Écoutons Bachar

Je sais bien que Bachar el Assad est un des pires dictateurs de la terre, quelqu’un qui, sur l’échelle de Richter de la dictature, sur le tableau d’horreur des tyrans, se situe juste en dessous de Kim Jong-il, le Père Ubu coréen, très au dessus des frères Castro qui pourtant maintiennent le peuple cubain dans une étroite servitude depuis 1959, de Robert Mugabe, dictateur inamovible et calamiteux du Zimbabwe depuis 1987, d’Isaias Afwerki qui, depuis son accession au pouvoir en 1993, a transformé l’Erythrée en un vaste camp de concentration, de Denis Sassou N’Guesso qui, occupe sans interruption le pouvoir au Congo-Brazzaville depuis 1997 et vient juste d’être réélu président, dès le 1er tour, avec seulement 60, 39% des voix (sans que notre gouvernement semble particulièrement s’en émouvoir) ou de Mohammed ben Nayef, prince héritier de la très autocratique dynastie des Saoud, à qui le président Hollande n’a pas osé refusé la petite légion d’honneur qu’il lui réclamait.

Je sais tout cela mais j’ai cependant la faiblesse de penser qu’il ne serait pas sans intérêt de prêter un petit peu l’oreille à ce que ce vilain monsieur peut avoir à nous dire et qui, à première vue, ne semble pas dépourvu d’une certaine pertinence ni d’un certain bon sens. Les déclarations, dont j’extrais les propos qui vont suivre, ont été recueillies par le journaliste André Bercoff (au cours du long entretien accordé par Bachar à une délégation d’hommes politiques français menée par le député Mariani, laquelle vient tout juste de revenir de Damas) et publiées par lui dans Valeurs Actuelles n°4140.

Sur l’aide des Russes : « Les Russes ont fait en quelques mois cent fois plus que les Occidentaux en deux ans. Ceux-ci n’ont jamais bombardé l’essentiel, à savoir les puits de pétrole de Dae’ch et les camions citernes qui transportent l’or noir pour le vendre en Turquie ou ailleurs. En plus, la France et les autres considéraient Al-Nosra comme des islamistes modérés et pariaient sur ma disparition immédiate. Ils espéraient sans doute l’avènement d’une démocratie rythmée par Dae’ch et par Jaysh al-Islam. Belle perspective ! »

Sur les négociations de Genève : « J’ai bon espoir. Pour une fois, je pense que les Américains et les Russes sont décidés à parvenir à un accord. L’essentiel est que celui-ci se fasse avant l’échéance de l’élection présidentielle américaine, afin que le successeur d’Obama ne puisse pas modifier sensiblement ce qui aura été acquis. C’est une des raisons qui ont décidé Poutine à intervenir dans le conflit : il a compris que, s’il ne nous soutenait pas, l’Etat islamique allait non seulement s’emparer de la Syrie puis de l’Irak, mais se répandre au-delà avec, comme chacun sait, l’aide financière de l’Arabie Saoudite et opérationnelle de la Turquie, qui entraîne les djihadistes et assure leur libre circulation. »

Sur le rôle de l’Europe : « J’ai le regret de vous dire que, dans la présente négociation, l’Europe n’existe pas. En fait vous avez décrété l’embargo sur tout ce qui nous concerne, sauf sur les migrants. Comment ne pas comprendre que, pour des raisons de violence et de misère, des millions de gens veuillent fuir pour une vie meilleure ? Mais ne croyez-vous pas que, si vous nous aviez aidés beaucoup plus tôt à rétablir la paix et à réduire Dae’ch, ces gens seraient restés chez eux, dans leur pays ? Aujourd’hui, vous payez très cher cet accueil et encore plus cher ceux qui ont été formés en Syrie et retournent semer la terreur chez vous. Vous ne savez pas le nombre de djihadistes, barbus, en qamis, et enturbannés, que nous retrouvons dans les documents venus d’Europe, rasés de frais, en jean, intégrés, méconnaissables. La terreur est devenue un bon produit d’exportation. »

Sur l’avenir de la Syrie : « Nous commençons déjà à reconstruire dans les zones reconquises. Le travail est immense et nous avons de faibles moyens. […] Mais l’enjeu n’est pas qu’économique, tant s’en faut : laïcité et diversité sont les deux jambes sans lesquels la Syrie serait paralysée. Les chrétiens et notamment les Arméniens font partie intégrante de notre société et je souhaite ardemment que la Constitution permette qu’un chrétien devienne un jour président de la République. Même chose pour les Kurdes et toutes les autres minorités. C’est la seule alternative viable et je souhaite que l’Occident en prenne enfin conscience au lieu de soutenir l’Arabie Saoudite et le Qatar, ou ce fanatique borné d’Erdogan, en vérité tout juste bon à être imam dans une mosquée… »

Dommage que ce soit de la bouche même d’un monstre à qui l’on ne peut décemment pas se fier que tout cela sorte, car, au vu de l’évolution de la situation sur le terrain là-bas et ici, on serait pourtant bien tenté d’accorder quelque crédit à un tel discours…

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16 Comments

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  • J. Elsé , 14 avril 2016 @ 10 h 16 min

    Monsieur POUCHET, dans votre liste de dictateurs vous avez oublié un certain François HOLLANDE qui n’hésite pas à fair gazer (lacrymogènes) des femmes et des enfants qui manifestent sans rien casser. Ceci dit, si on avait laissé à leur poste certains dictateurs, l’Iran, la Lybie et autres n’auraient pas été déstabilisés et livrés aux islamistes.

  • peterpan , 14 avril 2016 @ 10 h 31 min

    Apparemment certains n’ont pas saisi l’ironie du texte !

  • peterpan , 14 avril 2016 @ 10 h 33 min

    Certains n’ont pas compris l’ironie du texte !!

  • Pierre , 14 avril 2016 @ 16 h 58 min

    Heureux que Bachar et Poutine aient fait le travail à l’endroit que nos dirigeants européens ont fait à l’envers.

  • SELENE MAXIMA , 14 avril 2016 @ 17 h 20 min

    Comme vous avez tous raison si les USA et l’europe avaient laissé Bachar el Assad et Kadafi
    en place on n’aurait pas ces afflux d’immigrés et les 250.000 morts ou plus, n’est-ce pas?
    Toujours l’appât du gain!

  • SELENE MAXIMA , 14 avril 2016 @ 17 h 22 min

    Naturellement!

  • André Pouchet , 14 avril 2016 @ 17 h 46 min

    Dans mon palmarès des plus rutilants et des plus fringants dictateurs aujourd’hui en place (sinon “en exercice”) dans le monde, j’ai oublié (où avais-je donc la tête ?), celui auquel notre 1er sinistre, le sémillant Manuel Valls, vient tout juste d’aller rendre visite et hommage. Celui-ci est certes paralysé, sourd et quasiment muet. Il n’apparaît plus en public que très rarement, et sur un fauteuil roulant.

    Cette quasi-momie, autour de laquelle ses frères et sœur montent une garde très vigilante (ils se sont fait nommer tous quatre conseillers à la présidence afin de pouvoir gouverner commodément son pays en son nom et place), j’allais oublier de vous donner son nom mais – j’espère – vous l’aurez reconnu tout seuls, comme des grands.

    Il s’agit bien sûr d’Abdelaziz Bouteflika, auquel notre clairvoyant président Hollande, a tenu à apporter tout son soutien, a accorder sa bénédiction pleine et entière, lorsque, déjà grabataire, il avait entamé, à la honte de tous les pauvres Algériens, son quatrième mandat à la tête de l’Algérie. (Cf. le communiqué publié par Bernard Lugan au sujet de la visite de Valls)

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