Le nationalisme hindou contre l’islam ?

L’Inde de Narendra Modi va désormais peser de tout son poids sur le monde. Après la longue période qui a vu le parti du Congrès au pouvoir depuis l’indépendance jusqu’en 1977, une succession plus confuse d’alternances s’est déroulée, mais en 2014, c’est le BJP qui s’est imposé. En 2019, il a été reconduit avec une large majorité. L’Inde était en apparence l’héritière de Gandhi et de Nehru, amputée contre son gré des zones à majorité musulmane devenues le Pakistan, le « pays des purs ». Non-alignée, proche de l’URSS à laquelle elle achetait ses armes, elle se vantait d’être la plus grande démocratie du monde et mettait en avant son respect de la diversité religieuse et ethnique, ce qui ne l’empêchait pas de livrer trois guerres plus quelques combats limités contre le Pakistan qui lui permettaient de maintenir la plus grande partie du Cachemire à majorité musulmane dans l’Union et de faciliter la séparation des deux « Pakistan », celui de l’Est, le Bengale, devenant le Bangladesh. Désormais, le parti au pouvoir à New Delhi est clairement hindouiste. Il est fort probable qu’il ait l’intention de consolider la position indienne au Cachemire, notamment en modifiant le rapport démographique entre les communautés. La suspension de l’autonomie de l’Etat du Jammu-et-Kashmir qui passe sous le contrôle direct de l’Etat fédéral lui permettra de faire intervenir l’armée de façon plus massive contre les infiltrations rebelles et d’ »indianiser » la région. Cette décision prise par le Président Modi le 5 Août est dans la logique à long terme de son parti. Elle a aussi l’avantage de mobiliser le nationalisme indien dans un contexte économique décevant pour le pays. Toutefois, la République indienne est une démocratie. La Cour suprême peut condamner la décision. Le Pakistan a des alliés puissants : les Etats-Unis qui ont besoin d’Islamabad pour régler la question afghane, et la Chine qui occupe, elle-aussi, une partie du Cachemire. Le fait que depuis un an, le Premier Ministre pakistanais soit Imran Khan, qui a mis fin à l’alternance des deux grands partis, la Ligue Musulmane, sous ses deux factions, et le PPP, entrecoupée de coups d’Etat militaires, éclaire la confrontation d’un jour nouveau, puisque le gouvernement pakistanais apparaît relativement plus modéré que ses prédécesseurs.

Le conflit entre les deux puissances du sous-continent issues de l’indépendance en 1947, s’il est limité géographiquement à une région qui compte une vingtaine de millions d’habitants alors que l’Inde en pèse 1,3 milliards et le Pakistan, 200 millions, revêt une ampleur considérable pour deux raisons : d’abord, il s’agit de deux Etats possédant l’arme nucléaire. Ensuite, il s’agit une fois encore d’une friction à la limite du territoire de l’Islam, qui souligne la dimension historique du problème. L’Inde est un pays à la richesse culturelle inégalable, inventeur de quatre religions, l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et enfin celle des Sikhs. Les chrétiens y sont implantés depuis l’aube du christianisme, avec les églises syriaques malabare et malenkare. Les Zoroastriens perses s’y sont réfugiés lors de l’invasion arabo-musulmane. Enfin, comme partout, l’islam a conquis une grande partie du pays par la guerre, et a laissé la trace de massacres et d’une domination écrasante. Du VIIIe au XVIIIe siècles, les musulmans, arabes, turcs, mongols et afghans n’ont cessé d’envahir et de pressurer l’Inde, soit par des raids meurtriers et destructeurs dans un pays regorgeant de richesses, soit par l’établissement d’Etats, comme le sultanat de Delhi ou l’Empire Moghol. L’effacement du bouddhisme et de ses monuments, les luttes incessantes contre les hindouistes et les sikhs, à chaque fois accompagnées de massacres, de pillages et de destructions d’édifices sacrés, ont laissé des traces dans la mémoire collective, avec les souvenirs de Mahmoud le Ghaznévide, de Tamerlan ou d’Aurangzeb. Parfois ces Etats ont mieux traité les Hindous et les ont même associés à l’administration. Rares ont été les conversions non forcées, comme au Cachemire ou au Bengale. L’islam est demeuré minoritaire à l’exception de la vallée de l’Indus et d’une partie du Pendjab et du Bengale. Les pratiques rituelles sont opposées à l’extrême : les musulmans fêtent l’Aïd-el-kebir en égorgeant un mouton sans l’étourdir préalablement, les hindouistes sont végétariens.

L’histoire plus récente a accru l’opposition entre les deux pays issus de la partition de 1947. Cette dernière a été soutenue par les Occidentaux. Face à l’Inde non-alignée, un Etat musulman profondément anticommuniste était un allié indispensable sur la route du Golfe et du pétrole. Les Occidentaux, au Pakistan comme en Indonésie, ont joué l’islam contre le communisme. Ce calcul était juste puisque l’effondrement de l’URSS a été précipité par l’échec soviétique en Afghanistan, provoqué par la résistance musulmane financée par l’Arabie saoudite, armée par les Etats-Unis et aidée par le Pakistan. Par la suite, on s’est aperçu un peu tard que l’on avait joué les apprentis-sorciers et réveillé le monstre, l’islamisme, un monstre qui suscite à tort ou à raison des craintes et de l’hostilité chez tous ses voisins : des Balkans aux Philippines en passant par l’Afrique centrale, le Caucase, la Birmanie et la Chine. Pour les nationalistes hindous, qui souhaitent reconstruire à Ayodhya un temple voué au dieu Rama rasé par les musulmans au XVIe siècle, sur les ruines d’une mosquée qu’ils ont incendiée en 1992, l’heure de la revanche a sonné.

L’islam et l’Inde n’ont plus du tout aujourd’hui le même rôle stratégique que lors de la guerre froide. La longue alliance objective entre les démocraties occidentales et l’islam sunnite des monarchies pétrolières a favorisé et favorise encore l’expansion d’une religion mortelle pour la paix du monde et pour notre civilisation. Tout ce qui peut faire rentrer le génie dans sa bouteille devrait être privilégié. Les nationalismes sont les meilleures armes contre lui, en Syrie comme en Inde.

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