Bruno Seillier murmure à l’ombre des Invalides…

Il a trente-sept ans et déjà quarante spectacles à son actif. Touche-à-tout émerveillé, créateur du « Medina al-Zahra » à Sousse, en Tunisie, comme des « 200 ans de gloire » du château de Versailles, il ignore ce que c’est que de traverser un lieu sans l’écouter. Médiéviste de formation, il a attrapé le virus de l’histoire d’un instituteur « très IIIe République, qui s’asseyait au milieu de la classe, en fin de journée, pour nous raconter l’histoire de France ». Il aurait pu devenir agrégé ou chercheur, transmettre autrement. C’eut été sans compter sur ce murmure qui l’habite en permanence, sur cet enchantement spontané que la pierre ou l’eau déclenchent en lui : « C’est le lieu qui prime pour moi. Il provoque tout. Bien sûr, il y a des sujets que j’ai envie d’aborder, mais c’est d’abord une rencontre, à chaque fois, avec un lieu et son histoire, qui va être à l’origine d’un spectacle. Tous les lieux dans lesquels je rentre – ceux de mes spectacles, des lieux patrimoniaux – me disent ce qui va être le plus à même de toucher le spectateur. A chaque fois le lieu  me parle, donc j’essaie de toujours de « coller » à lui, de lui être fidèle. Je ne veux pas projeter sur lui des idées ou des images qui le dénatureraient. Pour ce qui est de la Nuit aux Invalides, le sujet est très différent de ce que j’ai fait à Notre-Dame (la scénographie monumentale projetée sur les façades de la cathédrale, ndlr). Ce qui compte pour moi, c’est l’attachement au lieu, à son histoire, à sa naissance, aux raisons de sa fondation. Ne pas regarder le monument avec des yeux du XXIe siècle, ne pas interpréter, ne pas déformer. »

Il pourrait l’écrire, l’écrire seulement, pour lui-même, pour son propre bonheur, se répéter à lui-même ces voix de la pierre. Mais cette méditation, Bruno Seillier la veut rayonnante et partagée : « J’ai besoin de lieux qui réunissent la verticalité et l’horizontalité, de monuments capables de déclencher en nous un certain nombre de questions et d’émotions. J’aime le monument d’abord parce que j’aime l’humanité. Ce n’est pas la pierre en elle-même qui me fascine, c’est ce que les hommes ont fait pour que cette pierre surgisse. C’est le destin des hommes qui ont vécu auprès de cette pierre ou de ce lieu, qui les ont travaillés, qui les ont modifiés… Quand je rentre dans la cour d’honneur des Invalides, j’entends les conversations des invalides, des soldats blessés qui s’y trouvent, opérés dans des conditions épouvantables, amputés, qui, pour certains, y ont passé les vingt dernières années de leur existence. Les blessés des guerres de Louis XIV, ceux de Napoléon… J’entends Louis XIV dire sur son lit de mort, à son fils, qu’il a trop aimé la guerre… Tous ces murumures ont en quelque sorte « rempli » les murs. »

Cette voix des Invalides est peut-être née en lui alors qu’à six ans, il y assistait à son premier son et lumière. Trente-et-un ans plus tard, Bruno Seillier, scénariste, directeur artistique et veilleur attentif de l’histoire, crée la Nuit aux Invalides, une nuit où l’on entend narrée son histoire, de Louis XIV à De Gaulle en passant par Napoélon, par la voix d’André Dussolier, de Céline Duhamel et de Jean Piat. Jean Piat qu’il était allé chercher pour un autre spectacle, quinze ans auparavant. « A l’époque, cela n’a pas pu se faire. C’est aussi la réalisation d’un très vieux rêve pour moi que de le voir participer à la Nuit aux Invalides. » Car il attache une grande importance à ses comédiens, à ces voix qui doivent littéralement coller aux murs et à leur âme, à chaque spectacle : « J’ai besoin de comédiens incarnés. C’est d’ailleurs ce qui rend le métier de comédien si délicat et si fragile. C’est un véritable travail d’oubli de soi, profondément déstabilisant. Dans des scénographies de ce type, aussi monumentales, disons, le comédien que l’on entend doit être immédiatement au plus intime du lieu. Mais avec André Dussolier et Jean Piat, il n’y a pas eu de difficultés majeures, comme on peut s’en douter. Au contraire, c’est un régal de les voir travailler. Il y a vraiment d’immenses comédiens en France… J’aimerais diriger Arditi, par exemple, mais davantage sur scène, pour voir comment il réagit, et dans des rôles différents de ceux qu’on lui propose actuellement. Il a un immense talent, et on lui propose beaucoup de boulevard – dans lequel il est d’ailleurs excellent. Je l’imagine dans des rôles plus dramatiques. Mais je ne regarde pas tellement les comédiens en eux-mêmes. C’est d’abord le rôle et le personnage qui m’importent. J’aime beaucoup la phase des auditions. J’ai fait quelquefois des choix de distribution qui pouvaient surprendre mais venaient d’une conviction profonde et absolue que ce comédien-là apporterait au personnage un aspect imprévu et intéressant. »

Modeste, volontiers silencieux sur ce que son œuvre peut provoquer d’émotions et d’étonnement, il n’en demeure pas moins, pour beaucoup, un véritable quêteur de beauté. On l’interroge d’autant plus avidement sur l’architecture moderne : « Est-ce que notre époque a les moyens de bâtir autrement que de la façon dont elle bâtît aujourd’hui ? La matière est chère, et la matière manque. Vous imaginez un immeuble de 90 mètres de haut en pierre ? La logique économique est devenue trop implacable pour cela. Il y a forcément un lien entre l’architecture d’une époque et ce qu’elle dit de ses aspirations. Mais a-t-on encore les moyens de faire du beau ? Quelqu’un de modeste fortune, qui voudrait faire construire un petit pavillon dans la banlieue de Nantes ou de Toulouse, de bon goût et en pierre, aurait du mal à y arriver…Quand on voit les petites fermes en grès rouge, en Auvergne…..Je me demande si nous n’avons pas perdu le fil conducteur de la création. Il y a une réplique de l’œil de Louvois, dans les Invalides, qui dit : « L’époque qui nous a donné le jour avait l’art de rendre beau l’utile. » C’est profondément vrai. Ce n’est pas seulement la fonction qui compte, c’est surtout la façon dont on la conçoit, dont on la réalise, dont on veut qu’elle habite nos maisons. Aujourd’hui, quand on fait du beau pour du beau, c’est rarement pratique. Nos anciens avaient ce génie d’allier les deux. Il me semble que l’on a perdu ce lien entre l’utilité et la beauté. »

Les autres, sans doute. Mais pas lui. Qui prend le temps de découvrir ses différents spectacles est frappé par l’alliance de la modernité dans ce qu’elle a de plus efficace (à travers notamment la moeniamènie) et du lyrisme historique qui s’y marient. « C’est précisément ce que j’aime. Je ne suis pas féru de technologies. Je cherche surtout à chaque  fois le meilleur moyen de mettre en valeur le sujet. C’est merveilleux de pouvoir ainsi « habiller » un monument, comme on le fait aux Invalides. Pour cela il faut rester enfant et garder intacte sa capacité d’émerveillement. Je fais un métier de rêve, j’ai un vrai dialogue avec le monument. Quand j’entre dans un château, un palais, une abbaye tourangelle, même un lieu mégalithique, ou une grotte-chapelle arménienne du IVème siècle, je vibre tout de suite, j’imagine des gens qui entrent et qui sortent à l’époque où ce lieu a été construit. J’ai un rapport avec le passé qui est immédiat, je m’y projette, je l’imagine très facilement. La Nuit aux Invalides réunit la technologie, le lieu, et les grands hommes. Moi qui ai un faible pour les grands hommes, j’aime aussi les ramener à leur dimension humaine. Je ne veux pas me cantonner à la technologie. Je pense à ceux qui ont habité les Invalides, je leur « parle » pendant la journée, ce sont mes fantômes… »

Ces fantômes, invités pour vous par Bruno Seillier, vous attendront du 11 au 18 avril…

> site officiel de la Nuit aux Invalides

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1 Comment

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  • PG , 11 avril 2012 @ 1 h 37 min

    Je ne vois pas très clairement en quoi DE GAULLE peut être associé aux Invalides : on est là en plein dans la ”fabrique de l’Histoire”, dans la recréation artificielle du ”Roman national” revu par Michelet et la tradition républicaine.
    Mais ce sera certainement un beau spectacle, car ce créateur, très proche de P. de VILLIERS, a vraiment le sens de ce type de mise en son et lumière (Celui sur la guerre de 1914 en Vendée dans mon souvenir, en aout 2008).

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