Bientôt, les démariés de l’an II ?

Tribune libre de Ludovic Coudert*

Bientôt, pourrait rentrer en vigueur la loi Taubira. De l’avis même de la garde des Sceaux, le nouvel article 143 du Code Civil, qui définit le mariage comme « l’union de deux personnes de sexe différents ou de même sexe », est une « réforme de civilisation ».

Comme ce serait quelques semaines après le premier anniversaire de François Hollande à la présidence de la République, l’an II de son mandat marquerait le début d’une nouvelle civilisation, une nouvelle datation et une nouvelle ère pourraient alors voir le jour, si l’on croit en la mystique du progrès inhérente au socialisme.

Paradoxalement, les partisans de la loi Taubira n’ont pas cessé de répéter que « la nouvelle loi n’enleverait aucun droit, rien à personne ». Cela paraît assez contradictoire avec l’idée de « réforme de civilisation » et donc suspect. Jusqu’où va la nouveauté de la loi? Quelles en seraient les conséquences ? Est-il vrai que les mariages célébrés antérieurement à une telle loi ne sont pas menacés ? Ne deviendrons-nous pas plutôt les démariés de l’an II ?

Jusqu’à aujourd’hui les mariages ont été célébrés validement précisément en raison d’une prise au sérieux du sexe des conjoints. Demain, si la loi se détourne de cela, alors se produira une injustice à l’égard des personnes antérieurement mariées : on pourra dire qu’elles sont « démariées » dans l’ombre.

I) Si aujourd’hui le mariage implique trois interlocuteurs, dont l’État, c’est parce qu’il repose sur la prise au sérieux du sexe.

En allant à la mairie pour se marier, les époux prennent en compte un cadre juridique existant, dont ils choisissent de se faire bénéficier mutuellement, en acceptant la cérémonie et les conditions qu’elle requiert. Grâce aux obligations et aux effets légaux qu’elle produit, la cérémonie du mariage civil élève la volonté des époux à un haut degré de responsabilité et de liberté, et leur permet de s’apporter l’un à l’autre un témoignage fort de leur amour.

On remarquera en même temps que l’État est comme une partie d’un contrat tripartite dans un mariage. En effet, il prend au sérieux l’expression de la volonté des époux et trouve un intérêt dans une institution qui permet le renouvellement des générations.

Le mariage avec le sexe

On l’oublie parfois, mais transmettre la vie est un « risque » inhérent au sexe, au minimum une possibilité. Et ce risque, bien plus encore que les autres risques, avec toutes les dimensions qu’il comporte (acceptation de l’inattendu, combativité devant les épreuves, développement du sens de la fidélité) fait partie de la vie et participe à la saveur même de la vie. Or approuver la vie, et en ce sens l’aimer, c’est, pour un homme et une femme, vouloir la donner, dans leur chair, l’un par l’autre et l’un avec l’autre. C’est beaucoup plus que de s’y plaire suffisamment pour n’être pas tenté de se suicider et de quitter la vie. Le rapprochement de deux personnes qui disent vouloir vivre durablement ensemble et assumer ensemble la capacité qu’ils ont par le sexe d’engendrer ensemble une nouvelle vie n’est donc pas une chose banale.

Au fond, il y a même là une certaine gravité dont le public est toujours plus ou moins conscient, d’où l’émotion lors de l’échange des consentements, au cours d’une cérémonie de mariage, qui est toujours palpable.

Mais qu’un couple (homme-femme donc!) prétende se marier en affichant une volonté explicite de ne jamais accueillir d’enfant (pour ne rien risquer, ni inconfort, ni trouble) et en annonçant vouloir profiter agréablement des seuls avantages procurés par le mariage (bénéfice de la nationalité, ou bien avantage fiscal par exemple) celui-là inspirera un ennui fort et immédiat au public et ne récoltera probablement au mieux que de l’indifférence polie, des flatteries, et au fond le mépris intérieur : pourquoi étaler son égoïsme ? Un tel « mariage » serait d’ailleurs très probablement déclaré nul (comme blanc ou vicié) par les tribunaux, comme l’atteste la jurisprudence.

A fortiori : un « mariage » qui a lieu entre personnes de même sexe est, jusqu’à aujourd’hui, frappé de nullité, précisément parce que la notion de sexe est vidée de son sens obvie, lié à la capacité d’engendrement.

On voit donc que non seulement les deux mariés mais aussi l’État admettent implicitement, comme pierre angulaire du mariage, qui les impliquent tous les trois, la référence à l’engendrement de nouvelles vies, la prise au sérieux du sexe des conjoints, dans toute l’étendue de signification de cette expression (1).

II) Demain, le « mariage » « asexuel » : démariage par caducité des mariages célébrés dans le passé

Si donc l’État veut intervenir dans la loi sur le mariage et le rendre indifférent au sexe des conjoints alors que, de bonne foi, tous les mariés se sont appuyés, le jour de leur mariage, sur le présupposé contraire, l’État introduit une sorte de fantaisie dans l’institution-contrat du mariage. Cette fantaisie est une nouveauté qui doit d’abord être acceptée par tous les époux. L’Etat doit donc d’abord réunir toutes les volontés contractantes et les consulter sur son projet avant de le faire. S’il ne le fait pas, il agit de façon unilatérale, sans considération des personnes, et même au mépris de leur confiance.

Par ailleurs, la loi Taubira invente une définition du mariage en contradiction avec le bon usage du sens des mots : si l’État fait appliquer cette loi, il dénature alors le sens et la portée des mariages préalablement conclus sous l’empire de l’ancienne loi. En effet, la cause des mariages conclus jusqu’à présent consistait à faire reconnaître par la société la spécificité du lien entre un homme et une femme. Et leur objet était de constater l’union entre un homme et une femme.

En aucun cas, il ne s’agissait de faire reconnaître la valeur de l’amour que ceux-ci pouvaient, ou non, se porter. Ces mariages étaient donc intrinsèquement fondés sur la notion de sexe. Dès lors que cette notion disparaît de la définition du mariage, il est légitime et légalement bien fondé de considérer que les mariages conclus sous l’empire de l’ancienne loi deviendront caducs dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, à supposer que le Conseil constitutionnel la valide et que le Président la promulgue.

Prise en otage des citoyens mariés sous l’empire de l’ancienne loi

En outre, en déclarant dorénavant le mariage comme principalement asexuel (indifférent au sexe), l’État contraint les anciens mariés à rester dans un état qu’ils n’ont pas choisi et qui nie la raison pour laquelle leur mariage a été conclu.

Il faut se garder de confondre le mariage avec les droits qui en découlent. Le sexe était bien condition et raison d’être du mariage. La loi prévoit, pour l’institution du mariage, certaines obligations (fidélité, assistance, secours mutuels) et certains avantages (en matières fiscale et patrimoniale par exemple) en raison de cette considération du sexe. Mais si cette prise au sérieux du sexe disparaît et donc sa prise en compte, par la loi, dans l’institution du mariage, alors la raison de ces avantages et de ces obligations cesse.

Il faudra une crédulité curieusement laïque quand on continuera à dire de façon dogmatique que « c’est le même mariage ». On peut bien nous assurer que les droits resteront les mêmes avant et après la loi Taubira. Mais le contrat n’est plus le même, et le respect des personnes n’est plus là.

Au total, ce processus, découlant d’une modification du sens du mot mariage par la loi, serait une injustice que l’on pourrait appeler « démariage ».

Réparations à prévoir : démariage et non pas divorce, puis nouvelle institution

Maintenant, si la loi s’appliquait, il faudrait, pour respecter les personnes, que l’État soit jugé en quelque sorte responsable de voie de fait à l’encontre des personnes déjà mariées (2). Puis il faudrait faire reconnaître, dans la loi, la possibilité d’un « démariage » civil, différent du divorce (3), afin de respecter la liberté des personnes qui se verraient, à juste titre, menacées par le glissement sémantique de la loi.

Il faudrait ensuite plaider pour la création d’un autre type d’institution en faveur des nouveaux exclus du système, sous un autre nom s’il le faut, par exemple : « Union civile », un nouveau type d’institution pour toutes les personnes qui se revendiquent de leur sexe et du sexe, homme ou femme, c’est-à-dire tous ceux qui refusent d’être rangés sous l’une des deux catégories aussi trompeuses l’une que l’autre, « homosexuel » ou « hétérosexuel ».

De surcroît, prise en otage des citoyens pratiquants leur religion

Dans certains pays européens, le mariage religieux peut jouer le rôle d’option de remplacement quand, privé de référence au sexe, le mariage civil a été dénaturé par la loi. En France, ce n’est pas possible actuellement. La loi française fait l’obligation aux ministres des cultes de ne célébrer de mariage religieux qu’une fois le mariage civil célébré. Comme le mariage religieux ne produit pas pas d’effet légal, ceux qui refuseraient un mariage civil devenu absurde et ridicule se priveraient non seulement du mariage religieux, mais aussi de tout cadre, à l’état civil, pour leur volonté de se marier.

Et si la célébration du mariage civil cessait d’être rendue obligatoire avant celle du mariage religieux, les gens mariés religieusement qui refuseraient de se marier civilement, par une forme d’objection de conscience, se verraient encore privés des effets légaux du mariage : exclus de ce qu’ils possédaient en propre : qui dira encore alors que la nouvelle loi « n’enlève rien, aucun droit à personne » ?

Pourtant le principe de laïcité n’interdit pas en France de reconnaître le fait religieux et elle n’interdit pas, par exemple, de reconnaître les mariages religieux célébrés à l’étranger, pour transcription à l’état civil français.

En résumé, l’abandon de la considération du sexe des conjoints revient donc à vider le mariage de son contenu, à priver du mariage les gens mariables et mariés, et à donner un non-mariage à des gens non-mariables, tout en leur faisant croire que le mariage existe encore. C’est déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais en même temps retailler des vêtements qui ne conviendront plus à personne. C’est le démariage général. L’idée partait peut-être d’une généreuse intention ; elle flattait le désir de croire en l’innocence d’une proposition un peu carnavalesque, mais au bout du compte elle ne respecte manifestement pas l’égalité. Elle est une idée injuste et grosse d’injustices futures. Le mariage mérite mieux que d’être associé au nom du projet de madame Taubira.

Parions donc que les plaintes devant les tribunaux vont surgir, dans les prochaines semaines, si François Hollande persistait à vouloir faire appliquer cette mauvaise loi. Serez-vous donc parmi les démariés de l’an II ? Pour porter plainte, c’est « maintenant ».

*Ludovic Coudert est professeur de philosophie.

1. Au moins symboliquement, par la différence parlante des sexes, des mariés âgés, devenus incapables de donner la vie, suscitent une émotion analogue.
2. Le débat récent s’est focalisé sur les conséquences d’une éventuelle abrogation de la loi Taubira, en cas d’alternance politique. Beaucoup ont alors déclaré impossible de démarier des personnes homosexuelles mariées sous la nouvelle loi. Mais qui ne voit que la question se pose dès aujourd’hui, dès l’application de la loi Taubira, pour toutes les personnes normalement mariées jusqu’à aujourd’hui ?
3. Les mariés n’ont pas de demande de divorce à faire pour leur mariage, car aucun motif légal de divorce ne se présente.

Lire aussi :
> Séparer le mariage traditionnel de l’État, par Damien Theillier

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19 Comments

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  • Sylvie , 12 mai 2013 @ 11 h 32 min

    Dans la nature, les espèces végétales se reproduisent en respectant les régles de la vie en société. J’ai un pommier Golden dans mon jardin et un de mes amis m’a dit qu’il en fallait un second. Pourquoi ? Les pommiers sont mâles et femelles tout comme les arbres produisant des kiwis ! cela fait partie des lois de la nature… On ne peut pas mettre deux pommiers de même sexe, car ils ne produiraient pas de belles pommes. Pareil pour le kiwi.
    Regardez les espèces animales : deux chattes vivant ensemble ne peuvent pas avoir de chatons. Idem pour les juments. Il faut un reproducteur mâle.
    Donc la loi sur le mariage pour tous est antinaturelle, anticonceptionnelle et antihumaine. Ceux qui veulent nous imposer cette loi sont des imbéciles et des cons. Comme ils méprisent le peuple, eh bien le peuple finira par les chasser brutalement.

  • STAN , 12 mai 2013 @ 13 h 14 min

    Pour faire simple, j’ai honte d’avoir été marié dans une mairie qui pourrait marier des personnes de même sexe. Donc je renie ce mariage et demande une totale légitimité administrative pour le mariage chrétien catholique.

  • Banro , 12 mai 2013 @ 22 h 14 min

    Je souhaite que Christine Tasin (R.R.) lise cet article, il pourra peut-être la ramener à la raison ?

  • samovar , 13 mai 2013 @ 21 h 55 min

    Il faut militer pour “une totale légitimité administrative pour le mariage chrétien catholique.” C’est la seule solution de bon sens …

  • Ludovic Coudert , 24 mai 2013 @ 20 h 02 min

    Leur vie commue intime obligeait Eddie Barclay et chacune de ses épouses successives à s’interroger sur ce qu’ils voulaient faire de leur capacité à procréer, et idem pour l’épouse. Et cette question se posait nécessairement dans leur vie commune et n’a de sens vraiment que dans cette vie. Un refus d’entendre même la question aurait rendu pour le moins sans intérêt la cérémonie de mariage. En tout état de cause, entre personnes de même sexe, la question n’a aucun sens.

    C’est ce que la Justice reconnaissait quand elle jugeait qu’un mariage, en dépit de la cérémonie légale, pouvait être nul ou blanc. Si deux personnes ne se sont rendues à la mairie que pour avoir des papiers qui leur permettent à l’un ou l’autre d’avoir le bénéfice du mariage (bénéfice d’un héritage ou de la nationalité nouvelle par exemple) sans l’état du mariage ils ne sont ni n’ont jamais été mariées. La justice saisie d’une affaire sur ce point pouvait constater que deux personnes n’avaient jamais été en fait mariées, car il y a eu vice du consentement.

    On pourrait presque dire qu’elles auraient en quelque façon fraudé l’État qui leur aurait fait bénéficier d’un statut légal (qui n’était pas le leur en réalité) et dont ils ont tiré des bénéfices.

    Un homme marié à la mairie qui, de manière habituelle et depuis le début théorique de sa vie commune avec une femme, se refuse à elle n’a en fait jamais été son mari. En suivant la même logique, on pourrait sans doute dire aussi que toute technique de contraception imposée unilatéralement par l’un des « mariés » à l’autre « marié » contredit le concept de vie commune : en effet ce serait une sorte de violence et une rupture de contrat. Avec l’idée de mariage allait l’idée d’une responsabilité exercée en commun, par le dialogue et la concertation, exercée sur la fécondité commune.

    On pourra lire à ce sujet “La Vieille fille” de Balzac, où une conséquence de la conception bourgeoise du mariage est montrée dans toute sa cruauté morale. La « vieille fille » décrite par Balzac, craint de rester vieille fille et veut faire un bon mariage ; elle se marie et finalement reste vieille fille, son « mari » n’ayant été très intéressé en réalité que par la captation de la fortune de sa future. La vieille fille aurait aussi bien pu porter plainte, mais s’y refuse par crainte d’ébruiter le scandale et l’humiliation qui lui est faite.

    En général, en imposant la différence des sexes comme condition du mariage la loi montrait que le sens du mariage était au moins d’attester symboliquement et publiquement que la transmission de la vie humaine fait bien partie de la vie humaine.

    Entre deux personnes du même sexe, il n’y a, dès le principe, rien de tout cela dans leur vie commune. La sincérité de l’acte de mariage ne peut avoir lieu car en aucun cas il n’y a consentement par leur vie commune à la réalité du mariage.

    Pour ce qui est de la jurisprudence, je me suis reporté à un exemplaire 2002 du Dalloz. Les notes de jurisprudence sur les vices de consentement sont très suggestives.
    Voir par exemple, les notes sur les Articles 144, 146, 180 et 190 du code Civil, dans Dalloz. Par exemple : reconnaissance en nullité de mariage lorsque « l’autre époux était dépourvu de la volonté de s’unir effectivement et durablement et d’en assumer les conséquences légales », décision du TGI de Paris du 7 mai 1996, citée dans Dalloz, édition 2002 du Code Civil, en note sur l’article 180. Voir aussi, sur l’article 146 : « le mariage célébré dans le seul but de permettre à l’épouse d’obtenir un visa de sortie de son pays d’origine est nul pour défaut de consentement », décision du TGI de Paris du 28 mars 1978. On peut juger ainsi que de nombreux mariages célébrés n’en sont pas vraiment et pourraient être attaqués de la part des époux ou par le procureur de la République pour défaut de consentement ou erreur sur les qualités essentielles de la personne.

    Si le simple constat d’un mariage sans enfant pouvait suffire pour le déclarer blanc ou nul, alors en s’immisçant a posteriori dans la vie privée des gens, l’État les contraindrait en quelque façon à avoir des enfants. Cela s’est vu dans l’histoire notamment dans l’Antiquité, où le mariage était entièrement subordonné à la procréation d’enfants, et pouvait justement être dissous en cas de stérilité, en laissant les femmes exposées, par le droit de répudiation, à la précarité sociale.

    Demain, avec les principes admis par la loi Taubira, en coupant le mariage de toute référence sérieuse et sensée au sexe, on s’expose à faire dériver le mariage soit exclusivement vers un simple acte contractuel privé, soit exclusivement vers une institution sociale totalitaire dont le statut et les droits ne pourront être justifiés que par leur satisfaction à un impératif procréatif ou adoptif.

    Avant l’application de la loi Taubira, le mariage articulait encore de façon subtile et équilibrée les deux aspects de la vie privée et de la vie publique. Le mariage civil était parvenu à un point d’équilibre qu’il s’agirait de préserver. Il suppose une conception de la personne : sujet à la fois libre, responsable et incarné.

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