La pièce d’un trillion de dollars

L’histoire de la pièce magique remonte à l’été 2011, alors que l’administration Obama tentait d’exécuter un budget déficitaire de 1,5 trillion de dollars et que le debt ceiling (littéralement le « plafond de la dette »), le montant maximum de dette que le département du Trésor est autorisé à émettre (1), était déjà atteint (14,3 trillions (2) de dollars à l’époque). Le gouvernement des États-Unis était alors dans une impasse ubuesque : le Congrès refusait d’accorder au Président Obama les moyens de financer sa politique tandis que ce dernier exécutait le budget en avertissant qui voulait bien l’entendre qu’à défaut de rehaussement du plafond, les États-Unis d’Amérique risquaient de se retrouver en situation de cessation de paiement.

Début août 2011, un accord fut finalement trouvé et l’administration en place parvint à négocier une élévation du fameux plafond en l’échange de coupes budgétaires programmées en 2013 ; lesquelles, concomitantes avec la fin des allègements fiscaux hérités de l’ère George W. Bush, ont donné naissance au feuilleton de ce mois de décembre : le non-moins fameux fiscal cliff. Mais cette crise a eu un autre effet remarquable : celui de stimuler la production d’idées destinées à permettre à l’exécutif américain de contourner purement et simplement l’écueil du debt ceiling. C’est à cette occasion, dans un simple commentaire sur un blog d’économie, qu’est née la One-Trillion-Dollar Coin, la pièce à un trillion de dollars.

La pièce magique

L’idée consiste à contourner le plafond de la dette en exploitant une faille de la législation américaine – plus précisément, le United States Code, titre 31, section 5112 – qui dispose que (k) le département du Trésor peut émettre des pièces de platine de n’importe quelle valeur faciale et que (h) les pièces ainsi créées ont cours légal aux États-Unis. En théorie, le Trésor pourrait donc frapper une pièce d’une once de platine avec une valeur faciale d’un trillion de dollars, la déposer sur son compte auprès de la Réserve Fédérale et disposer ainsi d’un trillion de dollars sans émettre le moindre cent de dette supplémentaire. C’est aussi simple que ça.

Or, le plafond de la dette fixé à 16,39 trillions depuis le 30 janvier 2012 (c’est-à-dire plus de 100% du PIB) étant désormais atteint, cette idée revient avec insistance sur le devant de la scène et semble même être prise très au sérieux jusque dans les couloirs de la Maison Blanche. Selon ses nombreux défenseurs, elle est légale au sens où aucune loi en vigueur aux États-Unis ne s’y oppose et elle pourrait fonctionner ; c’est-à-dire qu’elle pourrait permettre au département du Trésor de se débarrasser effectivement de la contrainte du debt ceiling ; c’est-à-dire de passer outre le Congrès des États-Unis.

Sorcellerie monétaire

Si cette solution est bien légale, on est tout de même en droit de s’interroger sur le message qu’enverrait un gouvernement qui contourne ses propres lois et court-circuite le processus parlementaire. En revanche, d’un point de vue strictement économique et aussi rocambolesque qu’elle puisse paraître, il est très probable qu’elle puisse effectivement fonctionner et ce, sans effets inflationnistes puisque la Réserve Fédérale peut stériliser cette création de base monétaire en revendant une bonne partie de son portefeuille de bons du Trésor (1,7 trillion au 2 janvier 2013) – du moins, dans un premier temps.

Pourtant, ce faisant, le gouvernement des États-Unis créerait un précédent, un cas de jurisprudence qui officialiserait une situation tout à fait nouvelle et extrêmement dangereuse : il disposerait alors de l’équivalent d’une planche à billets. Mettons les choses en perspectives : avec 17 de ces pièces – soit un budget d’environ 27 000 dollars main d’œuvre comprise –, le département du Trésor pourrait racheter l’intégralité de la dette des États-Unis. Ou encore : la frappe d’un One-Trillion-Dollar Coin revient à échanger une once de platine (soit un peu plus de 31,1 grammes et $1 558,9 au cours actuel) contre 1 trillion de dollars. Cette « solution » ne relève pas de l’économie mais de la sorcellerie.

S’il est une leçon que l’histoire nous a apprise, c’est qu’un gouvernement – et, à plus forte raison, un gouvernement endetté – qui dispose d’un tel pouvoir en abusera tôt ou tard. La valeur de nos fiat monnaies modernes ne repose sur rien d’autre que sur la confiance que nous avons en leur pouvoir d’achat : en se dotant d’une capacité pratiquement infinie de financement de la dépense publique, c’est la crédibilité du dollar que le gouvernement des États-Unis mettrait en danger et, par la même occasion, l’intégralité du système financier mondial.

> le blog de Georges Kaplan

1. La plafond de la dette a été créé en 1917 ; tout au long du XXe siècle, il a été régulièrement réévalué à la hausse par le Congrès.
2. Par « trillion », j’entends mille milliards ; 1 suivi de douze zéros.

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5 Comments

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  • C.B. , 10 janvier 2013 @ 16 h 59 min
  • Goupille , 10 janvier 2013 @ 19 h 24 min

    Tout cela c’est de l’économie casino, des valeurs qui tournent à la nano-seconde.
    Nous sommes embarqués dans un système insane.
    Fallait pas abandonner l’étalon-or, ou les cauris.

  • Paul-Emic , 10 janvier 2013 @ 22 h 10 min

    En fouillant bien dans leur législation, peut-être pourraient-ils se contenter d’une pièce en aluminium ?
    En arriver à ce genre d’expédients montre bien dans quels abîmes est parvenue la finance mondiale.

  • Paul-Emic , 10 janvier 2013 @ 22 h 20 min

    peut-être mais qui peut empêcher quelqu’un qui détient des emprunts d’État de récupérer sa mise ? Elle n’a pas vocation à l’être mais elle peut l’être.

    Ce qui repose le problème dans les mêmes termes .

    On ne peut pas se permettre d’avoir une dette qui atteint ou dépasse le PNB et présenter en même temps un budget en déficit permanent c’est à dire augmenter la dette en permanence sauf à admettre de devenir à court terme les esclaves de nos créanciers.
    On le voit d’ailleurs avec le rôle et l’attitude que certains États comme le Qatar commencent à avoir.
    Autrefois ça se réglait par une dévaluation ou une superbe indifférence (cf la Russie dans le cas des emprunts russes), mais maintenant que nous sommes pieds et poings liées il faut passer à la caisse.

  • Luc Chartrand , 11 janvier 2013 @ 5 h 23 min

    Pas un trillion, mais 1000 milliards ou 1 billion.

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