Les salariés sont trop rustres ? Filippetti injecte de l’art dans les entreprises !

« Voyons voir, voyons voir : qu’est-ce qui pourrait enquiquiner un maximum les entreprises, qu’on imposerait sans trop de douleur par une excuse à la fois bidon et culpabilisante, et qui permettrait de faire parler de moi médiatiquement ? » C’est probablement avec cette question qu’Aurélie Filippetti, la désormais inamovible onomatopée en charge du Ministère de la Culture, s’est lancée dans l’un de ces projets mousseux qui animent les journées des politiciens inutiles et de leur staff pléthorique au ministère.

Et la réponse à cette question à la pertinence fort douteuse en ces temps de disette financière est, pour ne pas changer, un magnifique feu d’artifice de dépenses et de WTF pétaradant qui vont, on n’en doute pas, accroître d’autant le BIB de la France (Bonheur Intérieur Brut, seule mesure vraiment d’actualité dans cette économie atone). Youpi, dès le mois d’octobre, on va pouvoir découvrir trois nouveaux dispositifs tubulaires chromés qui relieront ces grosses cuves pleines d’argent dont le Ministère dispose à loisir à ces petits ventres d’artistes vides qui gargouillent piteusement. Moyennant quoi, en ouvrant ce petit robinet-ci et en allant actionner cette pompe-là, l’opération sera une vraie réussite : des artistes seront payés, des entreprises seront mises à contributions, le Ministère sera médiatiquement évoqué et le contribuable sera ponctionné.

Et il n’est qu’à voir la nature des trois dispositifs pour comprendre qui sont encore une fois les grands gagnants de cette invention bio-cosmogonique de spandrelles bitumeux à pénétration toroïdale. Pour le premier en effet, il s’agit de faciliter l’accès à l’art pour les salariés d’entreprises par la signature d’une convention. Le hasard faisant furieusement bien les choses, ce sont des entreprises éminemment représentatives du capitalisme et du secteur privé qui ont signé des deux mains les papelards tendus par la minustre : la RATP, la SNCF, la SNECMA, la Caisse centrale d’activités sociales des industries électriques et gazières et des regroupements divers et variés de comités d’entreprises. Et en quoi consiste la convention, quel est donc son but ? Aurélie frétille d’impatience et prend la parole sans plus attendre pour nous l’expliquer :

Nous voulons amener la culture à ceux qui en sont éloignés, du fait des contraintes de la vie professionnelle. Des parcours seront co-construits avec chaque CE et les PME ne seront pas oubliées grâce aux fédérations de comités d’entreprise avec lesquelles nous avons contracté. Mon ambition est résolument ancrée dans l’esprit de l’éducation populaire et s’inscrit dans les enjeux qu’impose la RSE.

Car comprenez-la bien : le salarié actuel, forçat des temps moderne occupé toute la journée à boulonner et déboulonner, n’a pas le temps d’aller à la Culture. C’est un rustre, mal dégrossi, généralement pauvre avec de la crasse et de l’huile de moteur sur les pommettes et les avant-bras, qui n’a pas le temps d’aller flâner, un dimanche alors qu’il pleut, dans un musée ou dans l’une de ces nombreuses salles polyvalentes Pablo Neruda où l’artiste local réalise pourtant une performance poignante, par exemple en moulant des cendriers dans ses excréments ou en vivant dans un ours empaillé pendant plusieurs jours. Ce gros plouc béotien gentil mais un peu bourru a simplement besoin d’un cadre où on pourra l’amener à découvrir le beau et co-construire avec lui du parcours qui roxxe ; Aurélie, toujours partante pour claquer des thunes qu’elle n’a pas à gagner, s’y engage donc fermement.

J’ai parlé de trois dispositifs, parce qu’un seul n’était à l’évidence pas suffisante pour arroser tout le monde pénétrer suffisamment d’âmes sensibles. Le second dispositif sera composé de résidences d’artistes qui s’implanteront sur des sites industriels pour emmerder l’entreprise interagir avec les salariés ; bien évidemment, il fallait un peu d’argent pour faire tourner ces magnifiques idées que, bizarrement, des milliers de mécènes n’ont pas choisi de financer directement, et que, donc, le ministère de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, se chargera d’abonder, pour le moment à hauteur de cinq artistes, dans cinq résidences dans cinq régions différentes. On palpite déjà d’imaginer l’interaction vibrante qui va avoir lieu entre d’un côté, les salariés, petits êtres frustres et grossiers, et l’artiste, de l’autre, véritable elfe féérique qui apportera son gramme de finesse dans un monde de brute. Par exemple, la plasticienne Maeva Barrière, designer culinaire (« cuisinière » était bien trop banal), s’est installée chez le fabricant de biscuits Poult (Tarn-et-Garonne), ce qui a permis aux salariés de participer (un peu, de loin, faut pas déconner) à la création d’une œuvre (dont on ne saura pas grand-chose parce que bon, hein voilà, et tant pis si c’est un collier de nouilles colorées).

Enfin, le dernier dispositif (parce que jamais deux sans trois, n’est-ce pas) est un événement prévu en octobre prochain, que la ministre, en pleine frétillance transcendantale, imagine déjà aussi populaire que « La Fête de la musique » dans quelques années. Il s’agira de micro-expositions des collections nationales dans des entreprises sur tout le territoire durant quelques jours. Le déplacement des œuvres ne coûtera rien, leur sécurisation non plus. Leur petit emménagement puis déménagement dans les entreprises sera indolore. Les salariés qui se déplaceront pour voir tout ça ne provoqueront aucune baisse de productivité (notez qu’à la SNCF, la RATP, ce mot a depuis longtemps été banni de toutes façon). Bref : ça va être génial.

Rassurez-vous, ce n’est pas tout. Trois dispositifs, certes, mais toujours des idées à revendre, l’Aurélie nous expliquera ensuite qu’il va y avoir aussi l’organisation d’un séminaire « Art & entreprise » associant artistes, patrons, syndicats, universitaires, penseurs, philosophes, clowns, troubadours et ménestrels, dans la création de « capsules du design », espaces itinérants avec des ballons, des animaux chamarrés et des orchestres joyeux dans lesquels les designers auront carte blanche pour sensibiliser à cette discipline, parce que le design, en France, on ne connaît pas. Ou pas assez. Ou qu’on est nul et pas assez sensible. Allez savoir.

Bien sûr, tout ce programme est, comme la ministre l’avoue, « cofinancé par le public et le privé ». Souriez : comme le public est financé par le privé, ceci est donc cofinancé par le privé et le privé. Et puis, ce n’est pas cher, c’est carrément donné ! Comme l’explique Romane Sarfati, conseillère en charge de la pâte à modeler de la ministre, pardon des arts plastiques,

« C’est une économie serrée – quelques dizaines de milliers d’euros par opération – mais une offre de qualité. Et nous adapterons le travail de médiation au cas par cas »

Des esprits chafouins rétorqueraient qu’il ne manquerait plus qu’en plus, ce soit une offre merdique, mais je ne suis pas de ceux-là : enfin, la France va se lancer dans des « capsules du design », et va forcément s’en retrouver toute ragaillardie. D’ailleurs, l’Onomatopée ne fait pas mystère de son ambition :

« C’est le redressement créatif au service du redressement productif ! »

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9 Comments

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  • monhugo , 10 avril 2014 @ 19 h 37 min

    Chouette, les tableaux des musées nationaux vont (un peu plus que d’habitude – voir les prêts habituels inter-musées par exemple) voyager.
    Avis aux malandrins, des opportunités de “fauche” lucrative à l’occasion des transferts.
    La police pour “sécuriser” ces vertueux commodats aux entreprises, aux fins d’ouvrir le pékin à l’Art ? Il faudra, par exemple, la décoller des endroits “sensibles” (les abords de ministères).
    Voir – les exemples sont légion – sur l’air du “on ne peut être partout” :
    http://www.bfmtv.com/societe/cambriolage-une-boutique-a-paris-un-butin-estime-a-100-000-euros-752327.html
    La boutique cambriolée est à deux pas de la place Vendôme. Les forces de l’ordre ne pouvaient quitter la “protection” du ministère taupicidable, voyons. Encore une fois menacé par les redoutables Veilleurs. Figurez-vous que ces terroristes restent parfois à l’affût toute la nuit…

  • monhugo , 10 avril 2014 @ 20 h 03 min

    “Ouvrir” le pékin à l’Art, c’est grand.
    Une suggestion : lui apprendre les rudiments de la langue, c’est moins “grand”, mais plus utile encore.
    Il est vrai que c’est Hamon qui est à l’Instruction publique – pardon – à la (Ré)éducation nationale. Filipetti oeuvre pour sa chapelle (laïque, évidemment).

  • Paule C , 10 avril 2014 @ 20 h 19 min

    Il y a pourtant un petit “hic” que Filipetti oublie : la loi interdit d’exposer des œuvres d’art appartenant aux musées dans des lieux qui ne sont pas des musées… Dans ce cas, deux solutions :
    1) on nomme un conservateur de musée (rémunéré bien entendu) pour le lieu choisi pour l’expo (ça s’est déjà fait dans une grande entreprise);
    2) on modifie la loi pour accéder aux caprices de Mme Filipetti.
    Il semble que la solution n° 2 ait sa préférence.
    On avait déjà eu droit à ce genre de stupidité démagogique sous Mitterrand; ça semble donc être une des marques de fabrique de la gauche, ce mépris pour tout ce qui n’est pas dans le cercle enchanté des socialos-bobos.

  • gerard57 , 10 avril 2014 @ 22 h 48 min

    Elle récidive ? Avec Peillon, elle avait déjà introduit le lard dans les maternelles et autres pouponnières de France – ou ce qu’il en reste. Rappelez-vous cette merveilleuse initiative :

    http://chretienslibres.over-blog.com/article-la-franc-ma-onnerie-d-etat-expose-ses-oeuvres-d-art-satanistes-dans-les-ecoles-121883896.html

  • Daniel , 10 avril 2014 @ 23 h 47 min

    Virez moi ces incompétents !

    Ils veulent ponctionner le seul truc qui maintienne ce pays avant l’explosion : l’activité économique

    Qu’ils aillent se faire foutre avec leurs artistes de merde, on es déjà envahi par la bande de loosers gâteux d’intermitants du spectacle qui ne font que demander des droits sociaux, ces sous merdes d’artistes qui se font rémunérer par les collectivités territoriales et d’autres lois à la con en matière immobilière imposant 3% du budget à des peuvres d ‘art à chier

    On veut de l’art ? On investit dans nos Eglises, nos Basiliques et nos cathédrales !

  • Boutté , 11 avril 2014 @ 8 h 03 min

    Le lard mais pas le cochon, bien évidemment .

  • Chevalier-Noir , 11 avril 2014 @ 11 h 41 min

    Il ne faudrait surtout pas que ces rustres aient la malenconteuse idée, d’aller poser leurs
    grosses mains pleines de cambouis sur ces oeuvres innestimables … Des photos pourraient elles suffire???
    Et comptes tenus de notre situation…

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