Le travail dominical est aussi une question de liberté

David Marsalone/Flickr, cc

Batailles de chiffres et de discours idéologiques autour du travail dominical, à grands coups de petites phrases, de rapports ou de sondages contradictoires. Entre coups bas en verbes hauts, les débats politiques sont manifestement loin d’être à la hauteur des enjeux. Il n’est pas seulement question d’économie, de croissance ou d’emplois, mais aussi d’une certaine conception de la liberté.

Le travail du dimanche est devenue le nouveau cheval de bataille d’idéologues en mal de combat électoraliste. Depuis que la gauche est devenue libérale, il faut bien se trouver de nouveaux ennemis, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. Devenues le dernier symbole à la mode de « l’exploitation par le grand capital », les demandes d’ouverture du dimanche se heurtent à une farouche résistance politique, notamment de la part de ceux qui considèrent que le progrès passe uniquement par l’égalité. Vouant aux gémonies les progrès pour les libertés que pourraient apporter la remise à plat d’une législation complexe et datée, ils en oublient d’ailleurs qu’elle est aussi injuste qu’inégalitaire. Et il est pour le moins piquant de voir de nouveaux Robespierre se draper en défenseurs de la famille et d’une sacralisation du dimanche chômé. Mais le projet de loi en préparation ne corrige pas réellement le tir, même s’il va a priori dans le bon sens. Mesurettes pour les uns, esclavagisme pour les autres, le projet se heurte à l’écueil habituel : à ne vouloir froisser personne, on mécontente tout le monde.

Tirs fratricides

La Mairie de Paris, la première, y va de ses petits tacles au gouvernement. Sur fond d’une argumentation parcellaire (1) (peu de données chiffrées à l’exception de résultats de sondages de provenance inconnue), l’ambitieuse maire de Paris souhaite surtout faire entendre sa voix dans le débat, en réclamant plus de pouvoir de décision pour sa chapelle. Alors que tout le monde ou presque est d’accord sur les mesures à prendre (extension des PUCE, du nombre de dimanche ouvrés, ouverture dominicale pour les gares…), la contestation porte surtout sur le détenteur futur de l’autorité sur les ouvertures : qui décidera, du maire ou du préfet ? Une querelle de clochers, qui passe surtout à côté des vrais enjeux. Même dans son propre camp, les avis sont plus que partagés : « Ce rapport n’est pas au niveau du débat. Moi je veux bien qu’on ait quelques mesurettes, mais ce n’est pas le sujet », estime (2) ainsi Christophe Caresche, députe socialiste de Paris.

Si l’ouverture dominicale dans les gares est envisagée, elles ne concerneraient par contre a priori que la gare du Nord, seule « gare internationale » et éventuellement la gare de l’Est (qui accueille les trains de la Deutsche Bahn). Question de sécurité dans les gares, de vie économique dans les quartiers alentour, de praticité pour les voyageurs d’où qu’ils viennent, les avant-projets semblent surtout définir un nouveau régime d’exception et d’autres cas particuliers se superposant encore à l’amoncellement de régimes dérogatoires. « Un jour par semaine, la gare est morte et une gare où les commerces sont fermés, c’est le sentiment de sécurité des voyageurs qui recule », explique (3) Rachel Picard, à la tête de la branche SNCF Voyages. On est donc encore loin du choc de simplification.

Liberté de travailler sous surveillance

Le débat pourrait être ailleurs, dans la réponse à apporter aux blocages institutionnels et règlementaires qui paralysent la France dans son ensemble, largement au-delà du petit microcosme parisien très centré sur ses petites affaires. Ailleurs qu’à Paris, ce sont souvent les salariés qui se mobilisent, parfois même contre leurs syndicats. De Sephora (sur une question spécifique de travail nocturne cette fois) à Bricorama, en passant par Leroy Merlin, les salariés qui travaillent depuis longtemps le dimanche ou le soir voient d’un très mauvais œil ce coup de canif dans leur liberté de travailler (et dans leur contrat de travail) tout en supprimant une rémunération parfois doublée le dimanche. Des salariés (4) qui se disent même parfois « écœurées, outrées de la façon dont les syndicats s’en sortent. »

La survie des commerces de proximité

De l’Alsace aux Pyrénées, la question de l’ouverture dominicale a pris aussi une autre dimension, celle de l’existence pure et simple des commerces de proximité et de la défense des libertés d’entreprendre, de travailler et de consommer autrement que derrière un écran. Lorsque le Carrefour City d’Anglet (5) obtient enfin son autorisation d’ouverture le dimanche, ce n’est pas un recul social, c’est une liberté en plus pour des salariés volontaires et payés plus chers, et des consommateurs qui n’ont plus besoin de se tourner vers l’Espagne ou Internet pour faire leurs achats. Pour son équivalent Alsacien de Wingen-sur-Moder (6), la situation n’est pas aussi rose. Dénoncé par ses concurrents au grand dam de ses clients et salariés, le Carrefour Contact local doit désormais fermer ses portes le dimanche matin.

Certains opposants arguent de l’inutilité économique d’une telle ouverture ; si tel était le cas, pourquoi le gérant licencierait-il des salariés et pourquoi les consommateurs migrent-ils désormais vers l’Allemagne le dimanche ? « Si ouvrir le dimanche n’était pas rentable, nous ne le demanderions pas ! Cela augmente les frais de personnel mais permet d’amortir les autres coûts fixes », répondent (7) en cœur les professionnels concernés. Certains avancent aussi que le travail du dimanche porte atteinte à la vie sociale et familiale : ont-ils pensé une seconde aux presque dix millions (8) de français qui vivent seuls, parmi lesquels 5 millions (9) souffrent effectivement de la solitude ? Doit-on les condamner à poursuivre une vie sociale virtuelle le dimanche et continuer d’enrichir les géants du e-commerce dont la plupart ne sont pas basés en France ?

Le combat pour l’ouverture dominicale n’est pas réductible à une volonté des grands magasins parisiens d’élargir les plages horaires ; il est aussi celui des consommateurs et salariés qui défendent respectivement leurs droits à consommer et à choisir leurs horaires de travail. Mais aussi celui des maires des petites villes, qui en dehors de toute prétention au tourisme international, souhaite simplement revitaliser leur centre-ville et recréer un peu de lien social.

1. http://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/2014/12/travail-dominical-dimanche-rapport-2014.pdf
2. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/12/03/20002-20141203ARTFIG00264-le-rapport-qui-ne-croit-pas-au-travail-le-dimanche-a-paris.php
3. http://www.mobilicites.com/011-2166-Ouverture-dominicale-les-gares-SNCF-veulent-etre-logees-a-la-meme-enseigne-que-les-aeroports.html
4. http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/09/23/sephora-contraint-de-fermer-son-magasin-des-champs-elysees-a-21-heures_3483018_3234.html
5. http://www.sudouest.fr/2014/09/26/a-anglet-feu-vert-pour-une-ouverture-dominicale-de-carrefour-city-1684387-3944.php
6. http://www.economiematin.fr/news-travail-dimanche-alsace-risque-emploi-carrefour
7. http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/11/13/travail-du-dimanche-les-syndicats-remontent-au-front_4523058_3234.html
8. http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/02/14/le-nombre-de-francais-vivant-seuls-a-augmente-de-50-depuis-1990_1643365_3238.html
9. http://www.marieclaire.fr/,5-millions-de-francais-vivent-dans-la-solitude,20123,694810.asp

Lire aussi :
> Pourquoi je suis opposé au travail dominical, par Eric Martin

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6 Comments

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  • 0 / 10
  • roger rabbit , 12 janvier 2015 @ 13 h 15 min

    Le salariat c’est l’esclavage, pas la liberté. Désolé de te ridiculiser en une phrase, mec.

  • Steph , 13 janvier 2015 @ 10 h 32 min

    Effarant de bêtise, cet article, sur l’impact économique du travail du dimanche.
    Effarant de mépris, cet article qui ne propose que les galeries marchandes pour recréer du lien social
    Effarant de duplicité, quand il dit que les salariés seraient volontaires
    Effarant d’incompétence, quand il parle du e-commerce.

    Mais que fait cet article de pure propagande, et qui plus est de mauvaise qualité, sur le site de NDF ?

  • Eric Martin , 13 janvier 2015 @ 10 h 35 min

    Il défend (pas trop mal, je trouve) un point de vue opposé au mien que je mets en lien dessous afin que les lecteurs se fassent un avis éclairé.

  • Apt , 13 janvier 2015 @ 14 h 12 min

    Le Dimanche est le jour du Seigneur ressuscité, et c’est un jour éminemment chrétien qui dérange les perfides.

    Comme par hasard :
    – le sioniste Jean-Patrick Grumberg (Dreuz) est le président de l’Assoce “Travailler le dimanche”, qui avait eu l’oreille de Sarkozy : http://www.youtube.com/watch?v=1G19_iTIZAg
    – c’est une demande incessante des Attali, des Goldman Sachs (qui ont libéralisé le dimanche en Italie, en Grèce), ce sont quand même des boussoles qui indiquent le Sud !
    – ici aussi les juifs refusent aux autres ce qu’ils exigent pour eux, à savoir le respect du sabbat juif. Ainsi des dizaines d’étudiants juifs orthodoxes s’arrogent le droit (inexistant) de passer leurs examens du samedi après la tombée de la nuit ! Et ce dans l’illégalité la plus totale !

    Déjà l’évêque Agobard de Lyon, au neuvième siècle, s’était plaint au roi Louis le Débonnaire du pouvoir insolent des juifs, qui déjà avaient réussi à déplacer du samedi au dimanche le jour du marché (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/agobard/juifs.htm), à notre plus grand détriment.

    Le roi n’entendit pas raison. Agobard fut canonisé, pas lui. Il y a une justice divine !
    DIMANCHE SACRÉ.

  • infor , 13 janvier 2015 @ 21 h 57 min

    Le travail le dimanche est vital ou économiquement utile dans certaines activités par exemple dans la santé (urgences,…) et le tourisme.
    Par contre le travail le dimanche en grande distribution ne crée rien et déplace les emplois et il tue l’emploi en France:
    1)Guerre commerciale accrue contre les commerces souvent de proximité et centre ville: nombreux d’emplois détruits dans ces commerces souvent tenus par un couple de commerçants (et qui travaillaient souvent le dimanche). Une partie des emplois de ces commerçants qui organisaient eux-mêmes leur emploi du temps, est remplacée par des salariés souvent féminins dont l’emploi du dimanche est soumis à leurs chefs.
    2)Renforcement de la part de la grande distribution dans le commerce, donc dans les dures négociations avec les fournisseurs, en particulier PME et agriculteurs, d’où nombreux emplois détruits chez ces fournisseurs, déjà la part de marché des PME (fabricant très généralement en France) qui fournissent la grande distribution est passée depuis 2008 de 29 à 20% au profit de multinationales fabriquant surtout à l’étranger: plusieurs dizaines de milliards d’euros et centaines de milliers d’emplois ainsi perdus rien que dans ces PME françaises et leur tissu économique.
    Il est d’intérêt général pour l’emploi et l’économie française que le travail le dimanche en grande distribution soit très réduit.
    Les touristes étrangers qui achèteraient uniquement le dimanche dans les grands magasins ne représentent qu’un C.A. supplémentaire minuscule comparé aux centaines de milliards du commerce total: pour cela faut-il fragiliser et sacrifier les autres commerces existants?

  • Colargol , 13 janvier 2015 @ 21 h 57 min

    J’ai bien lu ceci dans l’article et j’en reste pantois

    ” Certains opposants arguent de l’inutilité économique d’une telle ouverture ; si tel était le cas, pourquoi le gérant licencierait-il des salariés et pourquoi les consommateurs migrent-ils désormais vers l’Allemagne le dimanche ?”

    N’importe quelle personne ayant vécu Outre-Rhin, ou même ne s’y étant baladée qu’un weekend sait que le samedi à 14h, à part les débits de boisson, il n’y a plus un magasin d’ouvert en Allemagne.

    Donc, si j’en crois nos bons libéraux l’économie allemande est en faillite; CQFD.
    Ah bon on me dit que non en fait, c’est l’inverse.
    Nous prendrait on pour des crétins on avec cette histoire de travail dominical ?

    Au fait, en Belgique et aux Pays-Bas, deux autres pays du tiers-monde bien entendu, j’ai vu que les magasins fermaient le dimanche et même dès 18 h en semaine.

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