Que devient le Front National ?

Depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la présidence du Front National, ce parti a été affecté par des changements de fond. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, force est de constater que ces évolutions obéissent à une logique cohérente.

La fin du nationalisme folklorique

« Marine Le Pen a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de ‘témoigner’ ou de rassembler une ‘famille’. Je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues », déclare le philosophe Alain de Benoist. Il est maintenant entendu qu’a contrario de son père se contentant du rôle de porte-parole d’une France traditionnelle ayant une fâcheuse tendance à fonctionner comme une réserve indienne, Marine Le Pen désire accéder au pouvoir et est prête à s’en donner les moyens. Il est d’ailleurs à noter que malgré son opposition idéologique avec Nicolas Sarkozy, la démarche de la candidate frontiste de faire intégrer à son parti une culture du résultat est très proche de celle conduite au sein de l’UMP par l’ancien président.

Une constante dans l’histoire des mouvements classés à la droite de la droite est que selon un processus darwinien logique, ils finissent toujours par être dominés par ceux qui d’une part savent ce qu’ils veulent, d’autre part sont prêts à payer et à faire payer le prix pour l’obtenir sans être limités par des inhibitions mal placées. Ce processus a notamment été à l’œuvre au début du siècle dernier au sein du courant royaliste, les partisans d’une restauration à l’identique de l’ancien régime étant supplantés par les “royalistes positifs” de l’Action Française. Comme illustré par le politologue Patrick Buisson dans son livre 1940-1945 Années érotiques, c’est également ce processus qui s’est produit au sein du régime de Vichy, les tenants de « l’ordre moral » étant peu à peu supplantés par ceux de « l’ordre viril ». Il s’est plus tard répété au sein de l’Organisation Armée Secrète, comme le montre le journaliste Robert Buchard, voyant le général catholique Raoul Salan menant un combat « pour l’honneur » céder la place à l’ex-leader étudiant Jean-Jacques Susini. Cela se vérifie enfin aujourd’hui au sein du Front National, au sein duquel la vieille garde d’anciens combattants axée sur les valeurs cède la place à un aréopage ayant fait sienne la tautologie du spin-doctor britannique Alastair Campbell : “Sans le pouvoir, on ne peut rien faire”.

Une évolution idéologique, sociologique et structurelle cohérente

Comme relevé par le think tank socialiste Terra Nova, en dehors de la fameuse « dédiabolisation » de son parti, la principale innovation apportée par Marine Le Pen consiste en la définition d’une offre politique cohérente. Tout en conservant l’axe souveraino-identitaire historiquement défendu par le parti, Marine Le Pen tourne par contre le dos à la doctrine économique libérale du FN historique en promouvant un programme de protection sociale, tout en réduisant son engagement sur l’axe moral. Cette mutation idéologique vise autant à acter qu’à encourager la mutation sociologique de la base électorale du FN, passant selon le mot du philosophe Alain de Benoist  « de l’incarnation de la droite de la droite à l’incarnation du peuple de France ». Prenant acte de la forte rétraction de la sociologie catholique traditionaliste ayant constitué à l’origine les gros bataillons du parti, ainsi que de l’impasse sociologique du “national-libéralisme” théorisé par le Club de l’Horloge, Marine Le Pen l’oriente à présent vers un programme de défense globale des classes populaires précarisées. Le calcul est simple : pour assurer le succès institutionnel de l’axe souveraino-identitaire, il est nécessaire de sacrifier les axes moraux et libéraux peu rentables voir contre-productifs au plan électoral.

Cette évolution sociologique n’est du reste pas seulement motivée par des considérations de quantité électorale, mais également de qualité militante. “Face au remplacement de population, je ne crois pas du tout à une réaction des élites bourgeoises, le voudraient-elles que leur conformisme timoré les en empêcherait. La réaction viendra des petits cols blancs déracinés”, prophétisait l’historien Bernard Lugan interviewé par le futur président du Front National de la Jeunesse Julien Rochedy. Si l’on postule que l’objectif premier est la défense de l’axe souveraino-identitaire, alors les meilleurs militants pour le défendre seront ceux pour qui il constitue un impératif vital, par opposition à ceux pour qui il n’est qu’une préoccupation secondaire comparée au fait de pouvoir “monter sa boîte”. Ceci explique par ailleurs la non-participation de Marine Le Pen aux manifestations contre la loi Taubira, parfaitement logique si l’on tient compte du fait que son cœur électoral ne peut littéralement pas se payer le luxe de s’intéresser à ce qui se passe dans le Marais.

Différencier les combats électoraux et idéologiques

Une erreur classique commise par nombre de nos sympathisants est de confondre le combat idéologico-spirituel et le combat électoral. Le premier vise à diffuser des idées dans l’opinion publique et auprès des décideurs, le second vise à gagner des élections, deux démarches qui n’obéissent pas à la même logique. Une erreur d’analyse fondamentale commise par de nombreuses personnes est d’avoir cru que le mouvement d’opposition à la loi Taubira était le signe d’un retour au premier plan de la morale individuelle dans le débat public. Or, les manifestants ayants pris part au mouvement de l’an dernier ne seraient pour la plupart jamais descendus dans la rue en l’absence des provocations gratuites de nos adversaires, en particulier d’une Christiane Taubira glosant à l’infini sur le changement de civilisation, comme le reconnait le politologue socialiste Gaël Brustier. Les manifestants du printemps 2013 ne se sont pas tant battus contre le mariage homosexuel que pour la défense de notre civilisation, ce qui ne s’inscrit pas dans la même logique.

Cette erreur d’analyse est parfaitement illustrée par l’échec de la liste Force Vie impulsée par Christine Boutin lors des élections européennes de mai dernier, à la suite d’une campagne mêlant posture antisystème peu crédible de la part de l’ancienne ministre chiraquienne et niaiseries catéchistes sur le « paganisme » supposé du FN. Les 0,78% des voix obtenus par cette liste émanant d’un Parti Chrétien Démocrate purement identifié comme défenseur des valeurs morales auront fait pâle figure face aux 25% d’un FN faisant le plein des participants aux manifestations du printemps 2013 malgré l’absence de sa présidente. Ce résultat devrait faire réfléchir ceux qui ont analysé le succès des Manifs pour tous comme l’expression d’un désir d’une société de béatitude intégrale fleurant bon la Bibliothèque rose, et qui ont une fâcheuse tendance à confondre politique et rassemblement de boys scouts.

Conclusion : d’un parti de témoignage à un parti politique

“Constituée d’hommes bien nés qui ne veulent pas se donner le ridicule de mourir pour une idée, la vraie droite n’est pas sérieuse,” énonce Jean Raspail dans la préface de son Camp des saints. Ceux qui dénoncent le fait que le FN devienne soi-disant un parti de gauche déplorent en réalité le fait qu’il devienne un parti sérieux. Le prix à payer pour qu’il soit en capacité d’accéder au pouvoir est de passer par pertes et profits les états d’âme de ceux dont la connaissance encyclopédique de l’histoire de France ou de la Bible, voir la truculence de bon vivant, n’a souvent d’égal que l’inefficacité politique.

Related Articles

65 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • PG , 17 septembre 2014 @ 0 h 59 min

    Vous oubliez de citer nombre de SD, catholiques pratiquants, souvent de sensibilité traditionnaliste,.J’en connais personnellement au moins une dizaine.
    Que l’un soit remplacé ne signifie pas qu’il y ait chasse aux sorcières.
    Louis ALIOT n’est pas hostile aux catholiques, et il faut cesser de faire une fixette sur B. GOLLNISCH : brillantmias incapable de proposer autre chose que de faire comme en 1980, lui qui avait assez bien intégré la nouvlle droite dans sa fédé, laplus infiltrée par les néo paîens, avec Pierre VIAL et son groupe infernal.
    Si vous éliminez le FN comme parti possible, il reste l’UMP. Pourquoi pas ?
    Mais ce sera alors très dur pour eux : cf la loi TAUBIRA à abolir au FN, à maintenir à l’UMP, y compris avec N. SARKOZY. Lequel va nous vendre bientôt, selon un mode chiraquien, le mariage gay qui ne sera pas homosexuel, comme dans les maisons closes des romans policiers, où il y avait une grande entrée et une petite sortie. Voir Sens Commun qui tiendra la porte de la petite sortie.
    Le problème des catholiques, et votre réaction et renonciation à toute action le prouve, c’est qu’ils commencent par raisonner et ratiociner sur les principes et la théorie, et trouvent tjrs des raisons de de n’agir point : tel parti est trop ceci, le FN pas assez cela, etc…..
    Résultat : on reste tranquillement entre soi en attendant le parti parfait dans une société parfaite qui sera catholique sans combattre : l’anti histoire par excellence.
    Si les pro life américains engagés au parti républicain avaient agi ainsi, les USA ne seraient pas le seul pays démocratique où l’avortement recule. Car sans compromis tendant vers des avancées progressives, comment fait-on de la politique en démocratie et au sein des partis ?
    les cathos français d’aujourd’hui s’inventent des bulles associatives, paroissiales, scolaires, etc…. de telle sorte qu’ils se ghettoïsent comme des Juifs orthodoxes, tout en acceptant finalement au jour le jour tous les compromis quand il s’agit de la vie professionnelle ou sociale, car comment vivre sans ?
    Mais la rigidité idéologique de paroles permet ainsi de s’auto justifier de ne rien faire et de vivre dans le compromis au quotidien. Comme tout le monde……
    Comme tout le monde, est-ce catholique ?
    Cette schizophrénie concrète me parait incompréhensible.
    Elle conduit à une culture du stérile : agir sans jamais agir vraiment, multiplier les actes manqués, ne jamais être en rupture, faire de la DSE un moindre pire, c’est tellement catholique français de 2014.
    Voilà pourquoi l’imposture BUISSON SARKOZY a tellement pris dans ce milieu, au point qu’un réseau catholique soit au service de SARKOZy, pas très loin de certains sites connus.

  • PhB46 , 4 octobre 2014 @ 14 h 53 min

    Le FN n’existe plus. MLP l’a détruit. Elle a construit un parti comme les autres, bien intégré et bien inféodé au système oligarchique qui domine toutes les nations occidentales, sous la férule des USA.
    J’ai été membre du FN historique pendant 25 ans. Je l’ai quitté en 2007, lorsque MLP, avant même de devenir présidente, grâce à la nullité de l’ectoplasme Gollnisch, en a pris le contrôle et a organisé une campagne présidentielle nulle et lamentable.
    MLP n’a pas de convictions. Elle n’est qu’une arriviste, qui s’entoure de crétins et d’invertis.
    Elle a fait partir tous les cadres historiques qui avaient quelque valeur.
    Tous les principes fondateurs du FN ont été progressivement abandonnés, au profit d’une vague idéologie gaucharde, totalement en phase avec le système: plus de défense de la nation, plus de défense de la famille, plus de défense de la vie. Tout ce qui, pour le vrai FN, était au coeur de son combat, a été jeté aux orties. Maintenant on défend le sionisme, mais aussi “nos compatriotes musulmans”. On ne parle plus de sortir de Schengen, de sortir de l’abominable UE, d’abandonner le calamiteux Euro. MLP est l’équivalent français du salopard Fini en Italie, fossoyeur du MSI. Elle en est à vouloir virer JMLP, qui, de temps à autre, a encore quelques réflexes valables.

Comments are closed.