Je ne suis pas “Charlie”, mais…

Je ne suis pas Charlie: je n’ai jamais eu d’admiration pour un journal, symbole d’une époque révolue aux transgressions parfois inouïes, qui a fini par devenir un organe de presse mondain et boboïsant, quoi que d’authentiques talents n’aient pas manqué (Cabu restera un bon dessinateur et Bernard Marris avait des analyses intéressantes matière économique): Dieu seul jugera !

Je ne suis pas Charlie, car son anticléricalisme grossier, loin de participer à une quelconque insurrection de la conscience ne faisait que donner de l’eau au moulin au conformisme le plus plat qui ne prend plus de risques. L’anticléricalisme, aujourd’hui, c’est un peu comme l’antisémitisme sans juifs; on utilise ainsi une poupée gonflable qui ne fera peur à personne. Qui transgresse sans peine n’a pas grand-chose à revendiquer…

Je ne suis pas Charlie, car sa provocation pouvait aussi parfois sonner comme une sorte de sauve-qui-peut pour un journal subissant des difficultés financières. Loin de dénoncer la société marchande et du marketing, Charlie Hebdo s’y coulait par réflexe de survie…

Mais…

En persistant dans sa volonté de ne pas se taire dans ses critiques de l’Islam, Charlie Hebdo empruntait une voie périlleuse qui a fini par lui coûter. Charlie a préféré continuer. On imagine les pressions, les recommandations, les avertissements polis et feutrés, les prises de distance pour demander à Charlie faire profil bas… Il n’en a rien été. Mais si Charlie avait obtempéré, c’est bien son ADN transgressif – ou ce qui lui en restait, car il a été largement atténué… – qui aurait été radicalement renié. Charlie Hebdo n’a pas voulu rejoindre la cohorte du conformisme, sous peine de se heurter à une contradiction intime. Il fallait bien rester logique. Charlie a alors suivi, depuis 2006, une démarche que beaucoup, à droite comme à gauche, évitaient. Si Charlie n’avait pas critiqué l’Islam, les mêmes qui haussent les épaules face à la tragédie subie auraient dénoncé la lâcheté et la partialité du journal… Il en est allé différemment: tout en critiquant les curés, Charlie a continué à rire de l’Islam, du Coran et du prophète… Mais aller jusqu’au bout de sa démarche c’est toujours, à un moment ou un autre, se heurter à des conséquences imprévues, voire violentes. Le dessinateur Wolinski l’avait, semble-t-il, pressenti.

Charlie Hebdo a rencontré brutalement les contradictions des sociétés molles et consensuelles qui, niant tout danger, finissent par mieux se heurter à sa réalité. Ce n’est pas un hasard que l’attentat ait touché, dans un quartier plutôt acquis au principe du multiculturalisme, un journal qui prisait peu les discours sur les civilisations, préférant les mettre dos à dos. Le seul hic est que Charlie a rencontré des hommes pour qui, manifestement, la séparation du bon grain et de l’ivraie doit être faite avant le Grand jugement, oubliant qu’il n’appartient qu’à Dieu, dont le Royaume n’est pas de ce monde… Charlie fait partie d’une société, certes sécularisée, qui a été marquée par la charité et la compassion, par une vague idée qu’il vaut mieux convertir le pécheur que souhaiter sa mort. Cette société n’était visiblement pas celle que prisaient les terroristes.

La séparation du bon grain et de l’ivraie ? Il serait justement dommage que des chrétiens se rallient à une analyse qui tend justement vouloir devancer la justice divine par des moyens purement humains et grossiers. Encore une fois, ce schéma explicatif tend à tomber dans la manie de l’explication rationnelle. Le mal, avant d’être cette explication logique et rationnelle – défaut d’un certain rationalisme et des démarches scientistes – est d’abord un mystère. Et aucune souffrance ne pourra être étrangère à un chrétien ou même à n’importe quel être humain.

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