Au désespoir de la lutte, des signes d’espérance

par Pierre Mayrant*

Le mouvement contre le mariage pour tous fut égalable au 13 janvier, puis au 24 mars 2013, aux manifestations contre la loi Savary en 1984. Depuis cette dernière date, depuis que des manifestations improvisées se multiplient dans les grandes villes de France, nous nous rapprochons à titre de comparaison aux événements de mai 1968. Si la situation dégénère, nous pourrions bien nous rapprocher d’un autre référent : les journées de juin 1848, dont l’issue fut tragique. Quoiqu’il en soit et quelque soient les nuances d’analyse que les politologues dressent en ce moment et dresseront par la suite, il est incontestable que cette année 2013 a réveillé la tradition révolutionnaire de la France. Même si les événements sont proches et qu’ils ne sont pas terminés, que les tensions sont vives, que les passions sont exacerbées, il convient de prendre le recul nécessaire pour mieux inscrire ces événements dans le long terme, pour prendre conscience qu’au désespoir de la lutte, l’existence même de celle-ci, quelle que soit son issue, est un signe d’espérance.

1/ Dans un premier temps, il s’agit de comprendre pourquoi, maintenant, un sursaut populaire de grande ampleur ouvre une brèche dans ce qui faisait auparavant une unanimité morale au sein de l’opinion publique. Car, objectivement, un million de personnes dans les rues – 750 000 signatures au CESE pour donner aux adversaires des chiffres incontestables –, ne sont pas une « poignée d’individus », comme l’exprime si bien « l’intellectuelle » Caroline Fourest. S’il est à craindre l’extrémisme de cette « poignée d’individus », alors, avec une telle masse, c’en est fait de la République. Ce peuple en marche est tout simplement impressionnant et déconcerte. Pourquoi ?

La première raison est liée à un pouvoir exécutif débordé. Acculé, il est évident que ce dernier choisit de nier l’ampleur de ce mouvement et surtout, de le normaliser. Dans l’histoire des révolutions, chaque mouvement de masse s’est avéré parfaitement inattendu, et les méthodes classiques pour tenter de la résoudre, inefficace. L’objectif légitime des hommes de pouvoir, est d’être réélu, sans que l’ordre public soit troublé, ou, plus exactement, sans donner le sentiment qu’il a été troublé. Une classe politique à bout de souffle a des visées politiques à court terme. Son absence actuelle de vision les rend aveugles.

Les médias parisiens forment aussi en partie l’élite de la nation. Les journalistes sont issus des grandes écoles de journalisme, de l’Institut d’études politiques de Paris ou encore de l’École normale d’administration, formations peu ou prou identiques aux hommes politiques. Leur vision parisianno-centrée les déconnecte du réel à tel point qu’ils sont incapables de revoir leur ligne éditoriale malgré la chute drastique de leur nombre de lecteurs/auditeurs/téléspectateurs. Ils continuent de croire à leur liberté d’expression alors que les organes de presse sont transfusés financièrement par l’État (Voir aussi sur NDF.fr la tribune libre de Marc Crapez : Le quatrième pouvoir joue-t-il encore son rôle ?). Cela les rend absolument incapables d’avoir une vue objective de la situation, d’imaginer que les lignes peuvent bouger ; ce sont ni plus ni moins des fonctionnaires qui répètent le schéma mental acquis lors de leur formation, sans aucune forme d’intuition, le plus souvent pris au dépourvus par les révolutions. Ils choisissent donc de se fier à la vision minimaliste du pouvoir. En revanche, cette corporation n’aime pas être prise en flagrant délit de faute professionnelle. Prise au dépourvue de l’inattendue masse, elle lui fait payer cette inadaptation du réel à la virtualité médiatique.

De plus, sans raison apparente, depuis plus d’une dizaine d’années, les résultats des instituts de sondage n’arrivent plus à refléter l’état de l’opinion populaire, ou ne parviennent plus à être un vecteur d’opinion. Autrement dit, les sondages publiés sont en décalage trop grand avec le résultat des urnes. Quelque chose échappe aujourd’hui aux ‘sondagiers’. On se sert beaucoup d’eux pour justifier nos propos et satisfaire la presse qui a besoin de chiffres pour étayer son information, mais désormais, sans trop y croire. Or justement, ce qui faisait la force du sondage, c’était la croyance que l’on portait sur elle, ce qui le rendait vecteur d’opinion.

Enfin, Internet a certainement joué un rôle, difficile à saisir par son ampleur, dans ce nouveau réagencement de l’opinion. Il est évident que les médias traditionnels sont beaucoup moins crédibles aujourd’hui parce qu’ils n’affichent pas une pluralité de l’information. Autrement dit, un citoyen lambda les suivra pour se tenir au courant, non pour les informations en elle-même, mais pour savoir comment, officiellement, elles sont transmises auprès de tous. Ensuite, il se dirigera sur Internet, vers les sites qu’il affectionne particulièrement en raison des lignes éditoriales et des spécialités. Avec Internet, le citoyen se crée son propre AFP suivant ses convictions, qui lui fait comprendre rapidement à quel point la diffusion de l’information peut être subjective et donc contestable. Il juge aussi fiable le blog d’un journaliste amateur que le JT de David Pujadas.

Crise politique, crise médiatique, crise de l’opinion : ce triple constat s’ajoute à une crise économique sans précédent qui accélère un processus de reconfiguration ou de transition dans les rapports qu’entretiennent les médias avec la politique, les deux avec l’élite dans son ensemble. Y aura-t-il révolution pour autant ? Rien n’est moins sûr. Car, toute révolution se construit dans l’optique d’une table rase. Autrement dit, les révolutionnaires restent les partisans du mariage pour tous et non l’inverse. Toute idée de contre-révolution serait encore une révolution, comme le pensait l’historien François Furet.

“Les avant-gardistes ont pris du plomb dans l’aile, ils sont progressivement ringardisés : ce sont des conservateurs de leurs idées avant-gardistes. Comme si le sens de l’histoire dont ils se réclament leur échappait à notre profit.”

2/ Toutefois, dans une vision rétrospective à moyen terme, force est de constater que nous assistons à un mai 68 inversé (cf voir l’article du député UMP des Côtes d’Armor, Marc le Fur, sur son blog : Vers un mai 68 à l’envers ?).

La catholicité des manifestants, même si elle est réelle, n’est pas le ressort de la mobilisation. Chez les plus jeunes, il y a d’abord le succès de la manifestation qui entraîne une forme de mondanité liée à la manif pour tous. Dans ce milieu essentiellement bourgeois, s’y rendre devient branché, les rendez-vous de la manif deviennent des lieux de sociabilité. Il en était de même en 1968. Pour la classe d’âge des jeunes actifs, enfants de la génération du baby boum, les trentenaires et les quadras, il s’agit d’une démarche de conviction liée à leur catholicité. Ils sont le fruit d’un murissement intellectuel lié au développement dans les années 80 et 90 des écoles universitaires catholiques comme l’Institut catholique d’études supérieures, L’institut de philosophie comparé, Albert le Grand… et tant d’autres de ce type qui ont fait éclore dans le silence une nouvelle élite formée sur un nouveau socle philosophique. Ceux-là réclament leur liberté religieuse en même temps qu’ils proposent une nouvelle éthique de l’homme basée sur le droit naturel. Ils se revendiquent facilement de la génération Jean-Paul II. Ce sont eux qui construisent l’argumentaire contre le mariage pour tous.

Dans l’ensemble, cette jeunesse est nombreuse à battre le pavé parce qu’elle est le fruit d’une sociologie qui, à l’opposé de la génération 68, n’a jamais lésiné sur le nombre d’enfants. Ainsi explique brillamment le chroniqueur Jacques de Guillebon, dans son dernier numéro de La Nef (n°248) : « Personne n’avait rien su voir et pourtant il suffisait de compter, et les soixante-huitards eussent dû se souvenir de ce théorème : familles nombreuses, classe dangereuse. Depuis quarante ans, qui a des enfants en France sinon les immigrés et les catholiques ? Aux premiers les émeutes de 2005, aux seconds la résistance des Invalides.

Les plus âgés ont une démarche plus passionnelle. Ils forment le gros de la troupe. Eux-mêmes ont vécu 1968, mais de l’autre côté. Ils ont aussi vécu pendant plus de quarante ans la multiplicité des grèves. En tant que profession libérale, travailleur indépendant, chef d’entreprise, abandonner leur poste pour un vaste mouvement de contestation revenait à ruiner leur carrière. Aujourd’hui à la retraite, ils peuvent soutenir la jeune génération dans les mouvements quotidiens et permettre à la revendication de ne pas perdre son caractère de masse. D’une certaine manière, cette génération prend surtout une revanche légitime, elle se masse dans la rue quand les soixante-huitards enfin se rangent.

A moyen terme, on ne peut sous-estimer une telle force démographique qui est aujourd’hui déjà, mais sera demain plus encore, la force vive de la nation. Nous ne sommes pas des délinquants, nous faisons partie de la classe moyenne supérieure appelée à occuper des postes clés dans ce pays, que ce soit au niveau politique, économique, culturel ou éducatif. Inéluctablement, la génération de mai 68 est appelée à être remplacée et les partisans de la manif pour tous sont les plus nombreux au parvis. C’est pourquoi, au-delà de la question du mariage pour tous, il faut penser l’avenir de la France dans son ensemble. Devenir une force pour lutter contre toutes les dérives anthropologiques du libertarisme postmoderne, tel est le véritable objectif. Même sans résultats concrets, nos manifestations ont remporté une victoire : elles ont réveillé les acteurs de demain. C’est pourquoi, il est primordial d’organiser dans ce pays la convergence d’intérêts des hommes de bonne volonté, comme l’explique si bien Henri Hude dans un article sur Liberté politique : « La question est donc : voulons-nous devenir politiquement quelque chose ? Voulons-nous réellement gagner ? Voulons-nous reconquérir pour nos enfants un avenir économique, une liberté politique, une possibilité de vie familiale digne et indépendante ? Alors, il faut s’ouvrir, aller vers les autres forces démocratiques du pays, comprendre leurs enjeux, parler avec eux, montrer qui nous sommes et les découvrir eux aussi, au-delà des clichés, faire connaissance, faire peuple à nouveau, apprendre à dépasser les divisions artificielles qui ne profitent qu’au désordre existant.

3/ Les mouvements de la Manif pour tous intriguent bien au-delà de nos frontières. Les observateurs étrangers portent plus certainement un regard à long terme, car, encore une fois, la France est aux avant-postes des combats d’ordre idéologique. Voir une telle masse perdurer dans la lutte contre le mariage gay leur offre de réfléchir sur le caractère inéluctable de l’évolution des lois sociétales en occident. Contrairement à ce que l’on peut penser, les avant-gardistes ont pris du plomb dans l’aile, ils sont progressivement ringardisés : ce sont des conservateurs de leurs idées avant-gardistes. Comme si le sens de l’histoire dont ils se réclament leur échappait à notre profit. À long terme, la Manif pour tous participe d’une vaste lame de fond qui s’invite dans cet univers postmoderne. Les classiques s’appuyaient sur la tradition, les modernes sur l’avenir, les postmodernes jouissent du temps présent sans se soucier plus de rien, rejetant le primat de la raison, lui préférant la volonté absolue, l’affranchissement et l’assouvissement immédiat de leur désir. C’est pourquoi il est de plus en plus difficile de se revendiquer du progrès pour défendre une loi dont le but seul est au fond de jouir d’un privilège nouveau. De fait, les tenants de la loi sur le mariage pour tous, mais plus loin, les tenants de l’euthanasie, de l’avortement ne sont plus porteurs de sens. Leur quête de « plus d’égalité » s’associe à l’idéologie consumériste. A l’inverse, notre intervention et nos manifestations viennent donner du sens là où il n’y en a plus. La postmodernité est le début d’une ère qui, comme son nom l’indique, a du mal à trouver son identité propre. Elle se définit, faute de mieux, a contrario de la modernité. D’ailleurs, elle ressemble plus à la fin d’un cycle. A long terme, ce mouvement participe de l’éclosion d’une nouvelle manière de penser et d’agir en occident. Soyons donc fiers d’y participer, et, avec lui, préparons l’avenir.

*Pierre Mayrant est journaliste et historien.

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43 Comments

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  • Stéphane , 13 mai 2013 @ 17 h 23 min

    Je vous rassure, les tolérants et respectueux le resteront.
    Et les homophobes le resteront aussi.
    Rien de bien neuf en somme, mais le temps passant, ils retourneront à la poussière et nos jeunes, à l’évidence plus éclairés, en riront.

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