La démocratie n’a pas avancé dans le monde, elle recule. (III)

La chute du mur de Berlin apparaît comme l’événement le plus important de la fin du XXe siècle. En 1945, le totalitarisme nazi écrasé avec l’aide du totalitarisme communiste, avait laissé le monde divisé en deux camps. L’effondrement de l’empire soviétique consacrait apparemment la victoire des démocraties libérales. Celle-ci reposait sur une triple illusion. D’abord, les combattants qui avaient fait reculer les soviétiques en Afghanistan étaient certes armés par les Occidentaux, mais ils étaient animés par des idées et des croyances aux antipodes des valeurs de l’Occident. Le réveil du fanatisme islamique et le terrorisme étaient en germe dans cette victoire. Ensuite, l’Ouest avait gagné économiquement, non politiquement. Comme le pensait Deng Xiaoping, « peu importe qu’un chat soit noir ou blanc. S’il attrape les souris, c’est un bon chat ». Le capitalisme était un meilleur chat que le communisme puisqu’il créait plus de richesses et de croissance. La Chine est depuis devenue la seconde puissance économique du globe, et la foule des Chinois qui sont revenus à Paris, cette année, témoigne de l’augmentation de leur niveau de vie. Pour autant, la Chine est toujours un Etat totalitaire dominé par un parti unique qui se dit communiste et héritier de Mao. Enfin, deux avancées démocratiques paraissaient irréversibles : la conversion à la démocratie libérale des pays libérés du communisme à l’Est de l’Europe et la fin des régimes non-démocratiques qui appartenaient au système d’endiguement du communisme. Leur disparition amorcée dans les années 1970, s’est amplifiée dans les deux décennies suivantes comme si la fin du bloc communiste s’intégrait à un vaste mouvement de démocratisation qui pouvait d’autant plus se développer que l’ennemi était terrassé. Ce phénomène toucha l’Asie, notamment au Sud-Est, l’Amérique latine, et l’Afrique, avec la fin de l’Apartheid en Afrique du sud. Mais, au-delà des apparences, ces progrès cachaient le mal profond qui gangrenait les populations des plus vieilles démocraties. La consommation, le « toujours plus », avaient supplanté les valeurs qui animaient l’esprit des démocraties naissantes, l’aspiration à la liberté, l’exigence d’égalité et l’attachement patriotique à la nation qui fonde la souveraineté populaire, l’autonomie de la communauté des citoyens, le socle concret du système.

Depuis, l’illusion s’est dissipée. Si l’on met à part les pays du nord-est de l’Europe qui goûtent la liberté retrouvée après un demi-siècle de servitude et donnent parfois une leçon aux Européens dans ce domaine, comme les Polonais ou les Hongrois, par exemple, le tableau est sombre. Les vieilles démocraties dysfonctionnent. Les nouvelles oscillent entre le retour des hommes forts et la corruption, sans exclure le cumul des deux. A quoi tient le dysfonctionnement des démocraties de longue date ? A trois phénomènes qui touchent particulièrement notre pays. D’abord, l’essoufflement économique des vieux pays industriels au profit des pays émergents a fait passer l’optimisme des « 30 glorieuses », ou des miracles économiques de l’après-guerre, dans d’autres Etats qui ne sont pas nécessairement des démocraties, la Chine par exemple. En revanche, et l’élection de Donald Trump en témoigne, les déceptions s’accumulent dans les pays développés. Le pouvoir d’achat stagne en moyenne. Les inégalités s’accroissent. La possibilité de satisfaire des désirs superflus et parfois démesurés pour les uns se heurte à la pauvreté des autres, frustrés de ne pouvoir répondre à leurs besoins élémentaires. Face à cela, les gouvernements, usent de moyens qui fissurent le principal pilier de la démocratie libérale, qui est la liberté. Soit ils augmentent les transferts sociaux et les prélèvements destinés à les financer. Soit ils font glisser la notion de progrès vers des sujets sociétaux marginaux qui privent les majorités de leur pouvoir au profit des minorités. Le résultat est de créer de multiples obligations ou interdictions superflues qui portent atteinte à la liberté de penser. Qu’est-ce qu’une démocratie qui instaure une police de la pensée et envoie des citoyens devant des tribunaux parce qu’ils ne sont pas politiquement corrects ? En second lieu, la participation citoyenne reflue parce que les pouvoirs se détachent de la base qui légitime leur action. Un microcosme éloigné de la vraie vie et des vraies gens dirige, la population se désintéresse. Elle ignore ses élus les plus directs et subit des enthousiasmes passagers au gré des faiseurs d’opinions. Enfin, deux fondements de la démocratie s’affaiblissent : la souveraineté des peuples, désormais soumis à des organisations, des traités, des contraintes juridiques qu’ils n’ont pas choisis ; l’identité nationale qui fait qu’il y a une communauté, un peuple capable d’exprimer une volonté nationale. L’immigration et la formation de communautés étrangères qui ne s’intègrent pas à la nation amplifient l’amertume citoyenne. L’anémie démographique accentue les risques.

Par ailleurs, tandis que les dirigeants des vieilles démocraties voient leur pouvoir contesté et parfois bafoué, comme c’est le cas de Donald Trump que l’Establishment tente de paralyser voire d’éliminer, des hommes forts apparaissent ici et là qui semblent mettre un terme au mirage des années 1990. Au Rwanda le Président Kagamé vient d’être réélu pour un 3ème mandat avec 98% des suffrages. Aux Philippines, règne le Président Duterte, aux méthodes expéditives. Fort d’une croissance de 7% par an, le dirigeant philippin se consacre aux guerres qu’il mène contre les communistes, les islamistes et les trafiquants, sans se soucier beaucoup de la légalité. En Turquie, Erdogan a saisi l’occasion d’un coup d’Etat, étrangement maladroit contre lui, pour accroître un pouvoir sans partage. Le pays musulman qui, depuis Atatürk, apparaissait comme le plus attaché à la laïcité, le plus apte à copier le modèle des démocraties occidentales, au point que certains lui ouvraient les portes de l’Union Européenne, devient le vecteur d’une idéologie mêlant nationalisme et islamisme. Or, ce dernier a remplacé le communisme comme principal ennemi des démocraties. Le marxisme-léninisme n’est, d’ailleurs, pas mort : il survit sous des formes exotiques avec Kim-Jung-Un en Corée du Nord, que Duterte vient de traiter de « fils-de -pute qui pourrait ravager l’extrême-Orient avec ses jouets atomiques ». En Amérique du Sud, le chavisme survit avec Maduro, qui apparaît chaque jour davantage comme un dictateur. Il offre l’intérêt de rappeler le tropisme pervers des intellectuels de gauche français pour les despotismes tropicaux, à la fois sanglants pour les opposants et ruineux pour les peuples, à Caracas comme à la Havane. Pinochet qui a laissé un bilan économique flatteur n’avait pas bénéficié de cet hommage, mais au contraire fait l’objet d’une diabolisation systématique. Vladimir Poutine, cet autre homme à poigne ne jouit pas non plus d’une image très favorable dans nos médias. Il n’en reste pas moins qu’il suscite l’admiration de tous ceux qui pensent qu’un Chef d’Etat qui a restauré la dignité de son pays, remis de l’ordre à l’intérieur, et rétabli l’influence voire la puissance à l’extérieur, remplit mieux sa mission qu’un politicien paralysé par les contre-pouvoirs et condamné à l’inertie. Souvent celle-ci provient moins du système que de la veulerie ou de la corruption du marécage politique. Le Brésil, l’un des grands espoirs démocratiques de la fin du XXème siècle, offre aujourd’hui un bien triste spectacle, avec la succession des scandales qui ont touché ses trois derniers Chefs d’Etat. De même, en Afrique du Sud, l’icône Mandela a des successeurs, Mbeki et Zuma, poussés vers la sortie pour avoir fait un usage par trop personnel du pouvoir.

Nous pourrions poursuivre ce tour de la planète consacré à la situation de la démocratie dans le monde. La suisse et ses « votations » d’initiative populaire y conserveraient la meilleure place. Les reculs sont nombreux. Quelques progrès subsistent. La France n’est, à l’évidence, pas parmi les nations qui ont progressé.

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3 Comments

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  • Pascal , 10 août 2017 @ 8 h 20 min

    Contrairement a l’Allemagne nazie, l’URSS n’a pas été défaite. Par une remise en question radicale des postulats de base les dirigeants de l’URSS ont mis fin eux-mêmes à la parenthèse « communiste ». Cette contradiction interne entre les objectifs et la réalité n’existait pas dans le nazisme.

  • Pascal , 10 août 2017 @ 11 h 06 min

    la condition nécessaire à l’exercice de la démocratie est l’existence d’une importante classe moyenne éduquée. Or avec le fin de l’URSS et donc l’écartement du danger communiste, l’Ouest a considéré qu’il n’y avait plus d’intérêt au maintien d’une classe moyenne. Effondrement du niveau scolaire, disparition de la classe moyenne et post-démocratie vont de pair. Et l’islam, la chose la plus inégalitaire, la plus totalitaire, la plus obscurantiste qui soit sied à cette Europe post-démocratique.

  • Dabilly , 11 août 2017 @ 9 h 39 min

    A.t.on besoin de legalite pour combattre des poisons mortels comme l’islam..isme le communisme ou la drogue. ( voir Dutertre )
    En France plus de 60% des citoyens sont contre l’invasion migratoire, pourtant 95% des médias et 90% des pouvoirs sont farouchement pour. Démocratie. Malade. ,?
    En Chine ,ou je vis ,vous demandez aux gens s’ils sont pour le gouvernement .POUR à
    80%. Illusion de démocratie. Un gouvernement qui défend son peuple !

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