La Turquie, un ami qui vous veut du bien ?

La Turquie rejoint la coalition en marche-arrière et au ralenti. Le comportement de ce pays devrait faire prendre conscience de leur naïf aveuglement à ceux qui souhaitaient son entrée dans l’Union Européenne. La Turquie n’est pas européenne. Elle ne l’est pratiquement pas sur le plan géographique. Elle ne l’est pas du tout culturellement, et l’AKP d’Erdogan l’en a éloignée par son islamisme dit « modéré » dans le seul pays majoritairement musulman qui pratiquait depuis Atatürk une forme de laïcité. Elle ne l’est surtout pas sur le plan géopolitique. Certes, la Turquie fait partie de l’OTAN et a « gardé » les détroits face aux soviétiques pendant la guerre froide comme elle le faisait déjà avec le soutien anglais face au Tsar. Mais en dehors de la paranoïa américaine, qui pense sérieusement que la Russie de Vladimir Poutine puisse caresser les ambitions de ses prédécesseurs ? La Turquie a des frontières avec l’Iran, son ennemi historique, l’Irak et surtout la Syrie, ses anciennes provinces arabes, et elle partage avec ces Etats la vaste communauté kurde. 15 millions de Turcs sont kurdes, majoritaires au sud-est du pays. Entre les traités de Sèvres (1919) et de Lausanne (1923), l’armée turque ayant repris le dessus, l’espoir de créer un Etat kurde s’est effacé. En raison du nombre de la population, de son identité culturelle et historique, de son implantation relativement continue sur le territoire, ce projet nourri par les vainqueurs de la Grande Guerre était légitime.

Les Kurdes qui sont au premier rang de la résistance au fanatisme de « l’état islamique » sont un révélateur de la complexité et des ambiguïtés politiques de cette région du monde.  Leur histoire récente jette une ombre épaisse sur la réalité turque. Depuis la fin du XIX e siècle et jusqu’à aujourd’hui, ce pays a suivi une politique dont les moyens ont changé, non les buts. L’Empire Ottoman était dominé par les envahisseurs turcs, mais ceux-ci étaient minoritaires y compris en Anatolie, la Turquie actuelle. Des peuples autochtones, grecs, arméniens, kurdes, étaient « soumis » tout en participant souvent jusqu’à un haut niveau aux pouvoirs économiques et politiques du pays. Le Christianisme était reconnu institutionnellement et la situation de dhimmis des Chrétiens était, entre deux massacres, tempérée par la protection de pays comme la France ou la Russie. La pression exercée en permanence sur ces sujets « inférieurs », notamment sur le plan fiscal, a dû favoriser bien des conversions. Mais l’effondrement de l’Empire à l’aube du XXe siècle a fait naître et se développer un nationalisme turc qui dans sa volonté de forger une nation n’a plus hésité sur les moyens. En plusieurs vagues qui ont culminé en 1915, la Turquie a pratiqué un génocide qui a assassiné 1,2 million d’Arméniens. Les Kurdes y ont d’ailleurs mis la main. Les Chrétiens assyriens et chaldéens en ont aussi été les victimes. Enfin, notamment lors de la reconquête par Mustafa Kemal, Atatürk, les Grecs ont été massacrés ou chassés de terres qu’ils occupaient depuis des milliers d’années. La Turquie est un Etat fondé sur une victoire militaire et a visé à réaliser son unité par le génocide et la purification ethnique. Toutefois, les Kurdes, complices du génocide arménien, continuent à former une communauté distincte, islamisée superficiellement et incomplètement, de culture et de langue indo-européenne et non turque. Sa soif d’indépendance l’a conduite à obtenir le soutien soviétique quand la Turquie était l’allié privilégié des Américains dans la région. C’est pourquoi le PKK, le vieux parti indépendantiste, rebelle, et durement réprimé, est fortement imprégné de communisme, et diffère en cela des partis autonomistes kurdes des autres pays. On comprendra sans peine que la Turquie d’Erdogan ne veut pas forcément le bien des Kurdes et n’est pas très pressée de venir à leur secours.

Dans la logique sans faille de l’histoire contemporaine de ce pays, l’intérêt national prime. Avec la victoire des islamistes modérés de l’AKP sur les héritiers laïcs et militaires d’Atatürk, le nationalisme, dopé par une relative réussite économique, a simplement changé de vêtements. Ils sont plus amples et aspirent à recouvrir une zone géographique plus large, turque au Nord-est et musulmane au sud. C’est pourquoi le voile de l’islam « modéré » en est devenu l’instrument. On savait les Qataris et les Saoudiens plus ou moins derrière les révolutionnaires islamistes contre les dictatures arabes. Les premiers soutenaient les Frères Musulmans, les seconds, les Salafistes. Ces soutiens de ces riches alliés de l’Amérique ayant contribué au chaos généralisé du Moyen-Orient, les monarchies du Golfe ont fait machine-arrière. Les dirigeants des Frères Musulmans ont dû quitter Doha… pour la Turquie, dont les relations avec L’Egypte se sont gravement détériorées depuis qu’Al-Sissi a chassé les Frères du pouvoir au Caire.

Ankara se trouve donc bien embarrassée par la politique d’Erdogan qui a largement échoué. Il comptait renforcer la Turquie en soutenant les pouvoirs musulmans « modérés » qui remplaceraient les dictatures. En Libye, c’est l’anarchie. En Egypte, ce sont les militaires, son propre cauchemar, qui ont repris le pouvoir. Non seulement son objectif principal, installer un gouvernement frère dans la Syrie voisine, en évinçant au passage les Russes de la région, n’est pas atteint, mais la guerre civile syrienne a fait naître un monstre islamique, pas modéré du tout, qui a mis les « modérés » sur la touche et fait des redoutables Kurdes les meilleurs résistants. Combattre l’ »état islamique » comme l’armée turque pourrait le faire rapidement et efficacement, reviendrait à aider Bachar Al-Assad d’un côté, les Kurdes, de l’autre. Maintenir l’attitude actuelle justifierait le soupçon de connivence avec les pires des fanatiques. C’est une double horreur au milieu de laquelle, Erdogan tente de louvoyer. La Turquie rejoint donc la coalition et assiste en spectatrice à l’écrasement des Kurdes syriens tout en empêchant les Kurdes de Turquie de leur prêter main forte. Le but est peut-être de maintenir ensuite par une intervention une zone tampon où s’installeraient les réfugiés syriens. Ainsi, la Turquie sauverait les apparences en étant avec les gentils et pour l’humanitaire tout en neutralisant et en affaiblissant la présence kurde à sa frontière. Futé, Erdogan…  mais nullement fréquentable !

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29 Comments

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  • Olivier84 , 7 octobre 2014 @ 6 h 05 min

    100% d’accord avec vous.
    Les peuples arabo-musulmans n’ont nullement besoin de nos concepts démocratiques. Il leur faut, et ce n’est pas une critique, un pouvoir fort, de la poigne, un “dictateur” comme nous les appelons. C’est leur mode de fonctionnement, on peut ne pas l’aimer mais c’est comme ça. Alors c’est sur qu’en dézinguant tous ces Sadam Hussein, Ben Ali, Bachar El Assad et consorts, le chaos allait s’installer tant qu’un nouveau tyran n’allait pas prendre le dessus. Là, ils cherchent, et nous constatons tous que la recherche prend du temps et fait beaucoup de dégats collatéraux. Les chrétiens et autres minorités de ces pays doivent furieusement s’en mordre les doigts …..

  • Foulon , 7 octobre 2014 @ 8 h 54 min

    C’est vrai que c’est une perte de temps de vous lire.

  • Alex , 7 octobre 2014 @ 9 h 01 min

    Je suis Français, vient à Metz et dans le sud de la France, visite ton pays, et on pourra en parler après.

  • VANNESTE , 7 octobre 2014 @ 9 h 55 min

    1) La Turquie est frontalière immédiate de la région kurde attaquée par les Islamistes.
    2) Elle est musulmane et n’offre pas le risque redouté par Obama d’une “croisade”.
    3) Son armée ne ferait qu’une bouchée des djihadistes. Elle est nombreuse, bien équipée et entraînée.
    4) Mais la Turquie maintient sa propre minorité kurde (15 millions !) en suspicion et ne souhaite pas trop aider les Kurdes en général.
    5) Elle a joué un rôle primordial dans la tentative de renversement d’Assad et dans le déclenchement de la guerre en Syrie, et ne veut pas aider Damas. Son attitude prouve sa culpabilité, comme son intervention logique restaurerait son crédit.

  • Alainpsy , 7 octobre 2014 @ 10 h 19 min

    En fait, la Turquie ne va pas bouger, et les frappes occidentales continueront à ne pas être décisives alors que nous en avons largement les moyens. Le plan est en place, et on nous a prévenu, la guerre contre l’état islamique va être longue. La Turquie est de connivence avec les Américains et le qatar, le but est de faire tomber la Syrie, éliminer le plus de Kurdes, et anéantir la présence de Chrétiens, Yézidis et autres. Ils veulent un état islamique dans la région, et ils vont l’avoir, tout en nous faisant croire qu’ils ont combattu la terreur. Cette terreur est acceptée depuis longtemps, et les morts aussi. La vraie cible, c’est Assad et ses alliés Russes et Iraniens. Il n’y a rien à attendre des turcs, ils ont des objectifs précis, d’abord les Kurdes (souvenez-vous des trois femmes Kurdes assassinées à Paris par un turc, au début du quinquennat de hollande), ensuite l’islamisation fanatique et totalitaire de toute la région, en accord avec Obama et le qatar, puis la destruction de la Syrie d’Assad, et enfin un virage à 180° pour se tourner vers l’Europe qui, sous la pression financière du qatar et des US l’accueillera les bras ouverts et achèvera ainsi son suicide définitif. Tout est en place, il suffit juste de préparer l’opinion publique progressivement, que les Européens soient fatigués de la “guerre” contre l’état islamique, qu’ils oublient que les fous d’Allah tuent avec nos armes, que l’Europe économique soit effondrée, qu’on oublie que le qatar est un pays esclavagiste et qu’il a financé toute cette boucherie, qu’on nous persuade que l’islam modéré nous veut du bien (souvenez-vous que les Yézidis ont déclaré que leurs pires bourreaux avaient été leurs voisins musulmans “modérés” qui les avaient dénoncés et avaient participé aux tueries), et puis la turquie entrera au parlement Européen avec 100 millions de musulmans, avalant au passage toute une partie de la population Allemande. Fin de la civilisation Européenne.

  • eric-p , 7 octobre 2014 @ 11 h 37 min

    Vu l’état de délabrement de la foi catholique en France et en occident,
    j’en viens presque à souhaiter la résurgence de l’islam !

    Rassurez-vous: Je ne suis pas Dieudonné et je n’appellerai pas les catholiques à se convertir à l’islam…

    Je prétends à qui veut l’entendre que le christianisme est la seule structure idéologique capable de résister à l’islam.

    La “religion” de la laïcité (en tout cas “Saint Vincent Peillon” la présente ainsi ) n’est pas capable de résister à la montée de l’islam
    pour la bonne et simple raison qu’elle est idéologiquement
    instable. En gros, les “piliers” de la laïcité, c’est un peu le BHV…
    On y trouve de tout …et même son contraire !!!

    De deux choses l’une:

    -Soit l’occident subira une islamisation de la société
    (par lâcheté, par effondrement idéologique,etc…)

    -Soit la “société civile” (que les premiers chrétiens appelaient
    “Les gentils” (!) ) se resaisira et devra se convertir au catholicisme.
    On ne peut pas organiser une résistance dans la diversité idéologique.
    C’est tout simplement un des gros mensonges de la laïcité…

  • eric-p , 7 octobre 2014 @ 11 h 45 min

    Petite précision: Lorsque la France se sera débarassée des poisons idéologiques de la laïcité et des sectes qui pullulent dans ce pays,
    alors l’islam reculera en France…

    Je suis donc optimisme. Le catholicisme ne peut pas mourir en France
    parce qu’on ne peut pas tuer la vérité…

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