Marc Crapez : « La droite a besoin d’être modérée, gaulliste, libérale et conservatrice »

Après ce premier tour d’élections législatives partielles, Nouvelles de France a rencontré le chercheur en sciences politiques et chroniqueur Marc Crapez. Entretien :

Comment interpréter les scrutins partiels d’hier ? Et d’abord pour l’UMP ?

Il faut se garder de sur-interpréter une élection partielle. A fortiori celle qui concerne un isolat comme Neuilly. Mais cela fournit un aperçu de l’état des forces en France. Dans l’Hérault, le score d’Élie Aboud est bon. Ce sera un député de droite décomplexée qui n’aura pas sa langue dans sa poche.

À l’UMP, les récents résultats des motions confirment cet ancrage à droite. Les deux qui penchent à gauche du parti, Droite humaniste et « Boîte à idées », totalisent 27%. Les deux qui penchent à droite, Droite forte et Droite populaire, totalisent 39%. Les deux dernières motions représentent une voie médiane : la Droite sociale (Laurent Wauquiez) obtient 22% et le Gaullisme (Henri Guaino) 12%.

Contrairement à ce qui se dit, bien que Wauquiez ait soutenu Fillon, sa droite sociale a une tonalité conservatrice plus à droite que le courant gaulliste, comme l’atteste sa proclamation de candidature critiquant le « politiquement correct », tout comme les déclarations de candidature de la droite populaire et de la droite forte.

Pourquoi le PS s’affaisse-t-il ?

Même Manuel Valls ne tient pas la route. À l’émission « Des paroles et des actes » dernièrement, il s’est fait piéger par l’écart entre ses paroles et ses actes. Il fut mis à rude épreuve par la logique de Marine Le Pen et surtout par les questions conjugués des journalistes Jeff Wittemberg et David Pujadas. Primo, la courbe descendante de la délinquance sous Sarkozy redevient plutôt ascendante depuis six mois. Secundo, son verbiage contre la politique du chiffre sous Sarkozy trouve ses limites : comment obtenir de bons résultats s’ils ne sont pas chiffrés ?

Pourquoi le FN n’en profite-t-il pas ?

Les médias ont prétendu que les ennuis de l’UMP allaient profiter au Front national. Comme si les électeurs faisaient des calculs mesquins. Comme s’ils votaient FN par réflexe impulsif et humeur irrationnelle. En réalité ces électeurs ne se prononcent pas sous l’emprise de la peur ni de la colère. Ils savent ce qu’ils veulent : la sortie coûte que coûte du tout-immigration. Les militants UMP savent parfaitement ce qui les différencient du ceux du FN et ces derniers savent pertinemment ce qui les distinguent de l’extrême-droite traditionnelle. Le FN est durablement installé car une partie importante de ses électeurs sont sûrs de leur bon droit.

On irait donc à moyen terme vers une montée du FN ?

Bien sûr que non ! Comme je l’ai déjà expliqué, le slogan « Ça va faire monter Le Pen » est inepte. Cette formule terrifiante fait allusion à la « montée des périls » ayant mené aux « années noires ». Le « Ça va faire monter Le Pen » est pourtant paradoxal, révélateur, méprisant et stupide. Paradoxal, car tout le monde dit cela, y compris ceux qui se sentent plus ou moins proches du Front national. Révélateur, dans la mesure où l’on admet qu’il y aurait matière à ce qu’un raisonnement hâtif pense que l’actualité verse de l’eau au moulin du FN. Méprisant, puisque l’on postule que certaines catégories de population réagiraient comme des chiens de Pavlov.

“Au rythme de progression du Front national, de 11% aux européennes de 1984 à 18% aux présidentielles de 2012, il est manifeste qu’il ne pourra pas prendre le pouvoir avant plusieurs siècles.”

Stupide, enfin, parce que depuis le temps, si « ça » devait réellement « faire monter », alors le Front national aurait déjà pris le pouvoir. Or, il a fallu 30 ans au Front national pour obtenir un score de 18% que François Bayrou a presque obtenu du jour au lendemain. Au rythme de progression de ce parti, de 11% aux européennes de 1984 à 18% aux présidentielles de 2012, il est manifeste qu’il ne pourra pas prendre le pouvoir avant plusieurs siècles. Mais le climat de crédulité est tel qu’il est sans cesse question de ce qui ferait « monter Le Pen ».

Quelles peuvent êtres les perspectives pour ce parti ?

Marine tient à la fois de l’ogre et du petit Poucet. L’ogre qui est démagogique et populiste en jurant que les alentours sont peuplés de scélérats. Et puis le petit Poucet, victime de campagnes liberticides hallucinantes, comme celle déclenchée contre le groupe rock « les Forbans » parce qu’il chante dans une fête du FN.

Sur le fond, les deux paris de Marine Le Pen, krach de l’euro et dictature islamiste engendrée par une révolution arabe, la placent face à ses contradictions au fur et à mesure que le temps passe. Car cela fait déjà un an et demi qu’on nous pronostique la transformation du printemps arabe en hiver islamiste. On peut toujours sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l’islamisme, l’islamisme, l’islamisme »… Mais une fois constaté le fait saillant qu’une révolution risque toujours d’engendrer une dictature, on fait quoi au juste ? On félicite le tyran syrien ? On sifflote d’un air détaché sans se mouiller ?

Marc Crapez, quels conseils donneriez-vous à la droite en général ?

Le tract de campagne pro-Fillon de Valérie Pecresse préconisait, au lieu de se laisser influencer par une « désinformation massive », d’écouter les militants UMP « sur la fraude sociale et les dérives de l’assistanat, l’immigration ou la montée de la violence scolaire, la multiplication des normes et des contraintes administratives ».

Bonne idée ! Ne pas se laisser intimider par la sempiternelle accusation de droitisation. S’ouvrir aux idées défendues par les militants. Assumer un ancrage à droite. Ne pas dériver vers le centre. Ne pas craindre piteusement de déplaire à la gauche.

La droite a besoin d’être modérée, c’est ce qui la distingue du sectarisme de gauche. Elle a besoin d’être gaulliste, c’est-à-dire civique et exemplaire. Elle a besoin d’être libérale, car le libéralisme est la condition de la prospérité des nations. Elle a besoin enfin d’être conservatrice, c’est-à-dire protectrice de la société et de la transmission du savoir contre les assauts du laxisme et du pédagogisme. Ce conservatisme ciblé est le meilleur moyen d’être inventif et réformateur.

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34 Comments

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  • Lach-Comte , 15 décembre 2012 @ 15 h 24 min

    Vous avez oublié de répondre à mon interrogation et à thierryl, qui vous donne raison, comme les deux autres que vous saluez – ceci expliquant sans doute cela – ce qui n’est pas très bon pour la courtoisie qui n’est pas qu’une spécialité française. Ne voyant pas ce que viennent faire les Lettres là dedans, fussent-t-elles françaises, il est effectivement possible que ce qui déshonore la pensée soit le refus de la contradiction …

  • marc crapez , 15 décembre 2012 @ 21 h 14 min

    C’est simplement comme l’attestent les horaires du site que nous avons publié quasiment à la même fraction de seconde ! Je connais les thèses de monsieur Adeline que je tiens pour un philosophe de valeur. Mais au risque de vous décevoir je pense que c’est lui qui devrait lire mon livre sur le clivage gauche-droite. En effet, pour ma part, j’ai discuté sa position à travers les thèses similaires de Stéphane Rials (car je ne connaissais pas Adeline en 1998) et cette propension à rabattre la droite sur le parti monarchiste du 19ème siècle (et conséquemment à qualifier le bonapartisme de « centrisme ») ne me paraît pas pertinente.

    Quant aux commentaires qui blessent la courtoisie et les lettres françaises, je les renvoient au commentaire que j’avais laissé lors d’un précédent entretien, le 1er novembre :
    …encore faudrait-il savoir qui est l’ennemi, au juste, et ne pas décamper quand il se manifeste. Comme je l’ai souligné dans cet article (http://www.bvoltaire.fr/marccrapez/ze-suis-zengage,1813), entre le 12 septembre, éclatement de l’affaire du film anti-islam, et le 18 septembre, où ça devenait facile de s’abriter derrière Charlie-hebdo réputé d’extrême-gauche, on compte sur les doigts de la main les éditorialistes, commentateurs ou blogueurs français qui, au lieu de détaler comme des lapins, ont défendu la liberté menacée par l’islamisme. Ce sont Zemmour, Rioufol, Goldnadel, Brice Couturier et moi-même.

  • Lach-Comte , 15 décembre 2012 @ 23 h 35 min

    Merci de votre réponse. En ce qui me concerne, comme nous sommes en décembre, j’aurais eu du mal à comprendre que vous faisiez allusion à ce qui s’est passé en septembre. Mais j’entends mieux maintenant.
    Pour le reste, on ne m’ôtera pas de l’idée que la Droite actuelle est à la Gauche ce que Monsieur Loyal est au cirque : un faire valoir. La Gauche est, seule, propriétaire du régime républicain. Elle veut bien partager quand il s’agit de remettre l’économie en marche lorsque, comme à son habitude, elle a tout foutu par terre, mais elle tient à rester le maître des idées et des opinions. Si la Droite doit être libérale en économie (le gaullisme ne l’étant absolument pas), elle doit être conservatrice dans les moeurs et les institutions, ce qu’elle ne peut pas être car elle est trop modérée et obnubilée par la gauche. Ainsi donc, la Droite doit devenir libérale et conservatrice, je vous le concède, mais surtout ne doit être ni modérée ni gaulliste …

  • marc crapez , 16 décembre 2012 @ 12 h 47 min

    De Gaulle a redressé la France avec Pinay et Rueff, avec des recettes libérales, pas avec des chimères. Quant à la participation, elle est aussi bien une idée de « troisième voie » qu’une idée purement capitaliste. Vous avez raison les modérés sont taraudés par la gauche, mais ne soyons pas obnubilés en réaction : le sectarisme est loin d’être l’apanage de la gauche et la modération ne doit pas être captive des modérés.

  • hector galb. , 16 décembre 2012 @ 12 h 54 min

    Je vais être un peu plus clair :

    Prenez les éditos “de droite” bien comme il faut de la presse d’il y a 20 ans, ils plastronnaient déjà sur les mêmes effets qu’aujourd’hui.

    http://www.freeimagehosting.net/fjeom
    21 ans pour cette Une du Figaro !
    Pour quel résultat ?

    Et vous me dites qu’il faut faire comme ça ? Que c’est efficace ? Car en définitive moi je ne parle pas d’impatience mais d’efficacité.

    Je ne suis pas un impatient, je suis un intelligent qui ne trouve pas intelligent de se prétendre très futé alors qu’on ne l’est pas. Les gens qui ne se remettent pas en question ne valent rien. Montrez-moi les résultats concrets positifs de l’attitude que vous prônez et on en reparle mais je crains qu’on n’ait pas 20 ans devant nous.

    Je suis désolé de vous apprendre que les gens qui ne se battent qu’avec des mots, incapables de faire autre chose, sont enchantés d’eux-mêmes mais sont stériles.

    Et par pitié ne me parlez pas de “stratégie” alors que vous n’êtes pas foutu de comprendre d’où je parle. Comment peut -on être prétentieux à ce point-là ? “impatient” moi ? Cela fait 20 ans que je regarde les éléments dégringoler et les vagues de bavards se piquer de “stratégie”.

  • Gene , 17 décembre 2012 @ 23 h 43 min

    Quel ramassi d’imbecilite!

    Il est EVIDENT que les francais se reveillent de plus en plus de leur stupidite et PEUVENT CONSTATER les ECHECS devastateurs, que sont L’EURO et L’EUROPE et les incompetences de l’UMPS.

    Rien ne pourra arreter l’ascension de :Marine Le Pen jusqu’a la Presidence!

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