Madame la Ministre Déléguée m’écrit

Tribune libre

J’ai été assez surpris lorsque Nestor, mon maître d’hôtel, m’a amené, avec mon courrier matinal et mon Earl Grey sans lequel une journée ne peut commencer correctement, une missive d’Hélène Conway-Mouret. Vous ne la connaissez sans doute pas, et c’est normal puisqu’il s’agit de l’une de ces innombrables sous-fifres d’un gouvernement pléthorique. Ici, nous parlons donc de la Ministre Délégué chargée des Français de l’étranger. Je n’ai pas l’habitude d’échanges épistolaires avec des délégués, c’est donc une première…

J’ai rapidement décacheté l’enveloppe, afin de découvrir ce que me dit la brave déléguée du ministère. Vu la longueur de la lettre, je n’ai mobilisé qu’une toute petite partie de ma matinée à ce genre de choses. Tant mieux, après tout, puisqu’après la lecture, j’éprouvais un vague sentiment d’agacement.

Rien de bien violent, en fait. La déléguée explique en quelques lignes serrées comme un expresso de Clooney qu’elle va claquer le non-pognon de son ministère dans des services que les expatriés n’ont pas vraiment demandés. On trouve ainsi un enseignement français, dont on peut se douter qu’il n’est pas la clef de voûte de leur expatriation, ainsi que la réforme des bourses, qui sent bon le petit clientélisme électoral.

Juste en dessous, on trouve l’amélioration de leur sécurité, qui ne devrait dépendre que d’eux-mêmes ou de la compagnie qui les emploie sur place, en toute bonne logique, mais pour laquelle on va tout de même investir un chouilla pour montrer qu’on fait « quelque chose ». C’est d’ailleurs d’autant plus comique que les autres Français, restés au pays, attendent toujours que cette fichue sécurité revienne sur le territoire. À moins bien sûr que la lettre soit aussi envoyée aux compatriotes expatriés à Marseille (et là, tout s’éclaire).

Dans la catégorie des petites bidouilles qui améliorent l’ordinaire des administrations et des fonctionnaires français sur place, la déléguée propose la modernisation du réseau consulaire (qui ne concerne les expatriés que dans la mesure où leur pays leur impose des papiers pour circuler) et la « refonte à l’échelon local de leur représentation », ce qui est une belle tournure pour justifier une énième dépense en rapports, commissions, études, consultance et autre mousse d’administration coûteuse.

À la limite, une déléguée qui écrit pour nous expliquer tout ça, ça irait sans trop de problème. Mais il faut bien comprendre que si l’État français s’agite autant pour marquer son territoire et poursuivre les expatriés de ses assiduités, ce n’est pas pour rien. C’est même pour une raison parfaitement explicitée dans le texte :

Notre pays est engagé dans un effort de redressement sans précédent qui doit être à la hauteur des défis auxquels il est confronté. Les Français établis hors de France ont toute leur place dans cette démarche. Ils peuvent apporter leur expérience et leurs sensibilités. La situation nous impose d’être attentifs aux bouleversements du monde dont vous êtes les acteurs et les témoins.

Et voilà l’idée : « On va faire des choses pour vous, et en échange, vous allez faire des choses pour nous. Bisous. »

Joli marché, en fait. C’est un peu comme si je débarquais demain matin chez vous, sans prévenir, pour changer la plomberie, manu militari éventuellement. Une fois la plomberie changée, je vous tiendrais ce discours : « Comme votre plomberie a été changée et qu’elle marche du tonnerre de Zeus à présent, veuillez payer la facture ci-jointe. Bisous. » Certes, vous n’avez rien demandé. Certes, en changeant de quartier, de ville, de région voire de pays, vous aviez tenté de faire comprendre au plombier compulsif que vous ne cautionniez plus ses interventions intempestives. Mais voilà : il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et en avant la facture.

Avec l’État français, c’est la même chose, surtout lorsqu’il est aux abois : vous avez tenté de vous extraire de son joug, vous avez fui ce pays où tous ceux qui le peuvent n’ont que solidaritémoraleredistribution au bec, et égoïsme, malhonnêteté, dissimulation, fraude ou parasitisme dans leurs actes, mais non, cela n’est pas une indication claire que vous ne voulez plus des services du parrain républicain. Vous avez réussi à éviter les semelles de béton et la leçon de natation avec, à minuit dans la Seine, vous êtes parvenu à vous éloigner de la délicieuse ambiance de jalousie et de délation qui s’installe de plus en plus dans le pays, mais clairement, même éloigné ainsi de la Mère Patrie, vous désirez ardemment retrouver ce parfum, cette ambiance si caractéristique. Mais si, mais si ! Eh oui : vous ne pensiez pas vous en sortir à si bon compte, non ? Alors, la déléguée et son ministère vont vous poursuivre.

Parce que, comprenez bien : en naissant Français, vous avez hérité du fumeux fameux contrat social qui vous transforme immédiatement en débiteur de 27 000 euros. À ce titre, vous avez un contrat de servage avec votre pays. En quelque sorte, vous lui appartenez, vous êtes sa chose qu’il aura le loisir d’utiliser à bon ou mauvais escient quand bon lui semblera. La Révolution étant passée par là, les gouvernants ont maintenant l’obligation de dire « s’il vous plaît » avant de vous faire cracher au bassinet, mais le principe est bien celui-là : même expatrié, même sorti du giron de l’État français, vous lui devez ce que vous êtes puisque, par définition, vous n’êtes pas un individu mais une excroissance pratique de son existence.

D’ailleurs, toute la missive va bien dans ce sens puisqu’elle est conclue par la phrase suivante :

J’ai aussi la certitude qu’en étant à votre écoute, la France pourra davantage compter sur vous et se grandir encore.

Voilà : pendant que certains se payent des machines à calculer, l’État, lui, est devenu une machine à compter sur les autres. C’est bien simple : l’idée d’être à l’écoute ne se comprend dans ce contexte que pour que la France puisse ensuite davantage compter sur vous. L’idée que la France serait, in fine, responsable des expatriations et redevable des expatriés qui ont été chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvaient pas au pays semble difficile à faire passer dans un texte officiel. L’idée, pourtant aussi simple, que l’État français ne doit rien à ses expatriés et qu’en retour, ces expatriés ne doivent rien à l’État français, cette idée là semble impossible à admettre, à formuler, à imaginer.

Ce qui est intéressant dans le comportement ainsi décelable en filigrane de cette missive, c’est qu’il est symptomatique du rapport de l’État aux personnes qui le font vivre. Dans un monde normal, tous ses agents (depuis ceux du fisc jusqu’aux ministres en passant par les jardiniers municipaux ou que sais-je) devraient être imprégnés de l’humilité d’avoir à gagner leur vie sur le travail des autres, et devraient avoir conscience que leurs actions, leurs inactions et leurs erreurs impactent directement ce peuple qui les fait vivre. Dans ce monde normal, le citoyen, respecté comme celui qui, finalement, fait chauffer la marmite tous les jours, serait choyé, et n’aurait pas de mal, en retour de ce respect et de cette humilité, à respecter les commis qu’il aurait désigné pour s’assurer des charges de l’État.

Dans la France telle que nous la voyons, telle que les expatriés la voient et la fuient, le citoyen est, littéralement, méprisé. Il est vu tour à tour comme un mouton dont le vote est manipulable moyennant les bonnes campagnes de lavage de cerveau, comme un bovin qu’on peut traire à volonté, comme un pigeon qu’on pourra plumer sans s’attirer de problèmes. Et par un magnifique retournement de la logique, ce sont les commis de l’État qui lui réclament le respect avant de montrer qu’ils en ont à revendre et qui s’étonnent, voyant la grogne monter, qu’on soit encore trop bon avec cette piétaille qui ronchonne à tort et à travers.

Ce genre d’attitude n’a jamais mené à rien de bon.

> h16 anime le blog hashtable.

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8 Comments

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  • 0 / 10
  • Frédérique , 10 novembre 2012 @ 14 h 13 min

    Et si, un jour, qui sait, par rage ou par dépit voire par lassitude, ou, au point où nous en sommes, par hasard ou par mégarde, les français venaient à se révolter contre les institutions véreuses de leur pays, qu’en penseraient les expatriés qui ont quitté la France par déception et par ras-le-bol?

  • Payet Philippe , 10 novembre 2012 @ 14 h 47 min

    Résident à l’étranger, comme bon nombre de Français j’ai pris connaissance de cette lettre. Etant concerné directement par un disfonctionnement qui me porte un gros préjudice au consulat général à Tananarive et afin d’en faire part directement à Mme La Ministre déléguée des Français de l’étranger Mme Hélène Conway-Mouret je vous serai reconnaissant de bien vouloir me communiquer une adresse : mail ou autres moyens afin de lui faire un courrier explicite sur ma situation. Au secours, aidez-moi!

    Respectueuses salutations,

    PAYET Philippe
    TAMATAVE
    MADAGASCAR

  • Goupille , 10 novembre 2012 @ 15 h 27 min

    C’est vrai que la SNCF, caricature de la Fonction publique ou de l’entreprise étatisée, n’a que très récemment commencé à considérer les masses qu’elle transporte comme des clients et non des usagers. Et encore n’est-ce qu’un habillage en trompe-l’oeil qui n’a pas encore pénétré les mentalités…
    L’arrogance des culs-de-plomb qui considèrent que quiconque n’a pas choisi leur sécurité n’a qu’à s’en prendre à lui-même…

    Mais ceux qui ont la France à la semelle de leurs chaussures et refusent de l’abandonner à la caque de piranhas dont elle risque de mourir ne sont pas forcément des pigeons abrutis et complaisants.

    Et ceux qui ont choisi de l’abandonner à son sort ne sont pas des apatrides pour autant.
    Nolens volens, ils lui sont redevables de la formation qu’ils y ont reçue et qui a, vraisemblablement, été payée par la collectivité.

    Alors, ne pleurnichez pas trop sur votre sort : nous nous bagarrons pour garder la maison en état de marche pour que vous puissiez y revenir un jour, si l’envie vous en prenait.

    Et si vous ne voulez y revenir sous aucun prétexte, alors : fuck off !

  • Gérard , 10 novembre 2012 @ 17 h 36 min

    Nous avons toujours la France, la vraie, à la semelle de nos chaussures. Surtout en vivant à l’étranger quand les autochtones nous démontrent à quel point nous sommes vendus et ridicules en France.
    Nous portons encore “haut et fier le drapeau de Notre France entière” ! et “si quelqu’un venait à y toucher, nous serions là pour mourir à ses pieds” ! disait l’hymne des Pieds Noirs …
    Mais il arrive, en dehors des obligations professionnelles de certains, que nous vivions à l’étranger pour ne pas finir nos jours en prison .
    Car … certains d’entre nous ont fui la France pour ne pas voir ce qu’il s’y passe et tentent ainsi de se soustraire à la tentation d’y vivre en “Robin des bois” !
    Il en est qui reviennent de temps en temps avec la seule pensée que le “karcher” ne suffit pas et qui ont une envie irrésistible de “dégainer” devant le spectacle ahurissant des quartiers de non droits auxquels ils ne sont pas habitués dans les pays où ils vivent !
    Il en est qui ne trouvent parfois aucune différence entre la France et le souk de leur quartier à l’étranger. Spectacle intenable pour ceux qui sont partis et qui ne comprennent pas que ceux qui sont restés puissent encore accepter “ça” !
    Il en est qui ne supportent plus les “collabos” français et faute de pouvoir les “éliminer” physiquement, préfèrent se sauver de peur de commettre des crimes …
    Il en est qui ne pourraient s’empêcher d’aller punir les juges qui éxonèrent de peine les violeurs de fillettes ou les assassins de flics …
    Il en est qui …. la liste est trop longue !

    Et si une Révolution éclatait en France, ils savent que leur peau ne vaudrait pas cher là où ils vivent … mais la souhaitent quand même par amour de leur pays … quitte à se mettre en danger !

    Pour info : certains consulats de France à l’étranger ressemblent déjà à des Bunkers et sont de véritables humiliations y compris pour les français, contrairement à ceux des autres pays beaucoup plus conviviaux.
    Mais, après après ce qui est arrivé à celui de Benghazi, il est urgent de protéger les Consuls à l’étranger, plutôt que les citoyens dans son pays.

  • Murex , 11 novembre 2012 @ 7 h 49 min

    Bravo ! Bien envoyé !

  • François2 , 11 novembre 2012 @ 11 h 06 min

    Que d’argent perdu avec tous ces machins, comme un ministère délégué chargé des Français de l’étranger. A quoi servent les Ambassadeurs et les Consuls de France ? Les problèmes se règlent pays par pays.
    J’aime bien l’allusion à Marseille de d’auteur de l’article : donc il faudrait nommer un consul de France à Marseille qui puisse s’occuper des expatriés français y résidant. Préparer pour bientôt aussi un poste de consul dans le département 93 (ce sera mathématique : cette année le nombre des moins de 18 ans d’origine étrangère – je suppose depuis 50 ans – a passé la barre des 50 %).

  • jeanhaimard , 11 novembre 2012 @ 11 h 30 min

    Un petit bonjour à helene conne ouais

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