Déflation : le spectre des années trente

Sommes-nous en déflation ? Dans le petit monde des économistes et des historiens, on s’interroge gravement, et après 30 glorieuses et 30 piteuses qui nous l’avaient épargnée, par l’inflation puis la désinflation réputée compétitive, mondialisation oblige, le spectre ferait-il son apparition ?

« Un mal qui répand la terreur, mal que le ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre, la déflation puisqu’il faut l’appeler par son nom…” On nous pardonnera de plagier La Fontaine mais les plus avisés savent que cette puissante contraction de l’économie n’est pas anodine. Son retour était peu attendu et rappelle fâcheusement les années 30, tant on avait déployé un arsenal dit anticyclique (entendez keynésien) qui était censé nous protéger de tout. Surtout de la déflation par le recours soit à la dépense publique soit à la politique de facilité monétaire et même du ridicule quand on entend parler d’économie Moscovici. Hélas, le remède est devenu poison : après s’être “shootées” au déficit budgétaire, les économies européennes et singulièrement la France ont renoué avec la déflation dont ils croyaient avoir définitivement écarté le spectre depuis 80 ans. Au surplus, la déflation en question s’était accompagnée d’événement historiques organiquement liés à celle-ci : constitution de puissantes ligues (1), rejet de la classe politique, manifestations dans les rues, phénomènes de nature à permettre à certains de faire de l’histoire à la petite semaine en invoquant le 6 février 34. Mais un peu de science (historique et économique) nous éloigne de la vérité, beaucoup nous en rapproche…

La déflation comme mécanisme économique

Les Français ne se sont jamais aussi peu endettés, nous dit la presse, alors même que les taux sont bas, cette abstention est un signe possible de la déflation laquelle se traduit aussi par une baisse des prix ou si l’on veut, une hausse très modérée des prix ce qui veut dire que le moteur économique tourne au ralenti (pas de surchauffe). De son côté, la reprise et modeste. Quand les prix connaissent une baisse aussi conséquente, cela signifie, bien entendu, plus de chômage parce que moins d’activité, moins de profit, bref c’est l’anémie. Une anémie renforcée par le fait que le prix réel de la dette, lui, augmente. On peut dire que la dette, autrefois moyen et justificatif de la relance au sens keynésien, a aujourd’hui complètement inversé sa logique agissant ainsi comme un frein. En effet, le prix réel, c’est le nominal moins l’inflation, avec une inflation faible, par exemple 0,7% (chiffre de l’INSEE) en France et une dette payée à 2,5%, le taux réel (ce qu’il faut réellement ajouter au capital emprunté) est de 1,8% alors qu’avec une inflation à 2% celui-ci ne serait que de 0,5 %. Autrement dit, la faillite déjà évoquée de l’Etat serait rendue encore plus probable par cette logique déflationniste.

En déflation de surcroît, les agents économiques adoptent une position attentiste et l’histoire nous enseigne que c’est ce qui s’est passé dans les années trente. Dès lors, en effet, que les prix baissent, les consommateurs et les investisseurs font le pari que les prix vont encore baiser et adoptent cette position d’attente, les entreprises rognent sur leurs prix à la mesure de ce que leurs carnets de commandes se réduisent, la conséquence en est que la spirale déflationniste se creuse et qu’une demande moindre engendre des baisses de prix, la hausse du chômage et la stagnation des salaires. Ainsi, dans ce cas, l’épargne s’accumule en régime de taux bas par abstention de consommation des entreprises et des ménages, c’est la trappe à liquidité.

La solution : refaire de l’inflation avancent certains. Une telle logique, pas plus que la croissance, ne se décrète d’abord parce que l’effet mondialisation produit une forte concurrence à la baisse des produits et des salaires, ensuite parce que l’euro fort assèche toute inflation importée, l’euthanasie des rentiers plus facile a obtenir naguère est devenue aujourd’hui beaucoup plus compliquée. Ce d’autant plus que nos économies occidentales sont gouvernées logiquement par ces rentiers sous l’effet mécanique du vieillissement des classes d’âges nombreuses du baby-boom. Une ébauche de solution consisterait à utiliser la BCE, car la déflation gagne en Europe, pour financer les banques commerciales. En effet, il y a urgence à financer les PME sur des crédits longs. Ainsi donc, la situation est la suivante : le recours à l’inflation est impossible pour alléger la dette, la dévaluation qui rendrait moins cher les produits, ne l’est pas moins pour cause d’euro, reste la déflation mais celle-ci n’est pas choisie. Ou du moins ne doit-on pas la considérer comme un assainissement, une purge nécessaire. A cela s’ajoute une donnée historique tout à fait inédite : en 1930, à la déflation on avait répondu par la dépense publique (New deal, grands travaux etc.) au point que celle-ci est devenue une composante structurelle du modèle de croissance jusqu’à nos jours. Mais à partir des années 70, on a eu et l’inflation et la dette, c’est-à-dire le mal et son remède tout aussi préjudiciable au malade. Les Grecs le savaient, le pharmacos, c’est à la fois le remède et le poison, ici le poison. Néanmoins, si aujourd’hui nous assistons a une baisse sérieuse d’activité dans les pays émergés (les BRIC), la différence avec les années trente réside aussi dans la fait que c’est surtout l’Europe qui se présente comme une zone de basse pression économique, où l’Allemagne fait figure d’exception. Tout se passe comme si notre sortie de l’histoire, déjà bien entamée, s’accompagnait de la sortie de la puissance économique. L’Europe n’est pas mûre elle est blette ! Les Européens avaient choisi, dans la ligne de Fukuyama, la fin de l’histoire mais ils comptaient bien jouir pleinement de leur richesse, laquelle touche en quelque sorte à sa fin.

“Hollande, c’est Daladier en pire !”

La déflation comme phénomène historique

L’Allemagne, qui prévoit une croissance de 1,7%, échappera-t-elle à cette logique fatale ? En 2014, elle pourrait néanmoins souffrir de la contagion. En effet, à qui vendre en Europe ? En outre, Bruxelles trouve ses excédents commerciaux insolents (record absolu pour 2013) et voudrait les lui faire réduire. La Commission, jamais en reste de fausses bonnes idées, préconise la non production et fait donc de la déflation obligatoire. Les Verts allemands se sont aussi chargés de déflater l’économie énergétique allemande en la rendant moins compétitive avec le refus du nucléaire tandis que la Grande coalition va s’aligner sur le modèle français du SMIC ce qui devrait faire plus de chômeurs. Enfin, l’Europe envisage de taxer les comptes en banque pour les renflouer, (Crédit Agricole : 35 milliards de fonds propres manquent, HSBC : 111 milliards…) au mépris de la propriété privée et pour des financements stériles qui ne bénéficieront pas à la croissance. Autant de recettes d’esprit déflationniste qui pourraient voir s’éloigner les investisseurs comme c’est déjà le cas en France. Nous avons dit que la déflation était une forme d’anémie, et si comparaison n’est pas toujours raison, il faut bien admettre que les années trente présentent quelque analogie avec la nôtre. Une notable différence néanmoins, la guerre de 14 avait brisé l’élan de croissance européenne et la protomondialisation des années de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, point de conflit meurtrier à l’origine (mais qui sait à l’arrivée ?), juste un parallélisme entre le coup d’arrêt porté à la mondialisation par la guerre de 14 et les crises douanière et monétaire qui s’en suivirent a fortiori le second conflit mondial et le coup d’arrêt porté aujourd’hui à la mondialisation, sans être passé par la case conflit. On ne parle que de barrières douanières, de protection, de dumping, voire de guerre des monnaies, voyez la chute des monnaies émergentes suite à l’arrêt du quantitative easing américain, comparable toute proportion gardée à la dévaluation unilatérale du dollar en 1933, laquelle avait suivi celle de la livre sterling en 31. A examiner la colère du 6 février 1934, la même impression qu’aujourd’hui d’incompétence de légèreté et de corruption se dégage de la classe politique, un rejet par l’opinion du fiscalise et plus largement de l’Etat en tant qu’il est devenu propriété d’une oligarchie très éloignée des soucis des Français. Hollande, c’est Daladier en pire ! En 1934, place de la concorde à côté des ligues, il y avait aussi la Fédération Nationale des contribuables, et républicains et monarchistes, de programmes divergents pour le moins, se retrouvèrent d’accord pour manifester de concert le même jour, ce qui ne fut pas exactement le cas trois dimanche de suite 80 ans plus tard. Mais la déflation c’est aussi cette espèce de langueur qui prend la vie publique avec cette impression que rien ne peux changer à la gabegie, le cynisme et le caractère jouisseurs de nos politiciens jusqu’à plus soif, en continuant à s’octroyer des privilèges insensés, la prolifération anarchique des lois, la violence endémique, le mal vivre de l’opinion, ignorés par ses élus, tandis que la vie sociale se délite en individualisme forcené coupé de grandes effusions moralisantes, de marches blanches, de cellules psychologiques, d’exercice du droit de retrait, autant de comportements qui ne modifient en rien les causes auxquelles on refuse de s’attaquer. Même le grand remplacement relève de cette déflation sociale où les peuples de souche financent l’installation de ceux qui vont les remplacer en leur payant le logement l’école et les soins médicaux. En éthologie, cela ressemble au syndrome du coucou, mais dans tous les cas, cela peut s’analyser comme une forte contraction des instincts de survie, de la capacité de résistance aux agressions, un affaissement de la combativité économique et historique tandis que la déflation, c’est encore l’exil des jeunes diplômés qui vont chercher fortune à l’étranger.

Le pire n’est jamais sûr, déflation sociétale et déflation économique sont des processus complexes. La première a commencé bien avant la seconde, elles entretiennent des relations de causes à effet, mais ont aussi leur autonomie. Le mérite de la comparaison historique est de nous rappeler que l’histoire de France est faite de hauts et de bas vertigineux. François Hollande est donné (sondage Sofres pour Le Figaro) à 19% : c’est bas, très bas, un record même. Le Président est démonétisé, son prix est à la baisse lui aussi, c’est Hollande-la-déflation. Puisse cette descente servir d’avertissement pour éviter la débâcle !

1. La Troisième république avait toujours eu contre elle une grande partie des catholiques et des monarchistes avant 1914 en dépit de Léon XIII pour les premiers. La guerre de 14 où bon nombre d’entre eux furent victimes apaisa temporairement cette opposition. C’est la crise économique et la corruption à partir des années 30 qui les opposa de nouveau. Aujourd’hui, la Ve république voit aussi la crise économique donner à l’opposition conservatrice l’occasion de se dresser contre elle, alors même qu’une partie des catholiques (l’Ouest surtout) avait voté pour François Hollande. Mais cette fois, l’hostilité renouvelée repose sur des motifs sociétaux, dérivatifs socialistes de l’impuissance économique.

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40 Comments

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  • Kanjo , 13 février 2014 @ 0 h 40 min

    le chèque scolaire , ça c’est une excellente idée. au moins on pourrait instruire nos enfants puisque l’éducation nationale n’instruit plus personne : de son propre aveu, elle (ré)éduque.

  • V_Parlier , 13 février 2014 @ 9 h 57 min

    Airbus, Airbus, toujours Airbus, c’est à croire que nous travaillons tous chez Airbus!
    Donc, si les pauvres et moins pauvres sont contraints de faire 2 heures de route pour aller travailler, implantons des sites Airbus dans chaque ville… Doux rêve? Dommage car comme vous me le rappelez, nous n’avons pratiquement plus qu’Airbus dans l’industrie (qui délocalise d’ailleurs aussi)…
    C’est pour celà que les gens s’amusent si bien chaque matin à voyager vers leur rare lieu de travail dans les bouchons, pour le plaisir, comme le sous entendent les journalistes.

    Mais plus sérieusement, sans remettre en cause l’existence du commerce international et le commerce d’Airbus, l’UE est la seule au monde à s’interdire toute mesure protectionniste raisonnable (adaptée, sélective, directe ou indirecte, etc…) tout en voulant garder EN PLUS une monnaie surévaluée. Je ne vois pas comment çà peut réussir. D’ailleurs, personne d’autre ne l’a fait, çà c’est de l’innovation!

    En conclusion, je suis tenté de dire qu’il ne faut pas se laisser aveugler par un problème, même s’il est de taille (les gabegies de l’Etat français), au risque de passer à côtés des autres tout aussi graves.

  • V_Parlier , 13 février 2014 @ 10 h 19 min

    SD-Vintage,
    J’oublie toujours un détail dans mes réponses! Mais ici çà tombe bien car c’est un détail sur lequel j’ai beaucoup à ajouter.

    Vous faites allusion à l’éducation, certes médiocre, et dont j’ai constaté personnellement la dégradation depuis 20 ans et plus. Cependant il faut se rendre compte qu’est le résultat concerté de cette “évolution” consentie par l’Etat et les grandes entreprises:

    – Un enseignement pointu pour une minorité (emplois hautement qualifiés mais rares, avec très peu de postes à pourvoir). Il ne s’agit bien entendu pas de l’éducation nationale ici.

    – Un maintien au chaud des élèves “standards” pour qu’ils soient inscrits le plus tard possible au pôle emploi. Ceci est entretenu par le phénomène de diplomite aigue réclamée par les grandes entreprises, où pour faire ce que faisait un bachelier (ou niveau professionnel équivalent) il y a 30 ans il faut maintenant bac+5, mais sans en savoir plus. (Je dirais même: en en sachant parfois moins). C’est parfaitement voulu et consenti par les entreprises de ce type, car le but est d’en faire des paperassiers procéduriers ignares (pour les meilleurs), ou alors des pousse-boutons sans initiatives (mais aujourd’hui les pousse-boutons sont délocalisés, autant que ceux qui avaient un véritable savoir faire).

    – En parallèle, utilisation de l’éducation nationale comme garderie anti-pôle-emploi pour tous les cancres qui n’ont rien à y faire, ce qui aura pour effet d’empêcher les “standatards” de faire tout progrès. Ca se combine bien avec le point précédent. De plus, ils seront chômeurs diplômés et comme çà l’Etat pourra dire que ce n’est pas de sa faute!

    – Maintien des gens de bonne volonté la fois de rêve et d’auto-culpabilisation qui consiste à penser que si tout le monde était bien éduqué et bien fier, nous serions tous des leaders, managers, innovateurs (on peut en mettre une tonne comme çà) maîtres du monde prospères pendant que des grouillots fabriqueraient nos biens de consommation courante ailleurs. Cette attitude orgueilleuse et stupide qui se pare de projet social, moderne, ou même compétitif (bref: “social-libéral” comme on dit) nous mènera à notre perte. Cette pseudo-crise financière (qui n’est qu’un phénomène directement engendré par cette pratique) est la punition qui nous arrive droit dans la gu… après avoir goulument purgé le cycle et camouflé le plus longtemps possible ses effets par l’endettement des états. Certes, ce n’est apparemment pas votre point de vue, mais avec le temps… qui sait…

  • SD-Vintage , 14 février 2014 @ 14 h 35 min

    Airbus n’est qu’un exemple de ce que nous fabriquons et que les autres ne fabriquent pas, comme la sauce soja du Sud-est asiatique.
    L’Euro n’était pas surévalué quand il a été créé, mais nos politiques encouragent l’inflation. C’est déjà ce qui s’était passé avec le nouveau franc, à l’origine égal au Deutschemark.
    Le protectionnisme est une arme illusoire dangereuse car, outre le fait que cela dissimule souvent un secteur mal organisé, les autres états peuvent s’en servir aussi. Nous n’exportons pas que des Airbus, mais aussi de l’agroalimentaire, du luxe et bien d’autres choses. La réponse à la crise de 29 fut le protectionnisme, avec les résultats que l’on sait.
    Insister sur l’Euro et le protectionnisme, c’est dissimuler le fait que la France a un besoin urgent de réformes internes, nous sommes les premiers responsables de notre déclin.

  • SD-Vintage , 14 février 2014 @ 14 h 55 min

    Quant à l’éducation, les entreprises n’y sont pour rien et déplorent le manque de personnes formées correctement. Elles doivent parfois former elles-mêmes leurs personnels en lieu et place de l’éducation nationale. Enfin, elles plébiscitent les formations courtes type BTS.
    La crise financière, des subprimes, a été créées par la manipulation du marché hypothécaire par Clinton pour des motifs électoraux, et par un abus de l’emprunt par des états refusant de se réformer, pour le même motif.
    Le social-libéralisme consiste à créer de la richesse par le libéralisme afin d’avoir un état avec une bonne politique sociale : éducation, santé, chômage… etc, sans point de vue moral sur la richesse : “Enrichissez-vous” disait Guizot.
    “si tout le monde était bien éduqué et bien fier, nous serions tous des leaders, managers, innovateurs […] maîtres du monde prospères pendant que des grouillots fabriqueraient nos biens de consommation courante ailleurs” : je ne vois pas le rapport. Je préfère que les gens soient éduqués, du plombier au serveur en passant par l’ingénieur, cela donne à chacun de plus grandes facultés d’adaptation, qui profitent à tous.

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