Non, l’industrie française n’est pas une vieille dame !

Tribune libre de Jean-Jacques Lemane*

Tout le monde le sait, en France, nous n’avons pas de pétrole mais nous avons des idées… Le problème est, qu’à l’instar des 35h ou des multiples projets de taxation qui découragent l’esprit d’entreprise, ces idées sont parfois malvenues. Dernier exemple en date : le projet de taxation à 75% des plus-values en cas de cession d’une entreprise. Fort heureusement en l’espèce, le mouvement des « Pigeons » a mené la fronde jusqu’à faire reculer le gouvernement. De quoi donner de l’espoir à tous ceux qui appellent de leur vœu un « choc de compétitivité ».

Ce choc est d’autant plus nécessaire que de nombreux indicateurs sont au rouge dans le domaine industriel : perte de 800 000 emplois en dix ans (10% des effectifs), baisse de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée de la France (16% alors que la moyenne européenne se situe à 22,4%) et déficit commercial de près de 70 milliards d’euros en 2011. Pour autant, l’une des erreurs les plus fréquemment commises dans notre pays est de considérer que l’industrie est moribonde. Une vielle dame sous perfusion que l’on rassure à douce voix sans trop croire à sa survie. Cette vision est doublement fausse. Premièrement parce qu’il n’existe pas une industrie, mais des industries (la métallurgie n’a rien à voir avec l’aéronautique, par exemple). Deuxièmement parce qu’il ne faut pas confondre les usines à hauts fourneaux d’hier et les unités de R&D d’aujourd’hui.

Alors, si les nouvelles que les médias relaient chaque jour sont plus mauvaises les unes que les autres (Doux, PSA, Florange…), elles ne doivent pas cacher les succès des fleurons et pépites industriels hexagonaux. Car la France est aussi une terre fertile du point de vue technologique, dotée de secteurs en pointe comme l’agroalimentaire, le luxe, l’aéronautique. C’est tout l’objet d’un rapport qui vient d’être remis au ministre du Redressement productif par Génération Expat, le think tank des Français de l’étranger. Sans faire montre d’une euphorie mal placée, le rapport insiste sur le fait que « la dérive de l’industrie française face à ses concurrents n’est pas une fatalité inéluctable. » Les plus grosses entreprises, celles du CAC 40 notamment, nous permettent de conserver la maîtrise de notre destin industriel.

Les valeurs d’Essilor international ou d’EADS par exemple sont en hausses depuis le début de l’année. Le chiffre d’affaire du fabricant de verre optique, qui vient d’être classé parmi les 30 sociétés les plus innovantes du monde par le magazine américain Forbes, a augmenté chaque année depuis le début de la crise. S’agissant du numéro 2 mondial de l’industrie aéronautique, il jouit d’une excellente rentabilité que confirme un résultat opérationnel en hausse de 100%. L’optimisme est également de mise chez Pernod Ricard ou chez L’Oréal qui tous deux investissent sur les marchés émergents. Leurs titres respectifs gagnent 10% depuis un an.

Sans surprise, c’est dans le secteur du luxe, fer de lance du savoir-faire à la française que les progressions les plus spectaculaires sont enregistrées. L’emblématique Hermès a ainsi engrangé des bénéfices records en 2011. Avec une forte augmentation de ses ventes à l’international et notamment en Asie, le sellier a doublé son bénéfice net en 2 ans. Fait inédit, il s’est également retrouvé en incapacité structurelle de répondre à l’ensemble des commandes qui lui étaient adressées.

L’industrie française ne se limite cependant pas aux très grosses entreprises. Elle vit, elle invente, elle innove, elle crée des richesses dans les milliers d’entreprises – PMI et ETI – qui maillent le territoire à l’ombre du CAC 40. De taille plus réduite, de quelques dizaines à quelques milliers de salariés, elles sont souvent l’expression d’un capitalisme à taille humaine, parfois coopératif, le plus souvent familial, dans tous les cas animé par une volonté industrielle et non financière. Elles se caractérisent aussi par des relations humaines de proximité et une culture interne forte. Gage de succès, ce sentiment d’appartenance est d’autant plus déterminant en période de crise où le facteur humain prime. Elles se caractérisent aussi par l’innovation qu’elles placent au cœur de leur développement, se donnant ainsi la faculté de réagir rapidement aux changements de tendances et aux variations plus ou moins brutales de la demande.

“L’une des erreurs les plus fréquemment commises dans notre pays est de considérer que l’industrie est moribonde.”

Le rapport de Génération Expat cite en exemple d’ETI performante la société Thuasne basée à Saint-Étienne. Fondée en 1847, elle est spécialisée dans la fabrication de tissus élastiques pour bretelles et jarretelles. Après la seconde guerre mondiale, son dirigeant Maurice Thuasne se rend compte que l’activité d’origine n’a pas d’avenir. Son intuition géniale est de réorienter sa production vers le médical : ceintures médicales, orthèses médicales (genouillères, etc.). Le pari était audacieux : s’appuyer sur un savoir-faire traditionnel pour se lancer sur un nouveau marché. Plus d’un demi-siècle plus tard, cette stratégie d’innovation a amené l’entreprise à devenir un leader européen, une marque reconnue, fort de 1 200 collaborateurs qui consacre 7% de son chiffre d’affaires à la R&D. Ce savoir-faire fondé sur des capacités d’adaptation hors du commun, est plus répandu qu’on ne le croit. Il est même caractéristique des PMI et ETI françaises. L’histoire de Thuasne n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’un Oberthur Fiduciaire ou d’un Pochet du Courval que le rapport ne cite pas mais qui méritent d’être connues.

Oberthur Fiduciaire est issu du rachat en 1984, par un ancien cadre bancaire, d’une entreprise historique créée en 1842. À partir de cette date et pendant un siècle, l’imprimerie produisait des agendas, calendriers et almanachs populaires à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Anticipant les évolutions des habitudes de consommation, l’entreprise se lance plus tard dans l’impression fiduciaire (chèques, obligations), tant et si bien qu’en 1940, la Banque de France fait appel à son expertise pour l’impression de billets de banque. Redoublant d’innovation, Oberthur Fiduciaire répond à la demande. Plus d’un demi-siècle plus tard et après avoir failli disparaître dans les années 80, le succès est là grâce au talent de son repreneur : Oberthur Fiduciaire est aujourd’hui dans le top 3 des imprimeurs de papier monnaie et emploie plus de mille personnes, dont la grande majorité en France. Il ne compte pas moins de 70 banques centrales parmi ses clients et imprime chaque année 3,5 milliards de billets de banques et 1,5 milliard de documents sécurisés. Son DG actuel, Thomas Savare, artisan habile du recentrage stratégique après une incursion réussie dans l’univers très élitiste de la carte à puce, n’entend pas en rester là : « En nous recentrant sur l’impression fiduciaire et de sécurité, nous entendions affirmer notre leadership sur ce marché porteur et le rendre plus lisible aux yeux de nos clients. Grâce à la cession de notre activité carte à puces, (…) nous nous sommes dotés des moyens de cette ambition. »

Question innovation et adaptation, Pochet du Courval, l’un des plus grands verriers français depuis 1623, fournisseur de tous les grands parfumeurs mondiaux, n’est pas en reste. Avec 15 sites industriels répartis sur quatre continents, un effectif total de plus de 6 000 personnes et une usine historique dans la vallée de la Bresle en Seine-Maritime, le groupe table cette année sur un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Anticipant les évolutions du marché, la direction de Pochet a pris la décision de se diversifier dans la transformation du plastique avec Qualipac en 1990 et accentue ces dernières années son redéploiement industriel vers la transformation du métal.

Des Thuasne, des Oberthur Fiduciaire, des Pochet et du Courval, il y en a aux six coins de l’Hexagone. Chaque région, chaque département abrite au moins une unité de production innovante, des équipes enthousiastes, des ingénieurs talentueux, des ouvriers efficaces, des entrepreneurs qui n’ont pas peur de l’avenir ni de la mondialisation mais qui les envisagent comme des opportunités à saisir. Quelles que soient leur taille, leur activité ou leur ancienneté, ce sont ces entreprises qui structurent le paysage industriel de la France et qui assurent la solidité de son économie. Il est bien entendu illusoire de tous les citer mais pourquoi ne pas donner quelques noms pour lutter contre la sinistrose dont nous sommes abreuvés jusqu’à plus soif : Radiall à Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, 3S Photonics à Nozay dans l’Essonne, Aplix au Cellier dans Loire-Atlantique, Riber à Bezons dans le Val d’Oise, NFM Technologies au Creusot en Saône et Loire, Saint Jean Industries en Mayenne et dans les Vosges, Top Clean dans le Puy-de-Dome, Vincent Industrie dans le Rhône, etc.

Malgré la conjoncture, les industriels français demeurent optimistes. Ils anticipent un investissement dynamique en 2012, en hausse de 5% par rapport à l’année dernière, selon l’enquête trimestrielle de l’Insee publiée en septembre. Interrogés en juillet 2012, les chefs d’entreprise de l’industrie manufacturière ont par ailleurs indiqué que leurs investissements avaient augmenté de 12% en 2011 par rapport à 2010. Et si d’une manière générale, les employeurs français restent attentistes et prévoient très peu d’évolutions de leurs effectifs au 4e trimestre 2012, côté industrie manufacturière, on reste positif. Les employeurs dans ce secteur prévoient une augmentation nette de 5 % de leurs effectifs. Cette embellie sourit en premier aux ingénieurs puisque 74 000 ont été recrutés en France en 2011 soit une hausse de 25 %. Résultat, le taux de chômage dans cette profession ne cesse de reculer pour atteindre 3,5 % fin 2011 selon l’étude annuelle de l’association Ingénieurs et Scientifiques de France. La situation française est certes inquiétante… mais loin d’être désespérée !

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2 Comments

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  • isaie , 8 février 2013 @ 10 h 41 min

    Pour une voiture, je ne désire pas acheter français, pourquoi?
    Manque de fiabilité prix de revient en réparation très coûteux, prix d achat trop cher au vu de la qualité, trop fragiles. Je préfère les voitures allemandes du fait qu’il n y a pas de courroies à changer mais que l entrainement se fait par chaines.
    Maintenant, les voitures françaises sont construites à l étranger dans bien des cas. Je préfère faire travailler des européens.
    Dans le temps j ai été déçu par les marques françaises: Un téléviseur portable qui na jamais bien fonctionné, un projecteur super huit qui avait de nombreux problèmes. Il serait temps que les patrons regardent à nouveau la qualité de leurs produits plutôt que de regarder les avantages financiers des actionnaires, il serait temps aussi que le gouvernement regarde un peu de ce côté là aussi.
    Les industries se coulent elles-même en préférant livrer les grandes surfaces parce que celles-ci commandent beaucoup à la fois. Elles devraient aussi se mettre au niveau des petits commerçants. Leur vendre selon leurs capacités et non selon la volonté de débit de l usine. Ainsi, dix petits commerçants pourraient être aussi rentable qu une grande surface. Mais là il y a un manque de logique terrible chez les fabricants

  • Jean de Sancroize , 10 février 2013 @ 10 h 27 min

    Mettez un énarque – ou même genre universitaire tutti quanti – comme dirigeant dans n’importe quelle société qui est rentable, même pas deux ans après il l a plantée. Comme quoi les incompétents sont là où on ne s y attend le moins.

    Signé

    Un ex chef d entreprise

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