Le jeu malsain de l’État et des hôpitaux

On le sait : l’État, toujours donneur de leçon, toujours prompt à réclamer son dû, est en revanche fort mauvais payeur. Aujourd’hui, au travers d’un témoignage de lecteur (que je remercie au passage), je vous propose de découvrir un nouvel exemple de cette très mauvaise habitude.

Le contexte qui nous occupe est celui des établissements de soins publics, les hôpitaux donc, et plus particulièrement, les relations qu’ils nouent (ou, comme on va le voir, qu’ils maltraitent) avec les mutuelles et les compagnies d’assurances. Ces dernières, pour des raisons techniques, opérationnelles et de rationalisation de coûts, sous-traitent la gestion des facturations que les hôpitaux leur font parvenir.

En pratique, il n’existe en France que quelques sous-traitants dont le travail consiste donc à gérer, pour le compte des mutuelles et des compagnies d’assurances, les rapports entre les professionnels de santé, les assurés et les assureurs, ainsi qu’à organiser et réaliser les paiements de ces professionnels de santé pour le compte des assureurs. Modernité du siècle oblige, l’ensemble est maintenant largement numérisé et des armées de développeurs informatiques ont réalisés des applications qui automatisent largement ces pénibles transactions.

Cependant, dans le cas spécifique des centres hospitaliers, il y a comme un écart sensible entre la théorie et la pratique.

En théorie, un assuré qui bénéficie des service d’un hôpital peut, à un moment ou un autre, donner sa carte de mutuelle, afin de bénéficier de sa couverture. Dans ce cas, ce n’est pas la mutuelle mais son sous-traitant gestionnaire qui recevra la facture émise par l’hôpital. Toujours en théorie, cette facture est bien évidemment vérifiée avant son paiement, comme pour n’importe quel professionnel de santé. Ensuite, la facture est payée, et tout le monde est content. Ici, les uns tombent dans les bras des autres, des cris de joie sont échangés, c’est magnifique, c’est super. La théorie, ça roxxe.

En pratique, les choses prennent une tournure une peu plus distrayante.

En effet, le service public dont peut s’enorgueillir la société française n’est malheureusement pas toujours au plus haut de sa forme. Il lui arrive parfois de faire quelques boulettes et les administrés en savent quelque chose. Avec les facturations de mutuelles, c’est malheureusement aussi le cas : si en théorie, le centre hospitalier envoie une facture correcte pour se faire payer par la mutuelle du patient, il est en pratique extrêmement fréquent que ce centre hospitalier facture alors que la mutuelle de l’assuré n’est pas cliente chez le sous-traitant qui la reçoit, que la prestation n’est pas la bonne ou que le centre hospitalier fraude tente des voies alternatives de facturation (comme facturer systématiquement une chambre double alors qu’il n’y avait qu’une chambre simple – exemple au hasard, et malheureusement sport très prisé, il n’y a pas de petits profits).

La facture reçue, le gestionnaire pour compte d’assureur complémentaire la lit, la vérifie, l’analyse, l’ausculte et comprend qu’il y a comme des petits soucis, et informe alors le centre hospitalier que non, non, non, nous ne paierons pas parce que faut pas pousser, il y a erreur sur la marchandise et reprenez-vous que diable ! (Je brode, je pense que vous saisissez l’idée) Retour à l’envoyeur, donc.

La balle étant revenue dans le camp du service public dont — pour rappel — la société française s’enorgueillit avec moult superlatifs et une bonne louchée d’impôts festifs et citoyens pour faire bonne mesure, on peut logiquement s’attendre à de nouvelles boulettes qui forment pour ainsi dire la colonne vertébrale du travail d’équipe dans ces administrations. Ce qui doit arriver arrive alors inévitablement : l’information du rejet n’est pas traitée par le centre hospitalier, évidemment débordé. Quelques mois s’écoulent alors.

Un petit matin frais, le trésorier du centre hospitalier — appelons-le Richard, pour faire simple — est tranquillement en train de prendre son café lorsque, soudain, il se rend compte que la facture en question n’a pas été réglée par le méchant gestionnaire. Sapristi de saperlipopette, cela ne se peut pas ! Il en va de la bonne santé financière de l’établissement que Richard gère (séparation des fonctions oblige), et n’écoutant alors que son sens des finances publiques, Richard émet sans plus attendre quelques cris gutturaux et une Opposition à Tiers Détenteur (OTD). Fini de rire : magie des pouvoirs publics et de la coercition dévolue à l’État, ses administrations et ses sbires, cette OTD va permettre à l’État de se payer tout seul comme un grand en prenant directement l’argent sur le compte bancaire du gestionnaire sans qu’il puisse s’y opposer.

Et hop. Facile, la vie, non ?

À l’heure où ces lignes sont écrites, le principal gestionnaire français, le plus gros payeur des hôpitaux en France pour la part complémentaire, qui représente 400 personnes et environ 60M€ de chiffre d’affaires, se retrouve avec un trou de 1,2 millions d’euros, récupérés par des établissements suite à une OTD pour couvrir l’émission d’une facture erronée.

Bien évidemment, le gestionnaire ponctionné tente régulièrement de discuter un peu avec les hôpitaux et les trésoreries et parfois, ça marche. Mais la plupart du temps, ça ne marche pas et sur le plan du droit, le gestionnaire a ensuite toute latitude pour se retourner contre l’établissement indélicat qui finalement s’est payé pour une facture qu’il n’aurait jamais dû émettre. C’est donc la phase « Tribunal administratif », pénible s’il en est. Pour le gestionnaire évoqué au paragraphe précédent, cela représente une vingtaine de procédures engagées depuis deux ans. Au passage, on peut noter que sur les 4 jugements rendus en 2015, les 4 sont en faveur du gestionnaire et condamnant les centres hospitaliers à la restitution des sommes ainsi qu’à des pénalités et frais de justice. On peut en rire, jusqu’au moment où on se rappelle que ces pénalités et ces frais sont payés par l’État, c’est-à-dire… vous.

Au passage, on peut noter cette recrudescence des OTD sur les trois dernières années puisqu’avant les hôpitaux ne faisaient que très rarement des OTD. Or, le cas d’un des plus grands centres hospitaliers du sud est intéressant en ce qu’il est un faiseur de n’importe quoi assez régulier dans son faisage de n’importe quoi, mais qu’il avait jusqu’à présent le bon goût d’assumer son n’importe quoi avec une décontraction toute méridionale, et ne faisait pas délivrer d’OTD.

Les finances étant ce qu’elles sont (ou ne sont plus, disons), son gentil administrateur a cependant changé son fusil d’épaule et c’est ainsi que, pour reprendre le cas maintenant illustratif du principal gestionnaire pour compte d’assureur, ce dernier vient de se faire délivrer pour 250.000€ de telles OTD sur les six dernières semaines. Questionné sur le pourquoi d’une telle avalanche, l’administrateur expliquera :

« J’ai reçu des ordres, il faut faire rentrer de l’argent par tous les moyens, or je dispose de cet outil donc je l’utilise. »

Et paf. Rappelé que ceci entraînera l’assignation en justice de l’hôpital dont il a la charge, avec frais et condamnation aux dépens, il répond toutefois que pendant ce temps là, l’argent est chez lui. Et toc.

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes socialistes où les finances commencent à s’étioler. Les mesures prises semblent à la fois s’inscrire dans la durée et portées par le bon sens ; entre les frais supplémentaires qu’elles entraînent qui appauvrit encore le contribuable et les trous de trésorerie qui vont, un beau matin, provoquer la faillite des gestionnaires, il semble évident que tout ceci va très bien se terminer.

> H16 anime un blog.

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5 Comments

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  • 0 / 10
  • Annie , 9 novembre 2015 @ 12 h 59 min

    Plus rien ne m etonne les esprits maffieux sont partout

  • queniartpascal , 9 novembre 2015 @ 13 h 01 min

    les impôts mettent 1 an a régler les pharmacies est-ce normal vu qu’ils arrivent a se faire régler de suite

  • Trahi , 9 novembre 2015 @ 13 h 06 min

    A partir du 9 novembre, la France aura dépensé toutes ses recettes et vivra donc à crédit jusqu’à la fin de l’année, selon l’Institut Molinari. La formule est frappante, mais attention aux raccourcis.
    Le think tank libéral Institut Molinari a trouvé un bon moyen de communiquer sur le problème de la dette et du déficit français. Dans une étude comparative des 28 pays de l’Union européenne, il a mesuré de manière théorique le jour à partir duquel les États avaient épuisé toutes leurs recettes annuelles et commençaient à vivre à crédit. Ce travail a été effectué à partir des dernières données annuelles d’Eurostat.

    En fait, il revient à faire une règle de trois, pour calculer à combien de jours correspond la différence entre les dépenses et les recettes. Pour la France, c’est 53 jours. Ce qui place l’Hexagone parmi les mauvais élèves européens (le dernier quart, en matière d’équilibre budgétaire). Seuls l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, la Croatie, Chypre et la Bulgarie font pire. A contrario, l’Allemagne, le Danemark, l’Estonie et la Lituanie dégagent suffisamment de recettes et contiennent suffisamment leurs dépenses pour tenir toute l’année sans emprunter.

    “Une vraie bombe à retardement”

  • Laurent , 9 novembre 2015 @ 19 h 00 min

    Je ne sais pas trop quelle est la pire des situations. L’actuelle, où il y a passage en force pour les hôpitaux pour récupérer de l’argent qu’ils devraient toucher mais le font mal; ou l’ancienne, où les factures ne sont pas réglées.

    Mon coeur balance…

  • Gisèle , 10 novembre 2015 @ 17 h 55 min

    Et la dette de l’Algérie ?
    Oubliée celle là ?

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