Ce n’est pas l’arme qui tue, mais ce qui est dans la tête de l’assassin !

« Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt »… Cette maxime de la sagesse chinoise illustre bien des réactions médiatiques devant l’actualité. Au lieu de chercher les causes, et notamment les plus profondes, on désigne en boucle, le coupable immédiat, qui, direct ou par ricochet, appartient au clan du mal, défini par la pensée dominante. Préjugé idéologique et réponse pavlovienne sont les deux mamelles de la désinformation dans ce qu’on appelle, dans l’illusion de l’habitude, les démocraties occidentales.

Les deux « fusillades de masse » qui ont eu lieu récemment aux Etats-Unis, l’une au Texas à El-Paso, l’autre à Dayton dans l’Ohio, et qui ont fait plus de 30 morts en sont un bon exemple. Le coupable désigné est d’abord l’arme, comme si c’était elle qui tuait et non l’assassin. Et dans un second temps, puisque les auteurs sont blancs, et les victimes au Texas, des hispaniques, le Président Trump est pointé du doigt, d’abord parce qu’il est favorable à l’amendement constitutionnel garantissant aux Américains le droit de porter une arme, et ensuite parce que ses discours contre l’immigration illégale ( 10,7 millions de clandestins dont 318 000 entre Octobre 2018 et Mars 2019 ! ) auraient incité les « suprémacistes » blancs à agir.

Le « doigt » ici est la liberté du port d’armes et sa conséquence, le nombre d’armes en possession des citoyens américains. Les chiffres sont effectivement impressionnants : il y a 300 millions d’armes pour 330 millions d’Américains, soit près de 90 armes pour 100 habitants contre 15 en France. En revanche, la disparité des taux entre les Etats montre que le lien n’est pas mécanique entre les armes et les tueries. Leur possession est souvent liée au contexte géographique, à l’isolement, et à la pratique de la chasse. Le taux le plus élevé est celui de l’Alaska, et c’est dans les Etats du Nord-Est, les plus urbanisés qu’on trouve les plus faibles. L’Ohio où 20% des ménages possèdent une arme fait partie des Etats les moins enclins à la détention. C’est donc moins le nombre des armes que la personnalité du détenteur qui est en cause. La suggestion du Président Trump selon laquelle la présence d’un homme armé et capable de réagir aurait pu limiter le nombre des victimes au Bataclan, avait paru grotesque, voire monstrueuse. C’est cependant la rapidité de la riposte armée qui réduit le nombre des morts, à Dayton,… ou à Marseille, quand les militaires ont abattu un terroriste à la Gare Saint Charles. La possession et l’utilisation des armes sont, dans notre pays, à la fois très réglementées et fortement dissuadées, même pour ceux qui ont un port d’armes de service. Est-ce un facteur de sécurité quand des délinquants utilisent des armes de guerre dans des règlements de comptes, comme celui qui à Ollioules a coûté la vie à une passante ?

Ce n’est pas l’arme qui tue mais son utilisateur. Qu’il faille donc en contrôler la délivrance apparaît nécessaire. Le profil ou les antécédents d’un individu devraient servir de critères. Cela restreindrait le port d’armes aux Etats-Unis mais l’étendrait en France. L’augmentation des agressions et des meurtres à l’arme blanche ( 2/3 des vols avec violences) dans notre pays justifierait que davantage de Français soient armés. Mais les contextes sociologique et culturel jouent un rôle essentiel. Aux Etats-Unis, ceux, très nombreux, qui soutiennent la liberté du port d’armes ne sont pas seulement des Républicains soumis à la propagande et aux pressions de la « National Riffle Association ». Ils défendent un principe constitutionnel qui montre à quel point la mentalité américaine issue de l’histoire s’oppose à la française. Les Français appartiennent à un pays créé par un Etat. Celui-ci revendique le rôle de protecteur des individus et veut assurer le monopole de la sécurité. Aux Etats-Unis, la société a été construite du bas vers le haut, et l’Etat fédéral n’est lui-même que l’union des Etats fédérés. C’est la raison pour laquelle les Américains considèrent que la sécurité, la préservation de la liberté des individus, doivent être l’objet de la participation de tous. Le second amendement qui pose le principe du port d’armes lie d’ailleurs celui-ci à l’appartenance à une milice entre citoyens dans le but de garantir la sécurité de tous. On est là aux antipodes de la pensée française qui se méfie de la privatisation de la sécurité publique. Depuis, la Cour Suprême américaine a admis que la milice n’était pas une condition nécessaire et a fait du port d’armes un droit individuel quasi absolu, celui selon lequel toute personne doit pouvoir défendre son intégrité, sa famille et ses biens sans recourir à l’Etat.

Toutefois, cette opposition se trouve relativisée par une évolution qui n’est pas forcément un progrès. D’une part, la fiction et l’information, qui connaissent une diffusion sans cesse plus large et plus rapide habituent à la violence des deux côtés de l’Atlantique. Les scènes atroces de décapitations, au Moyen-Orient, ou plus récemment au Brésil, les films d’horreur à la portée de tous les regards, les jeux vidéo fondés sur la mort que l’on donne ou que l’on reçoit en un clic, forgent des mentalités nouvelles où la vie perd de sa réalité. Les fusillades de masse ( au moins 4 victimes) n’existaient pas avant les années 60 aux Etats-Unis. Il y en a eu 255 depuis le début de l’année ! D’autre part, la mondialisation et le nomadisme qu’elle encourage, multiplient les affrontements communautaires et les confrontations culturelles. Ici, c’est un enfant allemand qui est poussé sous un train par un réfugié érythréen, là c’est un Australien qui tire sur des musulmans dans deux mosquées de Nouvelle-Zélande. Ce ne sont pas les discours hostiles à l’immigration qui tuent, mais l’immigration elle-même, les frustrations et les antagonismes qu’elle suscite. Elle aussi doit être contrôlée ! Nombreux sont les facteurs qui suscitent l’anomie, l’absence de repères et de règles valables pour ceux qui « vivent « ensemble », « non plus côte à côte, mais face à face », comme le disait Gérard Collomb, dans un moment de lucidité. Prendre conscience de cette pente suicidaire, c’est quitter le doigt pour regarder enfin la lune…

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