La privatisation des autoroutes est-elle un exemple ?

privatisation des autoroutesCitée en exemple par tous les opposants de la privatisation d’un certain nombre de services qui pourtant n’ont rien à faire dans le giron de l’Etat, il faut reconnaître que la privatisation des autoroutes a l’image d’un vrai fiasco

À l’heure de la cession attendue de la participation de l’Etat au capital d’ADP [Paris Aéroport] et de la FDJ [Française des jeux], ou du changement de statut de la SNCF, on voit fleurir les éditoriaux qui font référence à la privatisation des autoroutes, survenue au cours des années 2000, comme un “précédent” qu’il ne faudrait pas reproduire. Penchons nous un instant sur la réalité de ce que fut cette privatisation.

Quelques rappels historiques

Les sociétés d’autoroutes sont au nombre de sept, toutes sociétés d’économie mixte à majorité capitaux publics. L’État commence à céder ses parts dès 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin, mais c’est en 2005 que la privatisation des autoroutes s’impose.

Le Premier ministre est alors Dominique de Villepin, qui va aller très vite, très loin et peut être pas vraiment bien négocier. Il est alors convaincu par des énarques de Bercy (dixit Raffarin son prédécesseur) que la privatisation des autoroutes va lui permettre de se présenter comme le premier premier ministre qui allait faire baisser la dette.

Ainsi en 2006, l’État vend l’ensemble du réseau aux groupes Vinci, Eiffage et Abertis pour la somme de 14,8 milliards d’euros.

Le prix de cette vente est très critiqué. Si certains affirment qu’il s’agit d’une sous-évaluation de 10 milliards d’euros, comme l’affirme la Cour des comptes en 2009, l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, estime quant à lui qu’il a réalisé une “bonne affaire” en se fondant sur un rapport parlementaire de 2005, qui estimait le prix des sociétés autoroutières à 11 milliards d’euros seulement.

Les économistes sont divisés sur le sujet car s’il est toujours facile de critiquer à posteriori, la valeur intrinsèque d’un bien n’est toujours facile à évaluer. Par contre, un point semble évident. L’Etat a vraiment vendu au plus mauvais moment.

En 2006, les autoroutes sont construites depuis 25 à 30 ans, et les concessions commencent juste à rapporter de l’argent. En fait, si, au lieu de procéder à la privatisation des autoroutes, l’État était resté actionnaire majoritaire, il aurait à ce moment-là commencé à toucher les dividendes que toucheront les sociétés privées et qui lui auraient permis de financer ces infrastructures routières.

Ce qu’en disent les pourfendeurs de la privatisation des autoroutes

En 10 ans, les profits issus des péages ont augmenté de près de 20%. Les sociétés d’autoroutes se portent pour le mieux : 1,5 milliard €/an de dividendes pour les actionnaires.” Voilà en gros résumée en une phrase la position des opposants à la privatisation des autoroutes.

En septembre 2016, le ministre des transports Alain Vidalies annonce un nouveau plan autoroutier. Il prévoit 1 milliard d’euros d’investissement sur le réseau moyennant une hausse de 0,4% des péages entre 2018 et 2020. Devant une levée de boucliers due au fait que les péages ont déjà augmenté de 20% en quelques années, Ségolène Royal intervient et obtient le gel des tarifs……. pendant un an!

Mais cette affaire met en évidence un rapport de force entre les société exploitantes et l’Etat qui n’est pas à l’avantage de la collectivité. C’est une situation qui avait d’ailleurs été dénoncée par l’Autorité de la concurrence, dans un avis en 2014 qui met en évidence la “rentabilité exceptionnelle” de ces sociétés estimée, pour l’année 2013, entre 20 et 24%.

Comment fonctionne la logique de rentabilité

Pour être plus rentables que ne l’étaient les société d’économie mixte, les concessionnaires vont agir sur trois leviers.

Tout d’abord, les effectifs. Les salariés aux barrières de péage disparaissent au profit des machines, les personnels sont en équipes avec plus de polyvalence.

Ensuite, l’intégration verticale. Les grands groupes Vinci et Eiffage font appel à leurs filiales pour réaliser les travaux d’entretien ou d’investissement.

Enfin, les tarifs. En théorie, l’Etat est “maître ” sur les tarifs puisque ceux ci ne peuvent être augmentés de plus que le minimum de 70% de l’inflation qu’avec son accord. Sauf que.

Sauf que tout nouvel investissement (nouvelle sortie, nouvel échangeur, troisième voie, équipements de sécurité…) fait l’objet d’un amendement au contrat de concession qui accorde au concessionnaire une augmentation supplémentaire pour compenser les coûts d’investissement. C’est ainsi que ces 10 dernières années, l’augmentation frôle les 20%, très largement supérieur à ce qui était prévu à la base.

Et quand, dans une poussée d’autoritarisme étatique (genre Ségolène Royal) l’Etat décide d’interdire toute augmentation, il se met en situation ne non respect du contrat… qui prévoit au minimum 70 de l’inflation! Du coup, il se retrouve en situation de négociation difficile. Et c’est ainsi que….

L’État se retrouve pris à la gorge

Le réseau autoroutier français est considéré comme l’un des meilleurs du monde et l’un des plus sûrs. L’État doit donc faire entretenir ce réseau pour conserver une telle qualité. Mais l’État est incapable aujourd’hui de financer des travaux qui sont nécessaires. Par exemple des travaux qui concernent des murs anti-bruit ou des travaux qui concernent des échangeurs. Donc, il se tourne vers les sociétés concessionnaires d’autoroute qui acceptent de financer en contrepartie d’une hausse des péages. La boucle est bouclée.

C’est très exactement ce qu’il s’est passé dans la renégociation de 2015. Malgré une fronde d’un nombre important (152) de ses députés, le pouvoir socialiste a été “contraint” de signer un accord favorable aux concessionnaires. Il avait besoin que ces derniers investissent 3,2 milliards d’euros. Du coup, la durée des concessions a été prorogée et les tarifs lourdement augmentés.

Les termes exacts de cet accord sont tenus secrets. Ni les députés ni les citoyens n’en sont tenus informés. Dans l’espoir d’arriver à en connaître la teneur, un élu de Grenoble, Raymond Avrillier, engage une procédure:

“je suis obligé de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, puis comme le ministère de l’économie continue à refuser malgré l’avis favorable de la Commission, je suis obligé de saisir le tribunal administratif de Paris en annulation du refus du ministre de l’économie de me communiquer les documents qu’il détient et qui sont des documents publics.”

En juillet 2017, le tribunal administratif de Paris donne raison à Raymond Avrillier et ordonne la publication de ce document.

Le ministère de l’économie s’est pourvu en cassation pour conserver le secret.

Ni l’Etat, ni les sociétés d’autoroute n’ont souhaité lever le voile sur ce document. Il reste secret en attendant le pourvoi en cassation.

De l’autre côté du miroir

Comme toujours dans un contrat, plusieurs éclairages s’imposent et les arguments des défenseurs de la privatisation des autoroutes ne sont pas dénués d’intérêt.

Tout d’abord, l’argument de la compétition ouverte et transparente.

L’Etat a retenu les meilleures offres au terme d’une compétition ouverte et transparente entre pas moins de 19 candidats. Il n’y a donc pas eu de favoritisme et une réelle concurrence dans l’attribution des concessions faisant suite à la privatisation des autoroutes.

Deuxième argument, ce que cette privatisation des autoroutes a vraiment rapporté aux caisses de l’Etat.

Cette opération a rapporté immédiatement 19 milliards d’euros de cash à l’Etat, auxquels s’ajoutent le transfert de 30 milliards d’euros de dette. Le bénéfice immédiat de l’Etat, et in fine du contribuable, s’élève donc à près de 50 milliards d’euros!

Troisième argument, la crise économique a détérioré le modèle économique.

La crise économique a détérioré les hypothèses retenues dans l’estimation initiale de la valeur des concessions. A commencer par celle du trafic des poids lourds, qui ne rattrapera son niveau de 2007, à réseau constant, qu’en cette année 2018.

Quatrième argument, les investissements.

La concession induit des investissements massifs, dans la durée, de la part des sociétés concessionnaires. Ces investissements représentent près de 17 milliards d’euros ces dix dernières années.

Cinquième argument, la fiscalité.

Côté fiscalité, la privatisation des autoroutes a, cette dernière décennie, été synonyme de revenus substantiels pour l’Etat, qui aura prélevé pas moins de 20 milliards d’euros en taxes et impôts venant abonder, entre autres, les comptes de l’AFITF [Agence de financement des infrastructures de transport de France] pour financer notamment les infrastructures ferroviaires et le réseau routier et autoroutier non concédé. Soyons clair : 40% de ce qui est payé au péage entre directement dans les caisses de l’Etat : cela aussi fait partie des contrats. L’Etat est le premier bénéficiaire des recettes de péage.

Sixième argument, les hausses sont moindre depuis la privatisation des autoroutes

Les tarifs de péage autoroutiers ont moins augmenté depuis la privatisation qu’avant : + 1,6% en moyenne depuis 2007, alors que cette hausse était de 2% en moyenne entre 2000 et 2007, lorsque les concessions autoroutières étaient des sociétés à capitaux publics… Même si cet argument doit être modéré en proportion de l’inflation.

Septième argument, la qualité de prestations.

Aujourd’hui, 94% de clients se déclarent satisfaits, comme le montrent les enquêtes menées chaque année sous le contrôle de l’Etat. La privatisation a également bénéficié aux salariés des sociétés concessionnaires. Pour leur sécurité tout d’abord, le taux de fréquence des accidents du travail a en effet été divisé par 2,5 depuis la privatisation. Leur rémunération a progressé, notamment par l’attribution de participation et d’intéressement, ainsi que par le développement de l’actionnariat salarié. Enfin, la réduction du nombre de personnels consécutive à la modernisation du péage s’est opérée sans licenciement ni mutation forcée.

Ainsi, les partisans de la privatisation des autoroutes avancent ils près de 90 milliards d’euros au bénéfice des finances publiques, une régulation plus saine du secteur, une gestion privée qui débouche sur un niveau de service et un réseau mondialement réputé pour sa qualité…

Les règles qui devraient prévaloir

Lorsque l’on regarde de près les arguments des uns et des autres, on se rend vite compte que le hiatus en matière de privatisation se situe dans la capacité ou l’incapacité d’une des parties à assumer son rôle. C’est le fait que l’Etat, “nu-propriétaire” du réseau n’est pas en mesure d’assumer les charges de sa fonction qui l’amène à se retrouver en situation de faiblesse à l’égard de son locataire….. et au bout de la chaîne c’est l’usager qui paie (dans le cas de la privatisation) ou le contribuable (dans le cas du monopole étatique).

L’exemple de la privatisation des autoroutes me renforce dans la conviction qu’il est capital dans le cadre de la privatisation de scinder la structure de la gestion de la structure. La structure doit rester dans le domaine public (pas forcément et même probablement pas du tout de manière monopolistique, mais dans une société dont le pouvoir public reste maître) tandis que l’exploitation peut et doit, pour une bonne gestion, être privatisée.

Depuis 2012, l’État a la possibilité, pour un motif d’intérêt général, de racheter les contrats de concession. Une piste à étudier?

Article paru sur MaVieMonArgent

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