Philippe Simonnot : « Cette finance pourrie par la fausse monnaie n’a rien à voir avec le marché libre ! »

Philippe Simonnot est Docteur ès sciences économiques. Egalement journaliste, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont, récemment, Delenda America (Baudelaire) et Le jour où la France sortira de l’Euro (Michalon). Son regard sur la crise économique et financière que nous vivons détonne. Entretien.

Philippe Simonnot, comment expliquer cette unanimité soudaine dans le monde politique vers davantage de protectionnisme ?

C’est un effet classique des crises : elles entraînent vers des régressions, à savoir l’étatisme et le protectionnisme. On a déjà vu ça en après 1929. La tendance est perceptible dans tous les programmes. Cela vient d’une mauvaise analyse de la crise, attribuée à tord aux marchés.

Une candidature libérale à l’élection présidentielle serait-elle audible, aujourd’hui ?

Une candidature libérale serait totalement inaudible ! Actuellement, il est impossible de tenir un discours de liberté aux Français. On a tellement désinformé, “déséduqué” les citoyens sur l’économie et les marchés qu’on ne pourrait pas reconstruire en quelques semaines ce qu’on a détruit ces 30 dernières années. Je parle de la France car aux États-Unis, même si les libertariens ne gagnent pas, ils ont leur place sur le marché politique. Ce qui est symptomatique de cette impossibilité d’avoir une pensée libre en France aujourd’hui, c’est l’évolution du programme du Front national (avec lequel je n’ai pas de sympathie particulière) : on est passé du libéralisme relatif du père, hérité du poujadisme, à l’étatisme de la fille. Comme beaucoup, je croyais que Nicolas Sarkozy ferait exception et trancherait avec la droite gaullo-étatiste. Force est de constater qu’il a renié, peu à peu, ses prises de position de 2007. Bref, il est impossible de faire comprendre aux gens que le protectionnisme est un handicap.

L’est-il vraiment ?

Comme l’explique Bastiat, instaurer des droits de douane, c’est comme détruire un tunnel ou un port qui réduisent les coûts de transport ou facilitent l’entrées de marchandises sur un territoire. Ces infrastructures qui ont été construites souvent avec l’argent du contribuable réduisent le coût des marchandises importées. Et l’on voudrait, d’un trait de plume, annuler ces effets positifs avec des droits de douane ! Et ensuite, il est très difficile d’en sortir car un nouvel écosystème, une nouvelle organisation économique s’est créée. Il est très difficile de s’en débarrasser. Le Buy American Act dont s’inspire Sarkozy date de Roosevelt (1933). Il est toujours en vigueur en dépit de ses nuisances reconnues.Le premier risque du protectionnisme, c’est bien sûr une hausse des prix et par conséquent une baisse du pouvoir d’achat. On parle beaucoup des producteurs mais assez peu des consommateurs qui profitent des prix bas permis par l’ouverture des frontières. Le second risque, ce sont les mesures de rétorsion de la part de nos partenaires commerciaux…

Certains pays ont déjà pris des mesures protectionnistes. Pourquoi pas nous ?

Ce n’est pas parce que les autres font des sottises qu’il faut que nous fassions les mêmes. Et puis, la France elle-même est loin d’avoir éradiqué le protectionnisme… Actuellement, nous sommes dans la situation de l’entre-deux guerres. Nos dirigeants s’apprêtent à aggraver la crise en niant le rôle du marché. Car la crise est due à une fausse conception du marché et de la règlementation : je pense notamment à la fausse monnaie imprimée par des banques centrales souveraines sans aucune réglementation. La crise est d’abord monétaire du fait que nos monnaies ne sont ancrées sur aucune réalité : depuis l’abandon de l’étalon-or, on vit un dans une imposture monétaire. Et voir la banque centrale européenne baisser ses taux pour sauver les banques fautives est insupportable. Cette absolution systématique a de quoi exaspérer les citoyens de la base, si j’ose dire, qui n’ont pas la chance d’être à la manoeuvre dans une sphère financière dévoyée, en effet ! Ceux-ci doivent comprendre que cette finance pourrie par la fausse monnaie n’a rien à voir avec le marché libre. Ils ont raison de se révolter.

« Depuis l’abandon de l’étalon-or, on vit un dans une imposture monétaire… »

F.D. Roosevelt est en train de devenir sacrément tendance à gauche comme à droite. Quel auteur répond, selon vous, le mieux à la crise que nous traversons ?

Von Mises, Bastiat, Hayek, Condillac… On est loin de Roosevelt !

Pourquoi ces économistes ont-ils si peu d’influence aujourd’hui ?

Il est normal, dans une société où l’État a tant d’importance, que les penseurs anti-État aient si peu de place. La plupart des économistes en France sont au service de l’État quand ce ne sont pas des économistes de banques, en général des petits profs de fac, qui ont fait carrière au PS, maqués avec des banques et qui défendent la pensée bancaire qu’une fois encore, les gens assimilent à tort au libéralisme ! Vous savez, ces derniers mois, la Banque centrale européenne a avancé deux fois 500 milliards d’euros sur 3 ans aux banques. On a parlé d’opérations bazookas. Les établissements bancaires, qui ne prêtent plus, ont refilé ces milliards à la BCE. C’est le serpent qui se mort la queue. Mais cela sauve les “bad banks”. Le Japon en a fait autant il y a vingt ans. Le résultat ? Deux décennies perdues !

La Grèce est-elle sauvée ?

De toute évidence, le problème de la Grèce n’est pas réglé. On a seulement évité qu’elle sorte de l’euro. C’est une espèce de pare-feu. Il faut arrêter d’accabler ces pauvres Grecs. C’est le système politique grec qui a fraudé, corompu et stipendié par l’Europe, pas les Grecs basiques, qui n’y sont pour rien. Eux se contentent de ne pas tout déclarer à l’État, c’est une coutume plutôt sympathique, non ? Bref, la Grèce n’est pas sortie d’affaire. Ils en ont pour au moins 20 ans. En d’autres proportions, cela rappelle le sort de l’Allemagne en 1919. On ne peut pas demander à un peuple ce qu’on demande au peuple grec, à savoir le sacrifice d’une génération. Cela explosera de toutes les façons…

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