garantir qu’ils sont toujours vivants et libres de leurs mouvements.

    Si le code n’est pas inséré en temps et en heure, le PC lâche un message préenregistré
    destiné à des relais disposant de fichiers à distribuer tout azimuth…
    1.Curieusement, Snowden n’a pas donné signe de vie depuis ce message.
    2. Curieusement quelques minutes après ce message, une puissance externe a pu bloquer
    les sites d’échanges de fichiers lourds…..
    il faut donc s’attendre à des révélations nouvelles….
    4260 vues à ce jour

    https://www.youtube.com/watch?v=6t4dTvUfFgM

  • Charles , 7 août 2016 @ 11 h 56 min

    4.912 vues à 11h55 sur Youtube qui devrait fermer l’accès a la vidéo rapidement

  • Pascal , 8 août 2016 @ 15 h 08 min

    Une alliance Russo-turque ne peut être que de circonstance et provisoire, autrement dit tactique et non stratégique. Les EU et la Turquie ont hélas les mêmes intérêts ou du moins les mêmes ennemis dans les Balkans, en mer Noire, dans le Caucase en Asie centrale et au Proche-Orient. Il est à peu près clair en revanche qu’entre la personne d’Erdogan et ses alliés les carottes sont cuites.

    Par ailleurs, depuis la fin de la première guerre mondiale, la Turquie a une politique opportuniste. Elle fait ami-ami (ou elle fait semblant) avec les puissants du moment. Elle s’était déjà momentanément rapproché de la Russie après sa démonstration de force en Géorgie en août 2008.

    Autre exemple, la Turquie qui a su monnayer sa « neutralité » à la veille de le seconde guerre mondiale ne l’a pas empêché de signer le 18 juin 1941 le Pacte d’amitié turco-allemand lequel ne l’a pas empêché d’entrer en guerre aux côtés des Alliés en février 1945 !!! Insignifiant sur le plan militaire cela lui a permis de participer aux conférences de paix de l’après-guerre dans le camp des vainqueurs.

  • Charles , 9 août 2016 @ 17 h 45 min

    Hillary Clinton semble avoir un sérieux problème médical. ici entre 2 secondes et 8 secondes, elles est saisie d’un tremblement compulsif surprenant.
    D’autres incidents sont relevés dont des chutes anormales par leur fréquence
    compte de son âge.

    D’autre part, pour répondre à Pascal, ci dessus, nous avons bien un revirement stratégique chez Erdogan vers la Russie du fait du coup d’état manqué initié avec la bénédiction de l’OTAN. Erdogan n’attends plus rien de l’OTAN et doit sa survie à Poutine qu’il vient de rencontrer a Saint Petersbourg, une révolution en soi. ceci est un point de non retour.
    Les gros médias n’en parlent pas. On les comprend.

    https://www.youtube.com/watch?v=lJjHTeo6mVw

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