Le dernier film présidentiel : Macron chez les Corses

La Corse a été pour M.Macron l’occasion d’une page exemplaire de communication millimétrée. Sur cette terre marquée à jamais par la naissance du personnage historique français sans doute le plus connu dans le monde, notre Jupiter-Narcisse a donné un spectacle politique cousu main dont on peut penser que Napoléon Bonaparte a été le génial précurseur au point de faire oublier que l’épopée, étincelante et jalonnée d’images et de discours, s’est terminée à Waterloo et à Sainte-Hélène… Chez Macron, vous supprimez la légende militaire, il reste les discours et les postures. En Corse, ce fut parfait : dignité, émotion, compassion entre Mme Erignac et Mme Colonna. L’irruption de cette dernière près du Président ne pouvait être fortuite, au-delà des cercles de protection, jusqu’au plus rapproché. Elle était un « incident » souhaité et préparé. Il a permis, tout en paraissant improvisé, d’équilibrer la posture présidentielle, entre distance et fermeté d’une part, et ouverture et empathie d’autre part. La mise en scène, comme d’habitude, fidèlement respectée par nos médias a été applaudie : 2/3 des Français ont approuvé l’attitude et les positions affichées par leur Président lors de son déplacement en Corse. Ils ont aimé la fermeté qui flatte leur notion de l’Etat comme l’absence de fermeture qui donne au détenteur du pouvoir une dimension plus humaine. Ils n’ont sans doute pas boudé leur plaisir à voir remis à leur place des Corses à leurs yeux déjà dotés de bien des avantages liés à la nature de leur île comme à la fiscalité généreuse octroyée au nom de son insularité. Le style macronien, ce mélange de hauteur et de proximité simulée, vise en particulier un électorat : le centre-droit. L’exercice est évidemment facilité par le souvenir des prédécesseurs. Hollande dialoguant à distance avec Leonarda, c’était un sketch qui avait définitivement fait perdre à l’occupant de l’Elysée les habits de sa fonction. La saynète d’anthologie entre la femme de Colonna, meurtrier condamné du Préfet Erignac, et Emmanuel Macron, était remarquable : d’un côté une femme éplorée venant défendre aux pieds du souverain la cause de son mari et la douleur de son jeune fils qui ne voit jamais son père, de l’autre, le bon prince, à l’écoute, sensible au drame humain, témoignant par une très longue poignée de mains, et par une attention particulière aux sentiments familiaux, sa bienveillance, mais sauvegardant sa fonction en rabrouant au passage un homme qui l’avait tutoyé. Le metteur en scène à ce moment s’est dit que s’il rejouait ce passage il intégrerait cette interruption si bien venue pour assurer l’équilibre. Le monarque devait écouter la femme mais ne rien lâcher à celui qui a tué un Préfet, un mari que son épouse a, elle, définitivement perdu.

De même, habilement, M.Macron a déçu très volontairement les autonomistes et autres nationalistes corses. Simeoni et Talamoni, sans doute grisés par leur succès électoral et par l’exemple catalan ont voulu jouer dans la cour des grands, et n’ont reçu que le plat de lentilles de la réforme constitutionnelle. L’analyse politique conduit en effet à minimiser la victoire du tandem. Elle demeure limitée par un taux d’abstention considérable et par le contexte déjà présent lors des législatives qui ont vu reculer en 2017 la droite classique et dynastique des Républicains et s’écrouler la gauche jumelle des radicaux. Peu avant, les Corses avaient placé Marine Le Pen en tête du premier tour des Présidentielles. C’est dire que l’électorat corse est très volatile et que la montée des nationalistes n’est en grande partie dans l’île qu’un phénomène identique à celui de LREM sur le continent, une envie profonde de « dégagisme », avant que les électeurs ne reviennent à leur paysage politique traditionnel mais épuré. Ils le feront quand la gestion « nationaliste » aura montré ses limites. La Corse n’est pas la Catalogne : elle ne représente que 1,5% du territoire métropolitain et 0,5% de sa population ; son PIB par habitant est largement en-dessous de la moyenne de celui des régions. Il y a moins de Corses que de Niçois. Si les nombreux corses qui sont élus ou fonctionnaires sur « le continent » peuvent parfois amener à se demander si ce n’est pas la Corse qui a colonisé la France, l’importance des dotations et des avantages fiscaux dont l’île bénéficie confirme bien que la Corse a besoin de la France dont elle ne pourrait se séparer qu’à son détriment. L’Etat participe à 60% du revenu des ménages insulaires. La Corse jouit d’un statut fiscal dérogatoire qui va de l’absence de TVA sur le vin produit localement jusqu’à un abattement de 25% des cotisations foncières des entreprises en passant par l’exonération des droits de succession sur les biens immobiliers dont la suppression en 2018 n’a pas été appréciée. Le tout représente environ 500 Millions d’Euros, dont 312, de niches fiscales diverses.

Les nationalistes veulent donc plus d’autonomie pour aborder peut-être un jour le rivage de l’indépendance que l’île n’a connue que quelques dizaines d’années au XVIIIe siècle. Ce n’est guère réaliste, et c’est pourquoi leurs revendications se font plus politiques et « qualitatives ». Il s’agit d’obtenir la parité officielle de la langue corse avec la langue française, un statut de résident créant une préférence corse pour les natifs de l’île, et le rapprochement des corses incarcérés sur le continent. Ces demandes sont exorbitantes sinon ridicules. La langue française a offert une des littératures les plus riches ; elle est parlée dans une grande partie du monde, même si elle n’est plus en Europe la première, comme jadis. Le statut de résident crée une discrimination juridique entre Français ; il est inconstitutionnel. Quant au traitement particulier réservé à des criminels de droit commun abusivement qualifiés de prisonniers politiques dans un pays où il n’y en pas, il serait moralement scandaleux. Le seul intérêt des deux premières demandes consiste à souligner combien les Français devraient être honteux de ne pas les formuler pour la France : défendre le français contre la submersion par l’anglais, exiger la préférence nationale pour résister à l’invasion migratoire. Le Président se soucie peu de ces questions comme il n’a aucun respect pour cet outil de communication qu’est à ses yeux la Constitution : il ne donnera rien , si ce n’est le mot » Corse » dans notre texte suprême. Cet homme a toujours du mal à cacher son sentiment dominant : le mépris, mépris pour les « dirigeants » corses, mépris pour le sommet de nos normes auquel on ne devrait toucher qu’en tremblant.

Related Articles

2 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Peloni , 10 février 2018 @ 21 h 46 min

    Le président de la république française se devait de traiter les « dirigeants » corses par un mépris équivalent à celui affiché par leur président qui, non seulement n’a pas assisté à la commémoration du vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet de région mais qui déclare que la Marseille n’est pas son hymne national et qui n’attribue pas au drapeau tricolore la place qui lui revient sur l’hôtel de région. La Corse est toujours, jusqu’à preuve du contraire une île française et c’est un corse qui écrit ces lignes.

  • Benoni , 11 février 2018 @ 7 h 09 min

    Tout à fait d’accord avec cette analyse de la situation, je pense toutefois que le président de la république se devait de traiter les « dirigeants » corses par un mépris équivalent à celui affiché par leur président qui, non seulement n’a pas assisté à la commémoration du vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Erignac mais qui déclare que la Marseille n’est pas son hymne national et qui n’attribue pas au drapeau tricolore la place qui lui revient sur l’hôtel de région. La Corse est toujours, jusqu’à preuve du contraire une île française et c’est un corse qui écrit ces lignes.

Comments are closed.