Ouverture dominicale des enseignes : des intérêts convergents des salariés face à la rigidité des lobbies

Tribune libre de Sophie Renatto

Parmi les débats qui se cristallisent en France, celui relatif à l’ouverture des commerces le dimanche monte en intensité. Mais les protagonistes sur ce sujet n’ont pas toujours les coudées franches, et pour cause…

« Nous a-t-on consulté ? », s’interroge Fanny. « Mon chiffre d’affaire se dégrade dangereusement », observe inquiète, Madame R., gérante de superette. « Il n’y a plus d’offres commerciales pour les voyageurs en transit ou de retour de week-end », s’indigne le gérant d’un magasin parisien installé tout près de la gare Saint-Lazare. « Je fais parti des milliers d’étudiants qui travaillent le samedi et le dimanche pour payer mes études. Si tout s’arrête, ce ne sera pas facile de s’assumer tout seul », lance Marc, un brin désabusé.

Voilà quatre opinions fortes qui expriment toutes la même inquiétude : pour une raison ou pour une autre, si les commerces doivent fermer le dimanche, c’est tout un équilibre, personnel ou collectif, qui chancelle. Globalement, l’affaire est entendue : massivement, les Français qu’ils soient salariés ou badauds, sont majoritairement favorables à l’ouverture dominicale des magasins. Attachés à ce principe, pour peu qu’il soit fondé sur le libre choix de chacun, les Français y voient dans un contexte économique tendu, sinon une solution déterminante, au moins une possibilité porteuse de sens économique qu’il ne faut pas négliger. Pourtant, le dossier reste en suspens, jamais vraiment réglé sur le fonds, et donne le sentiment que le débat est confisqué par quelques minorités fortement organisées, sans tenir compte de l’avis général.

Quelques tentatives de règlement ont bien eu lieu. En 2008, la loi portée par Luc Chatel, alors ministre de la consommation, autorise les magasins d’ameublement à ouvrir leurs portes le dimanche. Mais les magasins de bricolage – potentiellement fortement intéressés par cette disposition en raison de leurs clientèle – demeurent par exemple exclus du bénéfice de ces dispositions.

La loi du 10 aout 2009, dite loi Maillé, élargit le champ des possibles en autorisant les commerces implantés dans une zone touristique ou dans des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » à ouvrir le dimanche, après avoir obtenu une autorisation préfectorale. Une petite avancée, certes, mais qui ne bénéficie qu’à des espaces très circonscrits et à des domaines d’activités très étroitement sélectionnés.

Résultat de ce saupoudrage législatif : une grande confusion, une illisibilité sur le terrain, une complexité pour les acteurs économiques, qui au fond ne satisfont personne. Et un immense sentiment de frustration de la part de ceux qui ont fait de l’ouverture dominicale leur cheval de bataille. D’évidence, personne en France, jusqu’à présent, n’a réussi à s’approprier le débat, personne n’est parvenu à fédérer les positions.

Il est vrai que les relais naturels du débat public, en l’occurrence les partis politiques et les syndicats, expriment un véritable malaise sur le sujet et se révèlent incapables de porter un message cohérent et univoque en leur propre sein. Les centrales syndicales de salariés donnent le sentiment de ne savoir comment gérer la quadrature du cercle : d’un côté le constat favorable à l’emploi et au pouvoir d’achat, conséquence de l’ouverture dominicale des commerces. De l’autre, l’héritage idéologique, qui place le droit au repos dominical comme l’alpha et l’oméga des droits acquis. Du côté des organisations patronales, déchirées selon les aspirations de leurs fédérations, la confusion est semblable.

Le champ politique présente la même image brouillée. Impossible de dessiner une ligne de partage claire entre une gauche qui serait contre l’ouverture des magasins du dimanche au nom de la protection des acquis et une droite, formatée par le libéralisme qui militerait en faveur d’une réforme globale ouvrant aux salariés la liberté de gérer leur temps de travail comme bon leur semble. Les avis et les postures sont légion pour une même famille de pensée, parfois jusqu’à la schizophrénie : tel maire qui localement perçoit parfaitement l’intérêt économique de l’ouverture dominicale des commerces peut, au sein de son parti ou d’une assemblée parlementaire, mettre en sourdine ses convictions.

Résultat de cet imbroglio : le débat n’est pris à bras le corps par personne, perçu comme trop risqué et interne et de nature à mettre en avant des dissensions fragilisantes ou peu opportunes électoralement. Les lobbies plus ou moins ouvertement opposés à l’ouverture dominicale sont ainsi devenus les seuls acteurs du débat, tentant de peser en marge des revendications des Français, et au gré des circonstances, accentuant d’ailleurs de façon inquiétante le sentiment d’incompréhension des citoyens vis-à-vis des représentants de la société civile et du monde politique. Tous ces éléments, on le voit, ont des conséquences lourdes, qui vont bien au-delà du seul enjeu ponctuel de l’ouverture dominicale des enseignes, impactant sournoisement la confiance de tous dans le système politique, économique et sociétal.

De ce point de vue, la crise à laquelle est confrontée la France depuis plus de dix ans, doit être envisagée comme une opportunité d’action pour mettre le débat sur la table clairement et sereinement, et surtout répondre à une attente clairement exprimée par les citoyens. Dans une enquête réalisée par la Dares, en 2011, plus de 1,5 millions de salariés révélaient avoir travaillé occasionnellement ou habituellement le dimanche dans le commerce de détail. Difficile pour eux de comprendre que ce qui applicable d’évidence dans certaines branches d’activité (secteur médical, restauration, transport) ne soit pas justifiable, fut-ce à titre dérogatoire, dans leur domaine. Ne manquent peut-être que des relais déterminés à briser le silence pour porter une réforme ancrée dans le bon sens et l’acceptation d’un monde qui change.

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24 Comments

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  • LeDucDeGuise , 11 mars 2013 @ 23 h 14 min

    C’est vraiment une mesure de bon sens!

    Qui, parmi vous, oserait douter que, dépensant en moyenne 100€ par semaine en courses diverses, j’en dépenserait 150 avec cette loi, et que je retrouverai mon bonheur en revenant, en plus du samedi, le dimanche dans le même magasin?

    Et qui peut douter que si tout les magasins font cela, par le jeu de la libre concurrence, ils auront tous plus de client, car chacun en aura plus que ses voisins du fait de son ouverture le dimanche? Et ainsi nous sauverons les petits commerces car, le commerçant faisant plus d’heure, il gagnera plus, car il travaillera plus.

    Trêve d’ironie, un changement de règle, fut-elle obsolète, nécessitant une vraie raison, la seule qui me vient en tête est le tourisme, un touriste repartant ne dépensant pas forcément le lendemain. Aussi, il suffit d’appliquer la loi existante, prévoyant déjà cette exemption.

    Henri

  • degabesatataouine , 12 mars 2013 @ 1 h 19 min

    http://www.soitu.es/soitu/2009/08/14/info/1250250397_704036.html

    La religion catholique n’est plus majoritaire au Guatemala

    Et ça date de 2009.

  • degabesatataouine , 12 mars 2013 @ 1 h 26 min

    ” Les groupes évangéliques ou pentecôtistes attirent désormais 12% des Argentins, jusqu‘à 20% des Chiliens ou Brésiliens. Et l’engouement ne cesse de croître. “On vit dans une société de vitesse, explique un journaliste, et il y a des gens qui ne veulent pas attendre de mourir pour être sauvés spirituellement, ils veulent être sauvés tout de suite. C’est ce que vendent ces églises”.

    Au Brésil, l’Eglise catholique souffre donc de la même hémorragie. En 25 ans, elle a perdu un quart de ses fidèles. ”

    http://fr.euronews.com/2007/05/09/les-eglises-evangeliques-gagnent-du-terrain-en-amerique-latine/

  • abiz , 12 mars 2013 @ 8 h 52 min

    Comme le rappelle fort justement Henri, en dehors des touristes l’ouverture des magasins le dimanche ne cree pas plus de marche, il arrange juste les gens qui ne peuvent/veulent pas faire leurs achats un autre jour au detriment des salaries qui voudraient passer leur dimanche en famille.

    1/ Il sera tres vite intenable pour un candidat de refuser une clause de travail dominical, il est donc hypocrite de s’appuyer sur un argument de liberte.
    2/ Si on paye les gens davantage le dimanche, qui paie? Tous les consommateurs evidemment, pas seulement ceux qui viennent le dimanche. D’un point de vue macroeconomique, la pretendue augmentation du chiffre d’affaires entrainee par l’ouverture dominicale compensera-t-elle les surcouts? Entrainera-t-elle une baisse ou une augmentation des prix?

  • Kuing , 12 mars 2013 @ 11 h 31 min

    Les salariés de Bricorama ont été clair sur le rôle néfaste de FO :
    –>
    http://www.youtube.com/watch?v=OlHvmX6gKEY

  • Goupille , 12 mars 2013 @ 11 h 48 min

    C’est ce qu’ils prônent dans les Conseils régionaux : la désertification des campagnes, l’entassement des populations dans les métropoles urbaines pour clientélisme, dépendance et contrôle maximaux.

    Ces types sont des criminels dont il va falloir se débarrasser, après avoir mis en place des alternatives, pour éviter le chaos.

    A vos réseaux !
    Cela urge.

  • K. , 12 mars 2013 @ 16 h 38 min

    Malheureusement, j’ai fait l’expérience: allez dans un super marché acheter une casserole, vous en ressortirez avec bien plus que la dite casserole.
    Faites vos courses sur Internet, vous ne prendrez que la casserole.

    Le temps d’exposition à la marchandise joue dans l’acte d’achat, et ainsi, *oui*, ouvrir plus longtemps permet de vendre plus, c’est délirant, mais c’est constaté.

    L’argument marchand est juste, mais n’est rien au regard de la destruction engendrée.

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