La Lettonie : un petit pays courageux

La Lettonie vient de voter. La coalition des partis gouvernementaux « nationaux » a obtenu 59,5% contre 23,3% pour le Parti « Harmonie » qui porte les espoirs de la minorité russe et de l’extrême gauche lettone. Cette coalition, dirigée par une femme, le Premier ministre sortant Laimdota Straujuma, est assez disparate, allant du centre à l’extrême droite (l’Alliance nationale). Deux défis majeurs cimentent cette union improbable :

– D’une part, la crise économique traversée par le pays après 2008. Le PIB avait chuté de 17,7%. Le pays n’avait été sauvé de la faillite en décembre 2008 que par les prêts de 5,27 milliards de lats (7,05 milliards d’euros) accordés par le FMI et l’Union européenne. La politique de rigueur, l’une des plus sévères d’Europe, y a été appliquée : le gouvernement a effectué de sévères coupes budgétaires, diminué de 10% les pensions de retraite et réduit les aides sociales, le nombre des fonctionnaires et leurs rémunérations. Il a également augmenté l’impôt sur le revenu et la TVA de 3%. Aujourd’hui, la Lettonie a une croissance de 4,6%. Mais son taux de chômage, en forte baisse, reste élevé (8,6%). Riga vient d’adopter l’euro le 1er janvier 2014.

– D’autre part, la crise ukrainienne. Les Lettons ont pu établir des parallèles entre l’annexion des pays baltes par l’Union soviétique dans les années 1940 et celle de la Crimée par la Russie aujourd’hui. Plus encore, ils redoutent l’instrumentalisation de la minorité coloniale russe par le Kremlin. En raison du lourd passé du pays, aucun gouvernement n’a jamais inclus de parti politique représentant la minorité russe. Le Parti Harmonie, formé par les nomenklaturistes communistes reconvertis, se prétend de gauche et est affilié au Parti socialiste européen au sein du Parlement européen. Mais il est lié par un partenariat au parti russe poutinien Russie unie dont il est la déclinaison lettonne. Les fiefs du parti se situent là où la minorité russe est la plus importante, dans l’est du pays, et à Riga, la capitale, où résident encore les ex-fonctionnaires de l’appareil d’Etat colonial soviétique, et dont le maire est le chef du parti. En raison du lourd passé du pays, aucun gouvernement n’a jamais inclus de parti politique représentant la minorité russe.

Lors du dernier recensement avant la fin de l’URSS en 1989, les immigrés/colons russes représentaient 34% de la population en Lettonie. Trois autres ex-républiques soviétiques subissaient aussi une pression invasive importante: le Khazakstan avec 38% de Russes, l’Estonie voisine avec 30% et l’Ukraine avec 22% avec les conséquences que nous venons de voir.

Face à ce défi identitaire et même existentiel, la Lettonie n’a pas hésité. Après avoir recouvré son indépendance le 21 août 1991, elle a accordé la citoyenneté lettone uniquement aux personnes qui l’avaient avant le 17 juin 1940 (invasion russe) et à leurs descendants. Ceux qui ne remplissent pas ces conditions et ne possédent pas une autre citoyenneté sont des non-citoyens. Les non-citoyens n’ont pas besoin de permis de séjour pour vivre en Lettonie et ils ont certains droits sociaux liés à leur emploi. Mais ils n’ont pas le droit de vote et ne peuvent pas travailler comme fonctionnaires ni devenir juge, procureur, avocat, assistant d’avocat, notaire ou encore militaire. Ce sont des ex-citoyens soviétiques et leurs descendants, la quasi-totalité russes.

Suite à cette attitude patriotique intransigeante des gouvernements successifs, la proportion de Russes est tombée à 26,9% en 2011. Ils forment encore quelque 43% de la population à Riga. En 2000, quelque 9% des Russes ne connaissaient toujours pas la langue lettonne.
 En 2012, la statistique ethnique sur les détenus dans les prisons indiquait que sur 5 704 prisonniers, 2 519 sont Lettons (44%) et 2 410 Russes (42%). Rien de surprenant pour nous Français. Et en Lettonie, on ne peut pas nous faire le coup de la pauvreté des délinquants allogènes, puisque les Russes sont plutôt plus favorisés pécuniairement que les Lettons. Aux termes de l’article 4 de l’actuelle Constitution, adoptée en 1992, ainsi que de la Loi sur la langue d’État entrée en vigueur en 2000, le letton est aujourd’hui la seule langue officielle du pays. Cela n’a pas manqué de froisser Moscou et le ministère russe des Affaires étrangères a émis une protestation solennelle. En avril 2004, la Lettonie a adhéré à l’OTAN pour se prémunir contre toute initiative intempestive de la Troisième Rome ou de la Patrie du Prolétariat ou de son avatar actuel.

Les organisations internationales, notamment le Conseil de l’Europe et l’OSCE, contrariées par l’illégalité (en droit international) des décisions lettonnes créant plus d’un tiers d’apatrides n’ont eu de cesse de demander à la Lettonie d’accélérer le processus de naturalisation, notamment celle des plus de 60 ans et des personnes nées en Lettonie. Le gouvernement fit adopter une nouvelle loi sur la citoyenneté en juin 1994, modifiée en 1995, en 1997 puis en 1998. L’article 12 de la Loi sur la citoyenneté de 1998 oblige les personnes enregistrées dans le Registre des citoyens à « parler couramment le letton », à « connaître le texte de l’hymne national et l’histoire de la Lettonie », à signer « un avis de renonciation à leur ancienne nationalité » et à produire « une autorisation d’expatriation de la part de l’État de leur ancienne citoyenneté » (la Russie). En 2014, il y a encore 282 876 non-citoyens en Lettonie, soit 13,0 % de la population totale. Autrement dit, le petit pays balte a naturalisé environ la moitié des colons russes encore sur son territoire (14% de la population).

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10 Comments

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  • Jean Dutrueil , 8 octobre 2014 @ 9 h 59 min

    Très bon article bien synthétique, merci!

  • V_Parlier , 8 octobre 2014 @ 10 h 05 min

    C’est drôle, mais même avec ce ton qui tente de raconter positivement les choses, on perçoit très clairement que ce pays est un lieu où on ne voudrait surtout pas habiter. (Mais c’est dans l’UE, comble de l’hypocrisie des bisounours européistes). Je passe sur la routinière obsession contre les colons russes envahissants, propre à Mr Canonges. (Heureusement qu’il ne nous a pas resservi cet argument pour l’Ukraine, là où il aurait été une totale contre-vérité).

  • Pascal GANNAT , 8 octobre 2014 @ 10 h 23 min

    @ V Parlier
    Parce que vous, vous aimeriez que la population française soit composée de près de 24 % d’Anglais ou Allemands ou autres, avec plus de 40 % à Paris ?
    Ce serait bien un envahissement.
    Les Russes présents en Lettonie ont été des colons sous Staline, de même que la moitié des Russes vivant en Ukraine descendent des mêmes effets : grande famine, l’Holodomor provoquant la mort de près de 8 millions d’Ukrainiens en 5 ans, plus déportation des Tatars en Sibérie, cela a en effet donné aux Russes en Ukraine un poids qu’ils n’avaient pas avant le communisme. Le tout vec en plus la catastrophe de Tchernobyl, les centrales produisant de l’électricité pour la Russie (soit directement soit pour les entreprises russes implantées en Ukraine) ayant été judicieusement construites en Ukraine.
    Je me demande avec votre raisonnement d’ouverture massive à l’étranger ce que vous pensez de l’immigration de peuplement en France.

  • HuGo , 8 octobre 2014 @ 14 h 17 min

    La France aurait dû appliquer cela en remontant à la fin de la colonisation, mais devrait sans tarder appliquer le même principe avec les musulmans ……a contrario, non ? …et la France est en Union européenne !

  • V_Parlier , 8 octobre 2014 @ 14 h 37 min

    “Parce que vous, vous aimeriez que la population française soit composée de près de 24 % d’Anglais ou Allemands ou autres, avec plus de 40 % à Paris ?”

    Ben, Schengen ce n’est pas çà, à la base? Évidemment ils ne viendront pas parce-que les places sont déjà prises par d’autres communautés concurrentes, mais c’est un autre sujet. Ce n’est pas là que je voulais en venir.

    Premièrement, monsieur l’expert, l’Est de l’Ukraine a été peuplé de Russes depuis l’existence même de la Russie (un bon paquet de siècles), car c’était la Russie. Ces gens, qui ont subi les famines staliniennes comme les autres paysans d’URSS, sont ensuite devenus citoyens d’Ukraine en 1991. J’insiste et je maintiens donc, encore et encore face à ce bobard propagé par l’euromaïdan et la presse aux ordres puis répété par les ignorants: Non, les russophones d’Ukraine ne sont pas des colons, point barre. C’est clair comme 1+1=2. Ce sont les excités de Gallicie qui ne sont pas les “vrais” ukrainiens d’ailleurs, ceci dit en passant.

    Deuxièmement, étant donné que l’URSS a duré 70 ans, il est évident que ses citoyens, à l’origine de nationalités différentes, se sont déplacés partout. Il y a autant de citoyens russes d’aujourd’hui qui ont des origines d’autres pays de l’ex-URSS que l’inverse. Et si nos européistes se chargent de faire durer l’UE pendant 70 ans on peut s’attendre au même résultats: Une luxembourguisation de l’Europe entière. Certes, il y aura de sérieux problèmes car le Luxembourg est un village Potemkine du multiculturalisme, une ville remplie exclusivement du gratin européiste bien à l’abri du besoin. Dans un pays réel çà ne se passe pas ainsi. Il y aura donc de sérieux problèmes, mais ce ne sera pas de la faute des gens eux-mêmes!
    Enfin, j’approuve le fait que ceux qui veulent la citoyenneté lettone doivent parler Letton, mais je ne vois pas comment un pays membre de l’hypocrite UE peut officiellement reconnaître un statut de non-citoyen à une partie de sa population qui n’a probablement même plus la citoyenneté russe aujourd’hui. Bref, du grand n’importe quoi pour créer encore des problèmes et réclamer plus de sanctions et plus d’OTAN parce-que sinon il n’y aurait pas assez de problèmes dans le monde. Tout serait trop calme!

    Et puis, parfois il se passe aussi des trucs rigolos en Lettonie, comme çà par exemple: “La chaîne (russe) Zvezda avait déjà indiqué que l’envoyé spécial Maxime Gritsenko et le caméraman Viatcheslav Amelioutine sont arrivés en Estonie pour couvrir le rassemblement annuel des vétérans de la SS, prévu ce samedi. Les deux employés de la chaîne ont été arrêtés à l’aéroport de Tallinn”. Alors, si on n’assume pas ce n’est pas du jeux! En Ukraine on peut dire qu’au moins ils assument publiquement: http://www.youtube.com/watch?v=fGCNKNFy5Do .

  • V_Parlier , 8 octobre 2014 @ 14 h 44 min

    Erreur (avant qu’on me reprenne): Ce n’est pas la bonne citation à la fin, puisque çà se passe à Tallinn (en Estonie). La même fête existe en Lettonie et si je vous trouve un lien, il suivra…

  • V_Parlier , 8 octobre 2014 @ 14 h 47 min

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