Mais où est donc passé l’intérêt général ?

A quelques jours de cette Fête Nationale dont la France est si fière, on peut s’interroger sur l’extraordinaire aptitude de notre pays à se mentir à lui-même. D’abord, beaucoup de Français se trompent sur ce qu’on célèbre. Pour nombre d’entre eux, nous commémorons le massacre d’un gouverneur et des invalides qui gardaient à la Bastille une poignée de prisonniers qui avaient d’ailleurs toutes les raisons de s’y trouver. Cette interprétation a le malheur d’identifier la liberté avec sa conquête violente, et de justifier que la France ait du mal à « progresser » par le dialogue et la réforme plutôt que par l’affrontement et la révolution. Cette lecture épique de notre histoire nous habitue à valoriser des jours et des images de violence révolutionnaire, comme le fait le célèbre tableau de Delacroix, « La Liberté guidant le peuple », en oubliant que beaucoup de pays ont évité la gloire et le tumulte et ne s’en portent que mieux. Officiellement, c’est le 14 Juillet 1790 dont le souvenir est rappelé, c’est-à-dire la Fête de la Fédération, ce jour où les Français réconciliés autour de leur roi constitutionnel pouvaient croire la révolution achevée par des réformes raisonnables, comme la fin des privilèges. On peut regretter qu’après un an de « rapides », le cours de notre histoire ne soit pas devenu un long fleuve tranquille.

De même, la France aurait pu compter parmi les grands pays libéraux. De Turgot à Raymond Aron, des réformateurs, comme Benjamin Constant, des économistes comme Say ou Bastiat, des penseurs comme Montesquieu ou Tocqueville ont porté la pensée libérale. La France a préféré Rousseau à Montesquieu, Marx à Tocqueville et Sartre à Aron, comme si le mauvais choix était inscrit dans ses gènes. Les grands moments de notre histoire ont toujours correspondu à l’affirmation de la supériorité morale et politique du collectif sur l’individuel. La fille aînée de l’Eglise, lors de la renaissance capétienne du XIIIe siècle, définit l’idée thomiste du Bien Commun. Le classicisme du XVIIe qui correspond à l’apogée de notre pays invente l’idée d’un Etat centralisé porteur de l’ordre et de la raison et instrument de cette puissance publique qui l’emporte sur les droits et les intérêts privés. La République a continué dans cette voie en soumettant les intérêts particuliers à l’intérêt général, en sacrifiant au besoin les premiers au second. Le préambule à la Constitution de 1946, repris en 1958, est explicite. Tout service public doit être nationalisé. La religion du service public et l’idée que l’Etat a la vocation de se l’approprier sont inscrites dans notre idéologie dominante. L’Etat sauveur, le service public avec son efficacité parfaite due au dévouement de ses agents, font partie de nos illusions nationales. En fait, il y a en France un discours officiel « romain » qui affiche le patriotisme, économique », par exemple, la suprématie du public sur le privé, du général sur le particulier, et il y a des comportements « gaulois » caractérisés par l’individualisme et l’égoïsme.

Le Bien commun, l’intérêt général, le service public, sont souvent d’excellents moyens de satisfaire des intérêts très particuliers. La République française est un vaste plateau de fromages. Parmi ceux qui masquent leurs appétits privés derrière la rhétorique républicaine, deux menteurs institutionnels ont carrément franchi les bornes de la décence commune. Les premiers sont les politiciens qui ont fait du service du Bien Commun une activité professionnelle très rémunératrice. Chaque jour nous apprend que ceux qui prétendent résoudre les problèmes collectifs, sans y parvenir, d’ailleurs, ne négligent en rien leurs intérêts privés, et s’exonèrent des difficultés communes. L’audit réalisé à l’UMP évoque des salaires mirobolants, des emplois confortables pour les proches, des prises en charge inconvenantes qui permettent à un certain nombre de personnes dont le talent nous a échappé de mener un train de vie luxueux, grâce à l’argent des autres, que ce soit celui des généreux donateurs ou celui des contribuables. La critique du PS n’est pas excessive, puisque la situation y est la même.

Evidemment, il est difficile pour les politiciens qui donnent cette image de faire la leçon aux syndicalistes. Lorsque des truands parlent à d’autres truands, le chantage, le rapport de force sont des moyens ordinaires. Ce sont eux qu’emploient les syndicats arc-boutés sur la défense du service public en apparence, mais soucieux avant tout de défendre des situations privilégiées au détriment de la collectivité qui les finance. La grève à la SNCM asphyxie la Corse à l’époque de l’année où celle-ci peut bénéficier de la venue des touristes. Peu importe que les vacanciers préfèrent l’étranger ! Peu importe que des entreprises insulaires et leurs emplois soient menacés ! C’est le meilleur moment pour faire plier le gouvernement ! Tandis que la compagnie privée Corsica Ferries concurrente fonctionne normalement, la SNCM dont le service est souvent de mauvaise qualité, est en déficit, en raison des avantages octroyés à ses salariés, révélés par le rapport Derrien. Par ailleurs, elle est tenue par la Commission Européenne de rembourser à l’Etat une aide illégale de 440 Millions . Son actionnaire privé, minoritaire en fait par rapport à l’Etat et à la CDC, veut se retirer. Pour s’opposer à l’inévitable redressement judiciaire, les marins CGT de la SNCM n’ont pas hésité à saccager les bureaux et à bloquer un bateau d’une autre compagnie. Devant ces méthodes de voyous, cédant au chantage, l’Etat recule, annonce un moratoire, et une baisse des charges pour les entreprises en difficulté. Lorsque les syndicats polluent l’économie française, les pollueurs ne sont pas les payeurs. Le contexte, la crise économique et la situation financière de l’Etat ? La CGT ne connaît pas !

Cette affaire condense le mal français, ce mensonge permanent de notre pays à lui-même. L’image faussée de la Révolution justifie le recours à la force pour faire valoir de prétendus droits. Au nom du sacro-saint service public, certains syndicats, la CGT le plus souvent, n’hésitent pas à bafouer l’intérêt général, à nuire au Bien Commun pour préserver des situations d’une inégalité criante, pour défendre une corporation et des privilèges… que la Révolution avait abolis. L’Etat, dont les responsables n’ont plus la légitimité morale nécessaire, au lieu de résister, tergiverse et cède. Comment pourrait-il faire triompher l’intérêt général quand il est lui-même l’abri de tant d’intérêts particuliers ?

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10 Comments

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  • Charles , 13 juillet 2014 @ 8 h 49 min

    L’intérêt général ou l’intérêt particulier ?

    Une série de révélations en cours au RU sur les réseaux polysexuels politiques,
    en particulier,sodosexuels pédopervers, omniprésents chez les pouliticiens.

    Les affaires étouffées s’expliquent par des séries de chantages internes entre eux.

    Silence total dans les médias fronçais

    http://www.dailymail.co.uk/news/article-2690079/Speaker-blackmailed-gay-sex-secrets-Westminster-s-powerful-official-young-men-charge-MP-Dickens-compiled-missing-paedophile-dossier.html

  • hectorgalb , 13 juillet 2014 @ 20 h 39 min

    Vous vous trompez, la France ne s’est pas bâtie sur des principes proclamés puis aussitôt foulés aux pieds. Si ça avait été le cas, elle n’existerait pas. Tout désormais n’est que comédie et duplicité dès lors que les principes supérieurs (du droit, par exemple), dont découlent tous les autres, sont viciés. C’est comme quand un crime est commis mais, aussi, qu’il l’est par la personne qui est justement censée prévenir un tel crime.

  • Droal , 14 juillet 2014 @ 12 h 46 min

    Dans un pays où la corruption est généralisée, du haut en bas de l’échelle sociale, et dans le nombre des voleurs excède le nombre des volés, c’est-à-dire des honnêtes gens, il faut s’attendre à des glissements de terrain majeurs dans un avenir plus ou moins proche.

    Dans une lettre adressée à sa sœur Marie-Agnès, De Gaulle écrivait ceci, le 14 mai 1969 : « Quant aux évènements, il s’est produit ce qui devait un jour arriver. Les Français d’à présent ne sont pas encore redevenus un assez grand peuple pour porter, à la longue, l’affirmation de la France que je pratique en leur nom depuis trente ans. Mais ce qui a été fait sous cette égide, d’abord pendant la guerre, ensuite au cours des onze dernières années, A ÉTÉ D’UNE TELLE DIMENSION QUE L’AVENIR EST DE CE COTÉ-LÀ. La période de médiocrité dans laquelle notre pays vient d’entrer en fera bientôt la démonstration. »

    La génération de 1968 qui est au pouvoir depuis 45 ans et qui est au principe de cette « période de médiocrité » est plus proche de sa fin que de son début.

    Le « bientôt » est, évidemment, une façon de parler au regard de l’Histoire.

    45 ans après, la situation a quelque peu changé puisque le peuple français n’est plus qu’un peuple encore majoritaire parmi d’autres peuples, mais qui n’a plus le droit à la parole depuis le 29 mai 2005; ou s’il à droit « à la liberté d’expression » c’est à la manière de l’oiseau qui « a le droit » de faire « cui-cui », du chien de faire « ouah-ouah », du chat de faire « miaou », du corbeau de faire « croâ-croâ ».

    Ainsi l’homme à le droit de faire « bla-bla », pourvu que ça n’ai aucune incidence sur quoi que ce soit.

    En ce qui concerne « la fête du 14 juillet » ce n’est plus qu’une vente comme les autres. C’est la vente « du 14 » qui succède à celle « du 13 », mais qui précède celle « du 15 ». On s’attend à ce que celle « du 15 » soit suivi par celle « du 16 », mais on en pas encore absolument sûr car une catastrophe de la nature pourrait, mal heureusement, interrompre la vente… ce qui serait absolument odieux et insupportable.

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