Cohabitation ?

Tribune libre de Jacques Garello*

En dépit d’une campagne très active et d’une inflexion vers les idées « de droite », Nicolas Sarkozy a donc perdu la course à l’Élysée. Il est inutile de s’appesantir sur le passé, mais son bilan a rendu peu crédible ses discours, dont les derniers étaient pourtant de bonne facture, même s’ils faisaient la part trop belle au protectionnisme.

Nous voici donc avec les socialistes à l’Élysée et au Palais du Luxembourg. Ils sont aussi dans les syndicats, la fonction publique (pour une bonne part), dans les médias et dans l’enseignement. Ils sont encore à la tête des régions, des départements et des grandes villes.

Peut-on priver François Hollande d’une majorité présidentielle et l’obliger à une cohabitation qui éviterait une France monocolore ? C’est la question qui vient tout de suite à l’esprit, et naturellement elle a été au cœur de toutes les discussions sur les plateaux dimanche soir : on a beaucoup parlé des législatives des 10 et 17 juin.

Je vois beaucoup d’obstacles à une telle revanche, à un tel sursaut de la droite. Tout d’abord même s’il n’y a pas eu la vague rose ou rouge annoncée, les circonscriptions où la droite est assurée de l’emporter sont rares, surtout avec l’hypothèque du Front national avec des triangulaires en perspective. Cette hypothèque est le deuxième obstacle : l’UMP, comme le PS, écarte toute entente avec les candidats « bleu marine » mais l’UMP court plus de risque que le PS à ce jeu, on l’a vu à l’occasion des dernières élections locales par exemple. Il faut aussi compter avec les discordances de l’UMP, en dépit de l’aura de Jean-François Copé, qui arrivera difficilement à éviter des candidatures dissidentes. Les retournements de vestes, déjà spectaculaires à la veille du 6 mai, risquent de se multiplier. Enfin et non le moindre, il y a toujours eu à ce jour une majorité présidentielle pour épauler le Président élu. Cela s’est vu en 1981, 1988, 1995, 2002 et 2007. Il y a eu cohabitation du temps du septennat, où les élections législatives se situaient nécessairement pendant le mandat présidentiel : en 1986 sous Mitterrand (Chirac premier ministre) et en 1993 (Balladur premier ministre), et en 1997 sous Chirac (Jospin premier ministre). Il est à noter que la cohabitation a été bien mieux gérée par Mitterrand qui a mis Chirac puis Balladur dans sa poche, que par Chirac, qui a laissé Jospin gouverner à sa façon, partageant même son « domaine réservé » des relations internationales avec Lionel Jospin.

La cohabitation difficile avec le quinquennat

Tout cela fait beaucoup, et laisse mal présager d’une cohabitation utile, et je vois mal ce qui viendrait bloquer ou seulement ralentir la marche à la société nouvelle qui nous est promise.

Car on commente beaucoup les changements à attendre dans la politique économique et sociale de la France, la nouvelle fiscalité, la contre-réforme des retraites, le renforcement des syndicats, l’emballement des déficits du budget de l’État et de la Sécurité sociale, les nouvelles réglementations du travail et du chômage : autant de désillusions en perspective, qui se révèleront très rapidement – après 1981, il a fallu trois ans aux Français pour comprendre où on les menait, mais dans un contexte mondial très favorable.

De même commente-t-on l’impasse de la position de la France si le nouveau pouvoir veut imposer une Europe de la relance et du protectionnisme, dont ne veulent pas nos partenaires et clients, dont les Allemands et les Anglais.

La société nouvelle qui nous est promise

Mais on oublie de prendre en compte toutes les réformes de société qui nous attendent, et qui ne demandent ni délai ni consensus européen : les mariages homosexuels et l’adoption des enfants qui en découle, l’euthanasie et la nouvelle loi bioéthique, l’étouffement de l’enseignement privé et la laïcité agressive, le laxisme pénal et judiciaire, et l’obsession des droits des immigrés qui va jusqu’à l’oubli total des devoirs des immigrés.

Une nouvelle offre politique

Tout cela, à mon sens, mériterait bien que l’on se mobilise pour éviter le monopole politique de la gauche. Les législatives pourraient faire appel du jugement du 6 mai. Mais il faudrait pour cela, au minimum, que l’UMP ose enfin cette fameuse rupture que tant de Français appellent de leurs vœux. Le patchwork électoral qui a été servi jusqu’à présent, sans vision d’ensemble, sans réforme structurelle, ne peut passer pour un programme de législature. Que l’UMP prenne position au minimum sur le salaire complet, les retraites, la fin de la progressivité de l’impôt, la flexibilité du contrat de travail, le référendum d’initiative populaire, la diminution des textes et règlements, la liberté scolaire, la protection de la vie et de la famille.

J’ajoute cependant, pour être conforme à mes convictions et à mes propositions, que se mobiliser dans l’immédiat pour obtenir une cohabitation ne dispense pas de mettre en place une « nouvelle offre politique » et organiser une composante libérale de l’opposition. L’absence des idées de la liberté a tué le quinquennat Sarkozy et risque maintenant de nous mener à la « dictature du prolétariat ».

*Jacques Garello est un économiste libéral français, professeur émérite à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III. Il est fondateur du groupe des Nouveaux Economistes en 1978 et président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) depuis 1982. Il est également membre du Conseil d’administration de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF).

> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.

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2 Comments

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  • domremy , 11 mai 2012 @ 16 h 40 min

    les français depuis 2007 ne croient plus aux belles paroles de NS,de plus beaucoup sentent qu il n a pas la France dans les tripes, que pour lui la réussite c est l argent

  • Denis Merlin , 14 mai 2012 @ 5 h 42 min

    Comme le souligne le Pr. Garello, en effet on a du mal à distinguer les programmes et même les personnels de l’UMP et du PS.

    Certes, le PS est plus extrémiste et surtout il n’hésite pas à le proclamer. Mais l’UMP apparaît pour ce qu’il est un piège à gogos. On l’a vu très clairement avec l’affaire Vanneste. Je précise que je ne suis pas lepéniste.

    Donc je suis favorable à une “nouvelle offre politique”, mais elle devra s’inspirer pour moi plus clairement et plus ouvertement de la doctrine sociale de l’Eglise et de son fondement : la dignité de l’homme due à sa vocation transcendante. Je suis en revanche tout à fait d’accord pour insister sur la liberté humaine et sur le programme économique du Professeur. Mais ce libéralisme ne doit pas être athée ou indifférentiste. Cela étant dit, le programme proposé par monsieur Garello me paraît valable.

    Il me semble aussi indispensable de remettre au centre de la vie sociale, conformément à la tradition française, le mariage catholique. Les négationnistes du genre auront eu ce mérite de nous faire réfléchir sur le mariage.

    Il y a un autre problème, c’est que la gauche, très minoritaire dans la France des forces vives, arrive au pouvoir par le jeu de la double nationalité qui permet de voter dans plusieurs pays. Cette législation bafoue l’égalité des droits fondamentaux en particulier le droit à l’égalité fondamentale. Il existe aussi une réforme institutionnelle à entreprendre. Cette nécessité est révélé par le lancinant problème de la “cohabitation”. La constitution française est bancale. Il faudrait choisir entre un régime présidentiel ou le Président est le chef de l’exécutif ou un régime parlementaire où le Président est un arbitre, mais on ne peut éternellement rester dans l’indétermination qui révèle un système juridique mou susceptible de plusieurs interprétations. Il faut un ordre juridique ferme. Comme le Professeur le souligne, un homme comme Mitterrand d’une moralité, disons, très moyenne a pu ainsi gouverner contre la majorité des élus.

    La gauche est au pouvoir aussi par suite du scrutin majoritaire à deux tours qui permet à une minorité d’accéder à l’autorité. Seule le scrutin proportionnel, d’ailleurs en usage dans beaucoup de pays dont Israël, peut permettre une véritable justice et libèrerait les électeurs du carcan de ce mode de scrutin déloyal. Le divorce actuel entre la majorité exprimée par les urnes et les personnes déléguées à l’exercice du pouvoir contient en germe des désordres, dont le plus grand serait le rejet des autorités constituées.

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