Tenez bon, Monsieur Schäuble !

Dans cette fausse tragédie grecque où l’on cherche à nous extraire des larmes en publiant des photos de files d’attente devant les banques, un homme semble avoir pris, plus que les autres, le parti du réalisme. Il est ministre des Finances allemand depuis 2009 ; il s’appelle Wolfgang Schäuble.

Cet homme symbolise la rigueur toute germanique dont les caricaturistes sont si friands. Il demeure très attaché à sa foi protestante, religion exigeante qui valorise l’effort, le travail et l’obéissance à la règle, au prix de la souffrance s’il le faut. Ce n’est ainsi pas un hasard si Schäuble ne s’est jamais laissé abattre par les épreuves, tant lors de l’attentat de 1990 qui le clouât dans un fauteuil roulant pour le reste de ses jours que lors de sa mise en cause dans le scandale des caisses noires de la CDU qui ruina ses espoirs de devenir chancelier ou encore lors de son échec à la présidence fédérale en 2004.

Pour mieux comprendre Wolfgang Schaüble et sa vision du dossier grec, il faut savoir que l’homme accorde une grande importance à la démocratie libérale en politique et à la culture de la stabilité en économie. Détestant de ce fait les extrêmes, il n’a jamais apprécié Syriza.

Économiquement, Schäuble appartient au courant ordolibéral, directement influencé par l’ancien chancelier Ludwig Erhard. Cette pensée est fondée sur un marché encadré par des règles définies par le politique, mais libéré de toute influence politique. Ce marché ordonné (Ordnungpolitik) repose sur deux fondements. Il y a d’abord l’Etat économe afin de ne pas perturber l’ordre logique du marché. L’Etat n’est jamais une solution, c’est un cadre. La solution vient du marché. Ce n’est ainsi par un hasard si Schäuble s’était fixé comme objectif de faire voter le premier budget fédéral en équilibre depuis 1969. Après plusieurs années d’effort, c’est chose faîte cette année. Il y a ensuite la conformité au contrat qui inclut le respect des traités et des créanciers. Autant dire que le cas grec heurte de plein fouet les convictions du ministre allemand des Finances.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, Merkel et Schäubel ne sont pas sur la même ligne politique. La chancelière n’est pas vraiment ordolibérale et jusqu’à présent, elle a considéré qu’il fallait sauver l’euro à tout prix et donc éviter un Grexit. A chaque fois que l’Allemagne a cédé face à la Grèce, c’est elle qui fut à la manœuvre tout en cherchant à ménager son ministre des Finances dont elle ne peut se passer compte tenu de sa popularité dans l’opinion et surtout dans les rangs de la CDU. Schäuble, par loyauté, s’est systématiquement rangé derrière la chancelière sans pour autant perdre son désir de sortir la Grèce de la zone euro. Ce sentiment s’est d’autant plus renforcé que sa méthode (ajustements structurels et consolidation accélérée des budgets) s’est imposée dans tous les autres pays en crise (Espagne, Portugal et Irlande) avec les succès que l’on connait désormais. Ainsi, seule la Grèce lui résiste et pour lui, cet échec ne peut être que le fruit d’un refus de la réforme par les Grecs… pas d’un échec de sa pensée.

Sur ce point, Schäuble a partiellement raison. Partiellement, car la Grèce a vécu dans une telle gabegie que les mesures prises à partir de 2009 ne pouvaient suffire. Ainsi, il n’y a jamais eu d’austérité en Grèce mais un simple retour à la normalité ! Bien sûr cette phrase fera pousser des cris d’orfraie à beaucoup, mais quelques chiffres leur permettront de saisir une réalité malheureusement tant masquée par nombre de dirigeants et médias.

En plus d’une réduction de dette de 100 Mds d’euros, la Grèce a perçu depuis le début de la crise 260 Mds d’euros de prêts essentiellement assumés par les autres pays de la zone euro, autrement dit des pays pour certains moins riches. Faut-il ainsi rappeler que le SMIC grec s’établit à 684 euros contre 357 euros en Slovaquie, 360 euros en Lettonie et même 590 euros au Portugal. Puis les Grecs ne sont pas tant à plaindre que cela quand on sait que leur patrimoine médian net (c’est-à-dire le patrimoine brut auquel est retranchée la dette), porté par l’important taux de propriétaire, s’établit à 101 900 euros par habitant contre 51 400 euros en Allemagne, 61 200 euros en Slovaquie, 75 200 euros au Portugal, 76 400 euros en Autriche ou 109 200 euros en moyenne au sein de toute la zone euro. En termes d’actifs financiers moyens (hors retraites publiques et elles sont généreuses au pays du sirtaki) et donc en éliminant cet effet propriété foncière, le Grec, avec 4 400 euros, est certes moins bien loti mais reste devant le Portugais, le Slovaque et le Slovène… qui continuent de payer pour lui !

Surtout, si Tsipras estime que la Grèce est devenu « un laboratoire d’austérité », on peut dire qu’entre 2002 (après l’entrée de la Grèce dans la zone euro qui lui permit de bénéficier de taux très bas pour financer sa dette) et 2008 (début de la crise), la Grèce fut un laboratoire d’open bar géant de la dépense publique, avec un niveau passé de 70 Mds d’euros courants à 122 Mds d’euros courants, soit une croissance de +74% en six ans ! Résultat, malgré un taux de croissance annuel moyen du PIB atteignant +3,5% sur cette période, la dette grecque s’est accrue de 11 points à 112,9% du PIB en 2008. Il fallait bien financer la hausse vertigineuse de +70% du salaire par tête des agents publics entre 1999 et 2009, mais également les embauches massives de fonctionnaires dont le nombre s’est accru de quasiment +30% sur la même période.

Rattrapée par la crise en 2009, la Grèce enregistre cette année-là une contraction de son PIB de -4,4%. Mais les dépenses publiques continuent de filer avec une croissance de +5% et la dette se met mécaniquement à exploser passant à 129,7% du PIB fin 2009. Ce n’est qu’à partir de ce moment que la Grèce entame un retour à la normalité, retour qui pour autant place le pays encore loin de sa situation de pré-gabegie.

Alors oui Monsieur Schäuble, tenez bon ! Il est plus que temps d’arrêter les frais. Soit les Grecs poursuivent ce retour à la normalité sans geindre à tout bout de champ et en remerciant les contribuables européens de leur permettre de survivre. Soit les créanciers sont des méchants et dans ce cas, libres aux Grecs de s’en séparer.

Monsieur Schäuble, j’ai un dernier vœu. Pourriez-vous dispenser un cours de finance publique à Sapin, Hollande, Juppé, Sarkozy, Mélenchon, Philippot & Co… et à tous nos brillants énarques qui pullulent dans les ministères ? Vous pourriez aussi faire une petite place à Piketty, Stiglitz et Krugman qui ont besoin d’une sérieuse remise à niveau. Il faudrait leur expliquer deux choses. Primo, on ne peut pas éternellement dépenser plus qu’on ne gagne. Deuxio, l’argent public ne pousse pas sur les arbres, il est le fruit du travail des citoyens. En fait non, le plus simple serait que vous fassiez le boulot vous-même, ils sont irrécupérables !

> Henri Dubreuil est diplômé en économie et en finance.

Related Articles

24 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Frederick Kent , 9 juillet 2015 @ 2 h 18 min

    Quand l’immense Dubreuil Henri, “diplômé en finance et en économie”, implore du ministre Schäuble la “remise à niveau” des cancres Stiglitz, Krugman et Piketty, c’est au sien que l’on tombe, c’est-à-dire à l’étiage… Ou alors Dubreuil Henri est titulaire d’une chaire au Collège de ‘Pataphysique, et ses leçons doivent s’intercaler entre la Crocodilologie et les Travaux pratiques de Belge…

    A noter, au passage, combien la statistique est un puissant agent de refoulement en même temps que de mensonge.

  • Pupuce , 9 juillet 2015 @ 6 h 50 min

    Merci Mr Dubreuil d’éclairer la lanterne de beaucoup d’incultes en économie. Les Français empruntent pour des Grecs qui ne veulent rien rembourser et qui en redemandent . Notre argent provient d’un endettement de la France qui elle , on l’espère remboursera ses créanciers. C’est commode et indigne pour Mr Tsipras et consorts de dire”on ne peut pas rembourser”.
    Monsieur Kent avant d’être aussi méprisant pour celui qui ne pense comme vous , renseignez vous sérieusement!

  • KIKI , 9 juillet 2015 @ 7 h 07 min

    Henri Dubreuil bravo pour ceyye analyse, il est dommage qu’elle ne soit diffusée qu’en comité restraint

  • lors , 9 juillet 2015 @ 7 h 43 min

    et vous vous feriez bien de lire B BERTEZ C GAVE d ANTRAIGUES WERREBROUCK A COTTA BERTHU GIREAUD etc …

  • Romain , 9 juillet 2015 @ 9 h 28 min

    Ah ben oui acceptons le diktat de Bruxelles et des euromondialistes tant qu’à faire! C’est marrant cette façon d’accuser la Grèce, et au-delà le peuple grec, de tous les maux sans désigner la banque qui a aidé au trucage des comptes publiques de l’époque: Goldman Sachs, en partenariat avec le gouvernement libéral de l’époque…
    Article donc pathétique, c’est une commande peut-être?

    Pour la réalité de la dette, qu’elle soit grecque ou française, je vous invite à voir cette vidéo:
    https://www.youtube.com/watch?v=dbSNBhkbbQw

  • Nicolas , 9 juillet 2015 @ 11 h 20 min

    Les Francais n’ont jamais “emprunté” pour les grecs. Les français ont emprunté pour sauver les banques allemandes et françaises . Ça les regarde. Les élus n’ayant pas de mandat impératif et le peuple français n’étant pas consulté par référendum (quand il l’est, il “vote mal” et on s’assoit sur son vote) on est obligé de dire “la France” quand un élu prend des décisions en son nom. Nul n’ignore plus que 90% de l’aide est allé aux banques, l’état grec ne recueillant que 10%. Avec ces 10%, les gouvernants corrompus ont acheté des armements inutiles (France/Allemagne) et obsolètes , ont fait construire des routes et des ponts qui n’arrivent nulle part (Allemagne /France) si ça fait rire les journalistes, moi, pas trop, et se sont servis des rétro-commissions royales. Et tout ça sous la troïka.

  • Antoine , 9 juillet 2015 @ 11 h 29 min

    N’est-ce pas ce ministre qui voulait réformer la France de force sans passer par ses représentants ? Si maintenant on approuve ses ingérences dans les affaires des autres pays et ses volontés de déni démocratique alors je ne réponds plus de rien.

Comments are closed.